Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DEVOIR

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 300-301).
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☞ DEVOIR. s. m. On entend généralement par-là ce à quoi nous sommes obligés par la loi, par la coutume, ou par la bienséance. Officium, partes, munus, officii munus. C’est ainsi qu’on dit faire son devoir. Remplir ses devoirs. Manquer à son devoir. Les devoirs de la vie civile, de l’amitié, de la bienséance. Les devoirs d’un sujet envers le Souverain, le devoir du Souverain envers ses sujets. Les devoirs d’un Chrétien. Il y a un certain ordre d’égards civils qui doit régler nos devoirs extérieurs par le mérite des rangs, de la condition, ou de la place des personnes avec qui nous avons à vivre ou à traiter dans le monde.

☞ Quelquefois même on entend par devoirs ; ces bienséances arbitraires, dont chaque peuple s’est formé un cérémonial à sa mode : mais il vaut mieux n’entendre par là que ces bienséances essentielles, commandées à tous les hommes par la voix de la nature, & dont l’exacte observation fait le plus beau spectacle de la société.

Dans le monde il faut satisfaire à une infinité de petits devoirs qui échappent à ceux qui agissent par humeur. Nicol. On passe la moitié de la vie à rendre mille petits devoirs que la coutume a établis, & à faire des complimens peu sincères. M. Scud. Lorsqu’une femme consulte le devoir plutôt que l’amour, c’est qu’elle appelle ce funeste devoir pour excuser son indifférence. S. Evr. Je ne prétends rien obtenir de la rigoureuse loi du devoir : je veux tenir tout de votre cœur & de votre passion. Mol. Chacun regarde son devoir comme un maître fâcheux dont il voudroit s’affranchir. S. Evr.

Quand je verrai ses yeux armés de tous leurs charmes,
Me souviendrai-je alors de mon triste devoir.

Racine.

Le devoir seul fera ce qu’auroit fait l’amour.

Corneille.

...Et vous devez savoir,
Que qui sert bien son Roi, ne fait que son devoir.

Idem.

Un honnête homme s’acquitte bien de tous les devoirs de la vie civile. Les jeunes gens regardent les devoirs de la vie comme un joug insupportable. S. Evr. Les devoirs d’un Chrétien sont d’une grande étendue. Ce Prince fait bien maintenir les peuples dans le devoir & dans l’obéissance.

☞ Le devoir est proprement une action humaine conforme à la loi qui nous en impose l’obligation. L’homme considéré par rapport à Dieu, dont il tient l’existence, considéré par rapport à lui-même, & enfin par rapport à la société avec ses semblables, a différens devoirs à remplir. Voy. Amour de Dieu, amour de foi-même, amour du prochain, sociabilité.

☞ Le devoir, dit M, l’Abbé Girard, dit quelque chose de plus fort pour la conscience ; il tient de la loi, la vertu nous engage à nous en acquitter. L’obligation dit quelque chose de plus absolu pour la pratique ; elle tient de l’usage. Le monde ou la bienséance exige que nous la remplissions. On manque à un devoir, on se dispense d’une obligation. Il est du devoir des Conseillers de se rendre au Palais pour remplir les fonctions de leurs charges ; & ils sont dans l’obligation d’y être en robe. Il est du devoir d’un Ecclésiastique d’être vêtu modestement ; & il est dans l’obligation de porter l’habit noir & le rabat. Les Politiques se font moins de peine de négliger leur devoir, que d’oublier la moindre de leurs obligations.

Faire bien son devoir, c’est faire bien ce que l’on fait, quelque chose que ce soit. Cet homme a bien fait son devoir, en parlant d’un repas où il étoit, signifie, qu’il y a bien mangé. Il fait bien son devoir à table. Ce Capitaine, ce Soldat a bien fait son devoir à cette attaque, c’est-à-dire s’est bien battu, & en brave homme.

On le dit aussi des animaux, & même des plantes. Ce cheval de volée fait bien son devoir, c’est à-dire, tire bien ; ou ne fait pas bien son devoir, c’est-à-dire, tire mal. Cet arbre fait très-bien son devoir. Les blés font très-bien leur devoir cette année, c’est-à-dire, rapporter beaucoup, être fort chargé, avoir beaucoup de fruit. Liger. Cela est bon en style de Jardinier.

Ce mot, selon du Cange, vient de deverium, qu’on a dit dans la basse Latinité pour signifier la même chose.

Devoir. Terme de Collège. Pensum. C’est ce que le Régent donne à faire à ses Ecoliers, en prose, ou en vers, en Grec, en Latin, en François, & c. Devoir, dans ce sens, signifie non pas obligation de faire quelque chose, mais la chose, ou l’ouvrage que les Ecoliers sont obligés de faire. Les Ecoliers disent, J’ai fait mon devoir. J’ai oublié mon devoir au logis. Je n’ai pas commencé mon devoir.

On appelle les derniers devoirs, les honneurs funèbres, les honneurs & les cérémonies qu’on fait aux enterremens, aux pompes funèbres des amis, des parens, ou des Princes. Justa persolvere.

On dit aussi, qu’un homme va rendre ses devoirs à quelqu’un pour dire, qu’il le va saluer, lui rendre visite. Salutare. En parlant de gens fort au-dessus de nous, on dit rendre ses respects.

On dit aussi, se mettre en devoir, pour dire, témoigner qu’on a volonté de faire quelque chose, se mettre en posture, en train d’exécuter, tant en bien qu’en mal. Accingere se ad aliquid. Il se mit en devoir de le frapper, il leva la main sur lui. Il se mit en devoir d’exécuter ses ordres.

Les Casuistes appellent devoir conjugal, celui que les conjoints sont obligés réciproquement de se rendre. Debitum. C’est ainsi que s’expliquent les Casuistes : on peut dire aussi ; mutuum conjugalis statûs officium. Ce mot est de S. Paul. i. Cor. VII. 3. Uxori vir debitum reddat ; similiter autem & uxor viro. C’est de cet Apôtre que les Casuistes l’ont pris. Le devoir conjugal est de satisfaire à l’intention du mariage. Les Rabbins ont réduit en taxe le devoir conjugal, & ont prétendu qu’un paysan s’en acquittoit en donnant une nuit par semaine à sa femme ; le voiturier & le marchand une nuit par mois ; le matelot deux nuits par an ; & qu’un homme de Loi acquéroit le droit d’être deux ou trois ans sans voir sa femme : & il n’y avoit point de mari qui fût taxé plus haut qu’à une fois la semaine. Solon ne les taxa qu’à trois nuits par mois. Charron s’est aussi mêlé de faire ces taxes.

Devoir de l’oiseau, se dit en termes de Chasse, de la portion ou curée du gibier qui est due à l’oiseau qui l’a pris. Accipitri pars prædæ debita.

Devoir Seigneurial. Les devoirs Seigneuriaux sont les marques de foi & hommage par lesquelles on reconnoît quelqu’un pour son Seigneur. Il y a des devoirs Seigneuriaux qui ont été abolis, parce qu’ils approchoient trop de la Souveraineté ; d’autres l’ont été parce qu’ils étoient contraires à la bienséance de nos mœurs.

On appelle Devoir Paschal, la Communion que chaque Chrétien doit faire tous les ans à sa Paroisse aux Fêtes de Pâque.

☞ On appelle devoirs en Bretagne, les droits qui s’y lèvent pour le Roi, & les octrois qui appartiennent à une Ville sur certaines marchandises. Il y en a de plusieurs sortes, qu’on trouvera sous leurs noms particuliers.

Devoir, v. a. Je dois, tu dois, il doit, nous devons, vous devez, ils doivent. Je devois. Je dus. J’ai . Je devrai. Je devrois. Que je doive. Que je dusse. Etre obligé envers quelqu’un à lui payer, soit argent, soit autre chose, à quelque titre que ce soit, par contrat, par obligation, &c. Debere. Il doit une somme d’argent qu’il ne pourra jamais payer. Il faut payer ce qu’on doit. Un tel me doit une rente. Vous me devez un setier de blé. Cet homme doit plus qu’il n’a vaillant. Térence a dit, animam debere.

Devoir se dit aussi en parlant des engagemens qui naissent des services, des bons offices qu’on a reçus de quelqu’un, & signifie, être redevable de quelque chose à quelqu’un. Acceptum aliquid alicui referre. Je vous dois la vie. On n’aime point à voir ceux à qui l’on doit trop, à qui l’on a de trop grandes obligations.

Je ne veux rien devoir à ceux qui m’ont fait naître :
Je suis assez connu sans les faire connoître. Corn.

Je devrai ma grandeur entière à mon courage. Id.

Pour moi, par une longue & triste expérience.
De cette illusion j’ai reconnu l’abus :
Je sais, sans me flatter d’une vaine apparence,
Que c’est à mes défauts que je dois mes vertus.

Devoir, signifie aussi être obligé à quelque chose par la Loi, par la coutume, par l’honnêteté, par la bienséance. Nous devons aimer Dieu de tout notre cœur. Un fils doit respect à son père. Un bon Citoyen doit obéissance aux Loix. Un Vassal doit hommage à son Seigneur. Un honnête homme doit tenir sa parole.

☞ On doit, il est nécessaire, il faut, dans une signification synonyme. La dernière de ces expressions, dit l’Abbé Girard, marque plus précisément une obligation de complaisance, de coutume, ou d’intérêt personnel. Il faut hurler avec les loups. Il faut suivre la mode. Il faut connoître avant que d’aimer.

☞ La seconde marque plus particulièrement une obligation essentielle & indispensable. Il est nécessaire d’aimer Dieu pour être sauvé, d’être complaisant pour plaire.

☞ La première est plus propre à désigner une obligation de raison ou de bienséance. On doit dans chaque chose s’en rapporter aux maîtres de l’art. On doit quelquefois éviter dans le public ce qui a du mérite dans le particulier.

☞ On se sert encore du verbe devoir 1o. Pour marquer qu’il y a quelque apparence qu’une chose est ou sera, comme quand on dit, à la vie que mène cet homme, il doit être bien riche. 2o. Pour marquer qu’une chose arrivera infailliblement, nécessairement. Tous les hommes doivent mourir. Debent corpora fato. 3o. On le dit de ce qu’on regarde comme probablement vrai, comme devant simplement arriver. On doit être bien en tel endroit. Il doit faire beau à la campagne. Mon correspondant doit avoir reçu ma lettre, ou doit la recevoir dans peu de jours.

4o. Il est d’usage pour marquer l’intention qu’on a de faire une chose. Comme quand je dis, je dois aller demain à la campagne. Je dois faire telle chose. Cras iturus sum, profecturus sum.

☞ On dit proverbialement, qu’un homme doit à Dieu & au monde, qu’il doit par-dessus la tête, qu’il doit plus d’argent qu’il n’est gros, qu’il doit au tiers & au quart, pour dire, qu’il est noyé de dettes. Ære alieno obrutus. On dit, Qui a terme, ne doit rien ; c’est-à-dire, qu’on ne lui peut rien demander alors ; que qui doit a tort ; pour dire, qu’il faut payer, ou être condamné aux dépens. On dit d’un homme qui fait grossièrement son devoir, qu’il semble que Dieu lui en doive de reste. On ne fait pas tout ce qu’on doit. Chose promise est due. Ce n’est pas tout que devoir, il faut payer. On dit aussi d’un valet qui s’amuse, qui est trop long-temps à faire un message, qu’il n’y a point d’huis qui ne lui doive un denier. Qui nous doit nous demande. Va où tu peux, mourir où tu dois. Acad. Fr.

Dû, ûe, part. Debitus.

. s. m. signifie la même chose que devoir, substantif. Munus, officium. Les Magistrats doivent bien s’acquitter du de leur charge.

, signifie aussi, la chose due. Res debita. Il faut prendre quelque hypothèque ou nantissement pour la sûreté de son . Ce créancier est des derniers, il perdra son . Style de Marchands ou de Palais.