Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DEVISE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 298-299).
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DEVISE. s. f. Terme de Blason. Ce mot se dit en général des chiffres, des caractères, des rebus, des sentences de peu de mots, & des proverbes, qui, par figure ou par allusion, avec les noms des personnes ou des familles, en font connoître la noblesse ou les qualités. Pictura cujus sensus, significatio, aut litteris, aut verbo, aut sententiâ innuitur. La devise, en ce sens, est d’un usage bien plus ancien que le Blason, & c’est d’elle que les Armoiries ont pris leur origine. Ainsi l’aigle a été appelée la devise de l’Empire. Le {{|S. P. Q. R.}} étoit la devise du peuple Romain, qui est encore aujourd’hui ce qu’on appelle l’Ecu de la ville de Rome. Les premières devises ont été de simples lettres semées sur les bords des cottes d’armes, sur les houssures & dans les bannières. Ainsi le K a été la devise de nos Rois nommés Charles, depuis Charles V jusqu’à Charles IX. Il y a eu aussi des devises par rebus, équivoques, ou allusions tant au nom qu’aux armes. Messieurs de Guise ont pris des A dans des O, pour signifier, Chacun à son tour. La Maison de Sénecei, In virtute & honore senesce. Morlais, S’il te mords, mord-le. Ceux qui ont eu des tours dans leurs Armoiries, Turris mea Deus, &c. Il y en a eu d’autres énigmatiques, ou à demi-mot, comme celle de la Toison d’Or, Autre n’aurai ; pour dire, que Philippe le Bon, qui institua cet ordre, renonçoit à toute autre femme qu’à Isabelle de Porcugal qu’il épousoit alors. Les devises contiennent quelquefois des proverbes entiers & sentences, comme celle de César de Borgia, Aut Cæsar, aut nihil. On met les devises des Armes dans des rouleaux, ou listons tout autour des Armoiries, ou bien en cimier, & quelquefois aux côtés & au-dessous, & celle des Ordres sur les colliers. Ces sortes de devises sont héréditaires dans les familles de ceux qui les ont prises.

Ce mot devise est très-ancien dans notre langue, & vient de dividere, diviser, & il se donnoit aux choses dont on vient de parler, & à celles dont on va encore parler ci-après, parce qu’elles servoient à diviser, à séparer, à remarquer, à distinguer les gens. Et le P. Ménétrier prétend qu’il y a autant de différentes espèces de devises, qu’il y a de différentes manières de se distinguer des autres, ou de figures sensibles, & de paroles capables d’exprimer les qualités, les emplois, les vertus, les actions, &c. des personnes, & de les faire connoître, ou distinguer des autres.

Devise, en termes de Blason, se dit de la division de quelques pièces honorables de l’Ecu. Quand une fasce n’a que la troisième partie de sa largeur ordinaire, elle s’appelle fasce en devise, ou devise seulement ; & il n’y en doit avoir qu’une en un Ecu. Minuta fascia. On le dit aussi du chef, lorsqu’on le pose en sa partie basse, & qu’il n’a que le tiers de sa largeur ordinaire ; & alors on l’appelle chef du second surmonté, ou charge de tant d’étoiles, de molettes, ou autres meubles semblables. Ce mot de devise s’est dit, parce qu’elle servoit à diviser, à séparer, & à remarquer les gens & les parties ; ce qui se faisoit par les habits, les livrées, les écharpes, & enfin par les paroles ou sentences particulières que les Chevaliers prenoient pour se faire remarquer. On les a ensuite posées sur les Ecus, d’où sont venues insensiblement les Armoiries. On disoit en vieux François, Faire sa devise ; pour dire, faire son testament ou la division de ses biens, comme on voit dans Villehardouin.

On a appelé aussi autrefois devise, les robes de deux couleurs, comme sont celles des Maires & Echevins, & des Huissiers & Bedeaux des Villes, des Paroisses & des Communautés des Marchands : & cela par la même raison qu’elles étoient divisées en deux couleurs. Vestis bicolor.

Les bornes des champs se nommoient autrefois devises.

Devise, se prend maintenant en un sens plus étroit, & signifie un emblème, qui consiste en la représentation de quelque corps naturel, & en quelque mot qui l’applique dans un sens figuré à l’avantage de quelqu’un. Symbolum heroïcum. Le tableau, ou la figure s’appelle le corps. Corpus. Et le mot, l’ame de la devise. Inscriptio. C’est une métaphore qui représente un objet par un autre avec lequel il a de la ressemblance. Ainsi une devise n’est vraie, que quand elle contient une similitude métaphorique, & qu’elle se peut réduire en comparaison. Enfin, c’est une métaphore peinte & visible, qui frappe les yeux. Il faut tout cela pour une devise : autrement une figure ne fait qu’un symbole hiéroglyphique & les paroles seules ne font qu’une diction, ou une sentence. De plus, les figures qui entrent dans la composition de la devise ne doivent avoir rien de monstrueux, ni d’irrégulier ; rien qui soit contre la nature des choses, ou contre l’opinion commune des hommes. Il ne faut pas aussi unir ensemble des figures qui ne se rencontrent point d’ordinaire, & qui n’ont nulle liaison d’elles-mêmes : car la métaphore doit être fondée sur quelque chose de réel & de certain, & non pas sur le hasard ou sur l’imagination. On en excepte les unions bizarres & chimériques établies dans les fables : l’usage & l’autorité des Poëtes les font passer pour naturelles. Le corps humain n’entre point dans les devises, parce que ce seroit comparer l’homme avec soi-même, que prendre un corps humain pour similitude. Il doit encore y avoir de l’unité dans les figures qui servent de corps. On n’entend pas qu’il n’y doive avoir qu’une seule figure ; mais, s’il y en a plusieurs, elles doivent le rapporter à une même, & être subordonnées l’une à l’autre, en sorte qu’il n’y en ait qu’une principale, de laquelle les autres dépendent. Mais moins il entre de figures dans le corps de la devise, & moins elles ont de confusion, plus le corps a de perfection & de beauté. Le corps surtout doit être noble & agréable aux yeux : une figure basse & difforme ne convient point à la devise.

Pour le mot qui anime la figure, il doit lui convenir si bien qu’il ne puisse convenir à un autre. C’est une règle générale de ne point nommer ce qui paroît, & ce que la seule vue fait entendre. Il ne faut pas même que le mot ait un sens achevé, parce que devant faire un composé avec la figure, il ne doit être nécessairement qu’une partie, & par conséquent ne signifier pas tout. Dès que les paroles seules ont une signification complette, on a une notion claire & distincte, indépendamment de la figure. La signification doit résulter de l’une & de l’autre ensemble. Plus le mot est court plus il a de grâce, & le sens suspendu des paroles, qui laisse quelque chose à deviner, fait une des principales beautés de la devise. Il y a du bonheur & de l’esprit à employer les paroles d’un poëte à une chose à quoi le Poëte ne pensa jamais, & de le faire si à propos qu’elles semblent faites exprès pour le sujet auquel elles sont appliquées, pourvu que ce soit sans estropier le vers. En général le mot d’une devise doit toujours être spirituel, & avoir je ne sais quoi qui pique, ou dans le sens, ou dans les paroles. Par exemple : pour exprimer qu’une personne se forme & se perfectionne par les disgrâces, l’on peut se servir d’une statue qu’une main taille avec le ciseau, en y ajoutant ces paroles, perficitur dum cæditur. Bouil.

On met des devises sur les monnoies, sur les jettons, sur les écus des Chevaliers, dans les ornemens, des arcs de triomphe, des feux d’artifice, & autres solennités. Les devises sont des espèces d’images qui représentent les entreprises de guerre, d’amour, d’étude, d’intrigue, de fortune, &c. Les François sont les premiers qui ont fait des devises, & les Italiens les premiers qui en ont donné les règles. Et parmi les Italiens Paul Jove est le premier qui ait donné l’art des devises. De Vign. Marv. Les Pères Ménétrier & le Moine, Jésuites, ont écrit de l’art des devises. Et le P. Bouhours en a fait le sujet d’un des entretiens intitulés, Entretiens d’Ariste & d’Eugène. Le P. Ménétrier a intitulé son Livre, La Philosophie des Images. Il y fait une longue énumération des Auteurs qui en ont écrit, dont il porte son jugement. Il dit que c’est avec le Cardinal Mazarin, qui aimoit les devises, que cet art passa en France, & que depuis on le cultiva. Cet Auteur ne veut point que l’on fasse des règles pour les devises. Le bon sens & les lumières naturelles, selon lui, suffisent.

Le même P. Bouhours, dans un Extrait inséré au Journal de Trévoux, expliquant plusieurs mots François qu’on a accoutumé de confondre, donne une explication courte & nette du mot de devise. C’est, dit-il, un composé de figures tirées de la nature & de l’art, lesquelles on appelle corps, & de paroles courtes, proportionnées à la figure, auxquels on donne le nom d’ame. C’est d’un composé de cette nature, dit le P. Bouhours, dont on se sert pour expliquer notre dessein, ou notre pensée, par comparaison ; car l’essence de la devise consiste dans une comparaison prise de la nature, ou de l’art, & fondée sur une métaphore. Un jeune Seigneur, également brave & ambitieux, eut, dans le dernier carousel de la Cour, une fusée en l’air, avec ce mot Italien, Poco duri, purche m’inalzi, dont le sens est, Je veux bien durer peu, pourvu que je m’élève. On peut faire là-dessus ce discours : de même que la fusée s’élève bien haut, quoique la durée en soit fort courte, il ne m’importe pas de vivre longs temps, pourvu que j’acquière de la gloire, & que je parvienne à une haute fortune ; ce qui forme une juste comparaison. Sur ce pied-là, la devise n’est autre chose, à la bien définir, qu’une métaphore peinte ; ou plutôt, c’est une énigme renversée. Car, au lieu que l’énigme représente la nature ou l’art par les événemens de l’histoire, & par les avantures de la fable, la devise est une représentation des qualités humaines & spirituelles par des corps naturels & artificiels. Ainsi, pour marquer le caractère de Louis le Grand, on a peint le Soleil, qui tout lumineux qu’il est, a encore plus de vertus que d’éclat ; &, pour mieux déterminer le sens de la peinture à cette signification particulière, on y ajoute ce mot Castillan, Mas virtud que luz. On a exprimé le mérite personnel d’une grande Reine par une grenade, avec ces paroles, Mon prix n’est pas de ma couronne. Et le talent d’un homme Apostolique, qui se fait tout à tous, par un miroir, avec ce mot de Saint Paul, Omnibus omnia.

☞ Nous avons dit que le corps humain n’entre point dans les devises, & c’est là une des principales différences entre la devise & l’emblème. Voy. Emblème.

Devise. s. f. ou Devis. s. m. Volonté, avis, service, être à la devise de quelqu’un. Gloss. des Poés. du Roi de Nav. Ces mots signifient aussi séparation, défaut. Ils sont vieux & inusités dans ces significations.

Devise. Autrefois ce mot s’est dit pour testament. Testamentum. Sa maladie crut & efforça tant, qu’il fit sa devise & son legs. Villehard.

Ce mot de devise vient de ce que par son testament on partage, on divise ses biens.