Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DEUIL

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 296-297).
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DEUIL. s. m. Tristesse qu’on sent dans le cœur pour quelque perte, ou quelque accident, ou pour la mort de quelque personne chère. Luctus, mœror. On a témoigné un grand deuil par toute la France à la mort de ce Prince, de ce Ministre : toute la Province étoit en deuil. L’Eglise sembla respirer après la mort de Julien, & quitta ses habits de deuil. Herman. Je ne suis en deuil que pour votre absence. Voit. Seigneur, pourquoi me laissez-vous dans le deuil & dans la tristesse sous l’oppression de mes ennemis ? Port-R.

Ménage tient que ce mot vient du Latin doleum, qui a été formé de doleo.

Deuil, est aussi l’habit que l’on porte pour marquer la tristesse qu’on a dans ces occasions fâcheuses. Vestis lugubris, vestimentum funebre. Le grand deuil se porte en France avec du drap noir sans ornemens, des manteaux longs, du linge de Hollande uni, & du grand crêpe : les veuves le portent avec un bandeau & un grand voile de crêpe. Le petit deuil se porte avec serge ou crépon, & des rubans bleus & blancs mêlés avec du noir. Le Roi & les Cardinaux portent le deuil en violet. En Castille, à la mort des Princes, on se vêtoit de serge blanche pour porter le deuil. On le fit pour la dernière fois en l’année 1498, à la mort du Prince Dom Jean, fils unique du Roi Ferdinand & d’Isabelle, comme dit Herrera. A la Chine on le porte avec des habits blancs. Il dure trois ans, & fait vaquer toutes sortes de charges & de magistratures. En Turquie on le porte en bleu, ou en violet ; en Egypte en jaune, ou en feuille morte ; en gris chez les Ethiopiens ; en noir en Europe : mais on tend de blanc, du moins en France, pour les filles qui ne sont pas mariées. Au Pérou on le portoit de la couleur de gris-de-souris. Rabelais le fait porter en verd. Les Dames Argiennes & Romaines portoient le deuil en blanc. Mont. Les habits de deuil étoient noirs au IVe siècle. De Tillem. Hist. des Emp. T. V. p. 233. Que dis-je ? Dès le commencement du IIe siècle Hadrien fut neuf jours habillé de noir pour la mort de l’Impératrice Plotine.

Chaque nation croit avoir de bonnes raisons, d’avoir choisi une certaine couleur particulière pour marquer le deuil. Le violet, étant une couleur mêlée de bleu & noir, marque d’un côté la tristesse, & de l’autre ce qu’on souhaite aux morts, c’est-à-dire, le séjour du Ciel ; ce que prétendent aussi marquer ceux qui portent le bleu. Le blanc marque la pureté. Le jaune ou feuille-morte, fait voir que la mort est la fin des espérances humaines & de la vie, parce que les feuilles des arbres quand elles tombent, & les herbes quand elles sont flétries, deviennent jaunes. Le gris signifie la terre où les morts retournent. Le noir marque la privation de la vie, parce qu’il est une privation de lumière.

On appelle aussi le deuil, la parenté qui assiste à un enterrement vêtue de deuil. Pompa funebris. C’est toujours celui qui est le plus qualifié qui mène le deuil. Funus ducere.

Deuil, se dit encore de la dépense que l’on fait pour acheter tout ce qui est nécessaire pour prendre le deuil. On donne une somme aux veuves pour leur deuil. Voy. Donner le deuil, plus bas.

En droit on appelle l’année de deuil, l’année de viduité, pendant laquelle si la veuve se remarie, elle perd les avantages que lui a faits son mari. Viduitatis annus.

Deuil, se prend généralement pour le temps que dure le deuil. On a abrégé les deuils.

☞ On le dit encore des étoffes ordinairement noires, dont on tend une chambre, une Eglise. Tendre une chambre de deuil ; carrosse de deuil. Acad. Fr.

On dit, donner le deuil, chez les Grands, en parlant de l’habit qu’on donne aux Officiers & domestiques pour porter le deuil du maître, ou de l’argent qu’on leur donne pour ce sujet. Pullatam vestem, pullatæ vestis pretium largiri, erogare. On appelle un deuil de Cour, une mode qui vient, de s’habiller de deuil dans la ville, parce qu’on le porte à la Cour pour la mort de quelque grand Prince. Induere vestem pullatam ob mortem viri Principis. Ainsi on a dit dans une Comédie :

Aussi fier qu’un bourgeois qui porte un deuil de Cour.

On dit, proverbialement, le deuil sur la fosse ; pour dire, exécuter promptement & sur le champ une partie de plaisir, ou payer ce qu’on a perdu au jeu, ou en autres semblables occasions. On dit aussi qu’un homme porte le deuil de sa Blanchisseuse, quand il porte du linge sale. On appelle aussi un deuil joyeux, celui qu’on porte d’une personne qu’on n’aimoit guère, ou dont on hérite beaucoup.