Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DESTIN

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 280-281).
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DESTIN. s. m. ou Destinée. s. f. Ordre, suite, disposition, ou enchaînement de causes secondes ordonné par la Providence, qui emporte une nécessité de l’événement. Fatum, fatalis necessitas. Le destin n’est autre chose que la volonté absolue de Dieu. P. Le Boss. Selon quelques Philosophes Payens, le destin étoit une vertu secrette & invisible, qui conduit avec une sagesse incompréhensible ce qui nous paroît fortuit & déréglé ; & c’est ce que nous appelons Dieu. Thomassin. Les Stoïciens entendoient par la destinée, un certain enchaînement de toutes choses, qui se suivent nécessairement, & de toute éternité, sans que rien puisse interrompre la liaison qu’elles ont entr’elles. Ils soumettoient les Dieux mêmes à la nécessité de cette destinée. Ceux qui substituent la Providence en la place de la destinée, expriment l’idée des Stoïciens, revêtue de termes Chrétiens. Mais ils définissent plutôt ce que le mot de destinée devoit signifier, que ce qu’il signifie dans le langage commun. Car les Stoïciens n’avoient nulle idée distincte de cette puissance à laquelle ils attribuoient les événemens. Ils n’avoient qu’une idée vague & confuse d’un je ne sai quoi chimérique, & d’une cause inconnue à laquelle ils rapportoient cette disposition invariable, & cet enchaînement éternel de toutes choses. Il n’y a aucun être réel à qui l’on puisse donner le nom de destinée. Les Philosophes qui en avoient fabriqué l’idée, supposoient qu’elle existoit, sans savoir pourtant précisément ce qu’ils entendoient par cette fatalité inévitable. Les hommes n’osant d’un côté imputer à la Providence les malheurs qu’ils prétendoient leur arriver injustement, & de l’autre ne voulant point reconnoître que c’étoit leur faute, formèrent le fantôme du destin, pour le charger de tout le mal. Ainsi tous les malheureux se plaignent de la destinée, & ils adoptent ce jargon si commun, sans examiner quelle est cette destinée, contre laquelle ils déclament sans cesse. Id.

Le bien nous le faisons ; le mal, c’est la fortune ;
On a toujours raison, le destin toujours tort. La Font.

Destin, ou Destinée, Dans ce sens, se prend pour nécessité inévitable, à laquelle chacun est assujetti. C’est le destin général des hommes de mourir. Achever le cours de sa destinée. On dit communément qu’on ne peut vaincre la destinée.

Destin, ou Destinée, signifie assez ordinairement, le sort, la fortune, de chaque personne ou de chaque chose. Sors, conditio, fatum. Se faire un beau destin Ablanc. Le privilége des Rois c’est de pouvoir tout impunément, & d’être les arbitres suprêmes de la destinée des peuples. S. Evr. C’est à ceux-là à combattre qui peuvent mourir sans qu’il en coûte rien qu’à eux ; mais pour vous dont la vie renferme la destinée de tout le monde, vous ne devez point courir au péril. Bouh. Quand on ne peut se faire sa destinée, il faut s’y abandonner sans murmure. S. Evr.

Suivre en paix son destin, & laisser faire aux Dieux,
C’est toujours le plus sûr, & le plus glorieux. Quin.

Les Dieux ont à mes jours
Attaché le bonheur de votre destinée. Racine.

Destin & Destinée, se disent aussi de ce qui arrive ordinairement de bien ou de mal. Sors, fatum, conditio. C’est le destin des malheureux d’avoir toujours tort : c’est un prétexte pour les abandonner. S. Evr. C’est la destinée des Poètes d’être toujours gueux. C’est la destinée des bons Ouvriers d’être débauchés.

Fuis le honteux destin de te voir, sans génie,
D’un bon original la mauvaise copie. Vill.

Destin & Destinée. Ces mots se trouvent souvent dans la Poësie pour une Divinité qui règle le destin, ou la destinée, en prenant ces mots pour un ordre, une suite d’événemens. Les Poëtes mettent le destin au-dessus de tous les Dieux. Jupiter lui-même obéit à ses ordres.

De cet obstacle, hélas ! Jupiter n’est point cause.
Dans cet arrêt par lui contre un fils prononcé,
Il n’est que du Destin l’interprète forcé.
Nouv. ch. de Vers.

Accourez, Parques immortelles,
Et vous Destins impérieux,
Qui, par des loix éternelles,
Réglez le sort des hommes & des Dieux.
P. du Cerceau.

Ô Ciel ! ô saintes Destinées !
Qui prenez soin de ses jours florissans,
Retranchez de nos ans
Pour ajouter à ses années. Racine.

Destin, Fortune, sort, hasard, dans une signification synonyme. Le hasard, dit M. l’Abbé Girard, ne forme ni ordre, ni dessein ; on ne lui attribue ni connoissance, ni volonté, & ses événemens sont toujours très-incertains.

☞ La fortune forme des plans & des desseins, mais sans choix ; on lui attribue une volonté sans discernement ; & l’on dit qu’elle agit en aveugle.

☞ Le sort suppose des différences & un ordre de partage ; on ne lui attribue qu’une détermination cachée, qui laisse dans le doute jusqu’au moment qu’elle se manifeste.

☞ Le destin forme des desseins, des ordres & des enchaînemens de causes ; on lui attribue, la connoissance, la volonté & le pouvoir ; les vues sont fixes & déterminées.

☞ Le hasard fait. La fortune veut. Le sort décide. Le destin ordonne.

☞ Tout ce qui est écrit dans le livre du destin est inévitable ; parce qu’on ne peut ni forcer son tempérament, ni voir au-delà de la portée de ses lumières, voyez Fatal, Fatalité, Fatum.