Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DIPHTHONGUE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 362-363).
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DIPHTHONGUE. s. f. Terme de Grammaire. Jonction de deux voyelles qui se prononcent ensemble, & ne font qu’une syllabe. Diphthongus. Selon l’étymologie du mot, les diphthongues doivent faire entendre un double son composé de deux voyelles. Ainsi eu dans le mot de bonheur n’est pas une diphthongue, ni ae dans Caen, ni ao dans Laon, faon ; parce que, dans bonheur, on ne fait entendre ni le son propre de l’e, ni le son propre de l’a, mais un son simple, tout différent de celui de chacune de ces deux voyelles ; &, dans Caen, on retranche entièrement l’e, comme on retranche l’o dans Laon & faon.

Les Latins prononçoient comme nous les deux voyelles dans une diphthongue, avec cette exception, que l’on n’entendoit pas également les deux voyelles ; l’une étoit plus foible que l’autre : on les divisoit même le plus délicatement qu’il étoit possible. La plupart des diphthongues se sont perdues dans la prononciation ordinaire du Latin. Leur æ & leur œ ne se prononcent plus que comme un e : quelquefois aussi en François, deux voyelles ne sont qu’un son simple : œ se prononce comme l’e : sœur.

On peut distinguer en François, comme dans plusieurs autres langues, des dipthongues par rapport aux yeux, & des diphthongues par rapport aux oreilles. Une diphthongue par rapport aux yeux, est formée de deux voyelles qui se trouvent dans une même syllabe, soit que, dans la prononciation, on fasse entendre le son particulier de chaque voyelle, soit que le son d’une des voyelles se perde, soit enfin qu’on fasse entendre un son nouveau, différent du son propre de chacune des deux voyelles : dans les deux dernières occasions, les diphthongues ne sont appelées qu’improprement diphthongues ; mais, dans la première occasion, elles sont diphthongues propres, parce qu’elles sont diphthongues par rapport aux yeux & par rapport aux oreilles, qui sont les diphthongues propres, sont formées ou de deux voyelles qui sont dans une même syllabe, ou dont on entend le son particulier, ou de trois voyelles d’une même syllabe, lesquelles ne rendent que deux sons dans la prononciation. Dans cette dernière occasion, les diphthongues par rapport aux oreilles, sont triphthongues par rapport aux yeux.

Diphthongues Françoises par rapport aux yeux, æ, æthiopis, plante, æthites, pierre : ai, aigle, faire : ao, Laon, Faon, Saone : au, autour, vautour : ay, ayde, ayder.

Ea, jugea, mangea : eo, mangeons, jugeons.

Ei, feindre, peintre, dessein : eu, bonheur, heureux : ey, Leyde, ville de Hollande.

Ie, fier, lievre : io, devions, aurions, chanterions.

Oe, œsophage, œsype : oi, croire, boire : oo ne se trouve, dans notre langue, que dans les noms propres étrangers que nous avons conservés tout entiers, sans y rien changer, comme Verboom. Ces sortes de mots sont pris, pour l’ordinaire, de la langue Flamande : ces deux oo dans notre langue, n’ont d’autre effet que d’alonger la syllabe où ils sont ; ce que faisoient autrefois les deux aa dans certains mots, dont on en a retranché un dans la suite, comme aage, aagé, aujourd’hui, âge, âgé : ou, vous, vouloir : oy oyseau.

Ua, quand, quatrain : ue, quel, question : ui, qui, quitter, puisque, puissance : uo, quolibet, quotidien : uy, aujourd’hui.

Ya, Yachoranda, arbre. Dans la plupart des mots où l’on mettoit autrefois un y, aujourd’hui on met un i. Remarquez aussi que, dans les noms propres dérivés du Latin & du Grec, au lieu d’ae, on met aujourd’hui un é, Se qu’on écrit Enée, Egypte, Ethiopie, &c. & non pas Ænée, Æthiopie, Ægypte. On a cependant conservé l’æ dans quelques mots d’art ou de quelque science particulière, comme ætites, &c. mais, soit qu’on écrive ces mots avec un æ, ou avec un e, on doit savoir qu’ils sont dérivés des mots Grecs qui commencent par αι, comme Αἰνείας, &c. ou des mots Latins qui commencent par un æ, comme le même nom en Latin Æneas, &c.

Les diphthongues par rapport aux oreilles sont,

Eau, comme perdreau, faisandeau.

Ia, comme dialogue, diacre, &c. en prose.

Ie, comme fier, bien, rien, &c.

Ieu, Dieu, Dieux, Cieux, &c.

Io, jod, lettre Hébraïque, devions, aurions, &c.

Oe. quelquefois en vers, poëte, poëme.

Oei, œil, œillet, œillade.

Oi, croire, devoir, oiseau.

Oie, croient, voient.

Uei, accueil, orgueil.

Ui, puisque, puissance.

Ya, cette diphthongue ne se trouve que dans quelques mots étrangers, comme Yachoranda ; &, comme ces mots ne sont pas de l’usage ordinaire, peut-être nos Poëtes, s’ils étoient obligés de les faire entrer dans les vers, feroient-ils deux syllabes des lettres y & a.

Yeu, yeux.

Toutes les diphthongues que nous venons de rapporter, ne sont pas toujours diphthongues : les lettres qui les forment le séparent quelquefois en différentes syllabes. Il y a des mots où les deux ou trois lettres qui forment une diphthongue en prose, n’en forment pas en vers : alors il faut appuyer sur la première de ces lettres en lisant des vers, & couler doucement sur toutes les voyelles de la diphthongue, en lisant de la prose ou des vers où ces voyelles font une dipthongue ; par exemple.

Quand les ormes fuiront l’embrassement du lie-rre.

Corneille.

Le li-erre y croît au foyer. S. Amant.

Quelquefois les lettres qui forment uns diphthongue dans certains mots, n’en forment jamais dans certains autres : les lettres io sont une diphthongue dans les premières personnes de plusieurs temps des verbes, aurions, devrions, &c. les mêmes lettres dans les mots féminins terminés en ion sont une diphthongue en prose, & n’en sont pas une en vers. En voici des exemples.

Nous devions fuir l’amour, & c’eût été le mieux.

La Fontaine.

Nous attendions un sort plus heureux que le nôtre.

Racine.

Non je ne hais rien tant que les contorsi-ons,
De tous ces grands faiseurs de protestati-ons.

Molière.

On appelle ici diphthongues aux yeux, celles que d’autres Auteurs appellent diphthongues impropres ; & triphthongues, celles qui ont trois lettres, quoique le nom de diphthongue ne convienne proprement qu’où l’on entend deux sons dans une même syllabe ; & celui de triphtongue, où l’on entend trois sons dans une même syllabe.

Le mot de diphthongue vient du Latin diphthongus, formé du Grec δίϕθογγος, qui signifie la même chose.