Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DISTINCTION

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 387-388).
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☞ DISTINCTION. s. f. Dans le langage ordinaire, se prend généralement pour différence ; tout ce qui sert à distinguer les choses ou les personnes, préférence, prérogative, emploi, &c. Distinctio. Dans tous les Etats il y a de la distinction entre la Noblesse & le peuple. Le mérite met bien de la distinction entre les personnes. C’est une personne d’une grande distinction. L’universalité jointe à l’éminence des vertus guerrières, étoit le caractère de distinction de l’invincible Condé. P. Bourd. De quelque superbe distinction que se flattent les hommes, ils ont tous une même origine. Boss. On a fait une taxe générale qu’il faut que tout le monde paie sans distinction. Les barbares ont passé tous les Habitans au fil de l’épée, sans distinction de sexe, ni d’âge. Ce Prince sait bien faire la distinction des gens d’esprit, quand il distribue ses grâces. Je hais cette complaisance fade, qui applaudit à tout sans distinction. Bell. On affecte des distinctions d’honneur dans les églises mêmes, où doit s’anéantir toute la gloire humaine. Flech. La distinction doit être agréable aux personnes de qualité ; mais il faut se l’attirer, & non pas se la faire présomptueusement soi-même. S. Evr.

☞ Par les exemples qu’on vient de rapporter, on voit que le mot de distinction se prend quelque lois pour différence, comme quand on dit, faire distinction des personnes, de l’ami & de l’ennemi. Discrimen. Sans aucune distinction. Nullo discrimine, omni discrimine remoto.

☞ Quelquefois préférence, prérogative, égards qu’on a pour les personnes, comme quand on dit traiter quelqu’un avec distinction. Les distinctions qui plaisent à ceux qui les reçoivent, offensent les autres.

☞ On dit, d’un homme qui s’est distingué dans son état, que c’est un homme d’une grande distinction. On le dit de même des choses qui distinguent, emploi, charge de distinction.

☞ Enfin distinction se prend quelquefois dans la signification de division ou séparation ; comme quand on dit qu’un livre est écrit tout de suite sans distinction de Chapitres.

Distinction, en termes de Philosophie, est une négation d’identité, qui fait que, de deux ou plusieurs choses, l’une n’est pas l’autre. Ainsi la distinction est opposée à l’identité, comme la division l’est à l’union, & la diversité à la similitude. Etre distingué, c’est n’être pas la même chose, ou, selon le langage des Philosophes, n’avoir pas la même identité ; & dire que deux choses sont distinguées, c’est dire que ce n’est pas la même chose, que l’une n’est pas l’autre.

☞ Ainsi la distinction est la négation d’identité ; la séparation est la négation d’unité ; & la diversité est la négation de similitude. Il ne faut donc pas confondre ces trois choses, distinction, division on séparation, & diversité, comme on le fait ordinairement.

Il y a en général deux espèces de distinctions, qui se subdivisent encore en d’autres. La première, est la réelle, & la seconde, la mentale, ou la distinction de raison. La distinction réelle, realis, est celle qui est entre les choses distinctes, & dont l’une n’est pas l’autre. Cette distinction peut être entre des choses qui ne peuvent pas exister séparément les unes des autres, comme les personnes divines, qui sont distinctes l’une de l’autre, sans pouvoir exister séparément l’une de l’autre. Et de même il peut y avoir séparation sans différence ni distinction. Par exemple, le corps de Jésus-Christ, dans l’Eucharistie, & à Paris & à Rome, est le même. Voilà de la séparation ; il n’y a cependant ni différence, ni distinction. Il peut être consumé & détruit, selon son être eucharistique, à Paris, & être conservé à Rome, quoique ce soit le même corps. Mais ordinairement & naturellement parlant, nous jugeons que deux choses, dont l’une peut exister sans l’autre, sont distinguées réellement.

La distinction de raison ou mentale, rationis, ou mentalis, est celle que notre esprit met entre des choses qui ne sont pas réellement distinctes, en les concevant comme si réellement elles l’étoient, & sous deux idées différentes. Telle est la distinction que nous mettons entre les facultés de l’ame ; c’est toujours la même ame, mais conçue tantôt comme rappelant les choses passées, tantôt comme voulant.

Il y a encore une distinction formelle, formalis, qui est celle qui se trouve entre les formes ou formalités, & perfections inséparables l’une de l’autre, aussi bien que du sujet où elles sont, & dont cependant l’une n’est pas l’autre, indépendamment de toute pensée de l’esprit. On l’appelle Scotistique, parce que Scot en est l’Auteur. Les Scotistes prétendent que cette distinction se trouve entre les facultés de notre ame, & entre ce qu’on appelle dans l’école les dégrés métaphysiques, c’est-à-dire, les propriétés ou perfections différentes d’un même être, comme la corporéïté, l’animalité, la rationabilité.

Enfin la distinction virtuelle, virtualis, qui est moins une distinction que la distinguibilité, ou le fondement de la distinction mentale ; c’est l’équivalence d’une seule chose, à plusieurs choses réellement distinguées. Ainsi, dès-lors qu’une chose, à raison de ses différentes perfections, équivaut à plusieurs, on conçoit entre ses propriétés ou perfections une distinction virtuelle. C’est celle que les Thomistes admettent : de sorte que ce que les Scotistes appellent distinction formelle, les Thomistes la nomment distinction virtuelle ; ou bien les choses ou propriétés entre lesquelles les Scotistes disent qu’il y a une distinction formelle, les Thomistes n’y mettent qu’une distinction virtuelle.

Il y a aussi la distinction modale, modalis, qui se rencontre entre les modes & les substances.

☞ On appelle aussi distinction dans les écoles, l’explication des divers sens qu’une proposition peut recevoir. Quand une proposition est équivoque & peut recevoir plusieurs interprétations, on la distingue, en expliquant dans quel sens elle est vraie, dans quel sens elle est fausse : Et l’on appelle distinctions de l’école, les distinctions en usage dans les disputes de l’école.

Les distinctions Philosophiques ne sont bien souvent que des chicanes & des échapatoires. Les Théologiens ont multiplié les disputes à force de distinctions. S. Evr. Il y a des docteurs qui discourent avec tant de subtilité, qu’il n’y a point de difficulté dont il ne se tirent à la faveur de leurs distinctions.

Distinction. Terme du Droit Canonique. La première partie du Décret de Gratien est divisée en CI. distinctions ; & chaque distinction est subdivisée par chapitres. Voyez DÉCRET.