Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DENT

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 227-229).
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☞ DENT. s. f. Dens, quasi edens, parce que les dents servent à manger. Petit os très-dur & très-compact, enchassé dans des loges particulières des gencives, qu’on nomme alvéoles, & qui sert aux hommes & aux animaux à briser, mâcher & broyer les alimens. L’homme & la plupart des animaux ont deux rangs de dents : l’homme a pour l’ordinaire 32 dents, 16 à la mâchoire supérieure, autant à la mâchoire inférieure.

☞ Les dents incisives, ainsi nommées parce qu’elles servent à couper les alimens, placées au nombre de quatre à la partie antérieure de chaque mâchoire sont appelées par quelques-uns premières ou dents de primeur, parce qu’elles paroissent les premières. Dentes priores, adversi. Quelques Médecins les appellent gélasines ou rieuses, ridentes, parce qu’on les montre quand on rit.

Il y a deux dents canines que le vulgaire appelle œillères, parce qu’une partie du nerf qui fait mouvoir les yeux, y est engagée, d’où vient le danger de les arracher. Dentes canini. Les dents incisives & canines n’ont qu’une racine ; les autres en ont deux, & quelquefois trois & quatre. Il y a dix dents mâchelières ou molaires. Celles de derrière s’appellent dents de sagesse, parce qu’elles viennent à l’âge de discrétion, vers l’âge de 20 ans. Maxillares, molares. Voyez Molaires. Les dents ont leurs veines & artères. Ce sont les seuls os qui croissent dans les animaux jusqu’à leur extrême vieillesse. M. de la Hire observe que l’émail des dents, qui est une substance bien différente de celle des dents, est la seule patrie des dents qui croît. On appelle dents de lait, les premières dents qui viennent aux hommes, & dont plusieurs tombent pour l’ordinaire. Denticuli, dentes lactei.

Quelques-uns sont nés avec toutes leurs dents, comme Marcus Curius Dentatus, & Cneïus Papirius Carbo. D’autres n’ont eu qu’une dent continue tout le long de la mâchoire, comme Pyrrhus, Roi des Epirotes, Prusias, fils du Roi de Bythinie. D’autres ont eu deux ou trois rangs de dents, comme quelques-uns l’ont dit d’Hercule. Les dents sont revenues à quelques-uns en vieillesse. Mentzelius, Médecin Allemand, dit qu’il a vu un vieillard à Clèves, en 1666 âgé de 120 ans, à qui les dents étoient revenues deux ans auparavant avec grande douleur, & qu’en même temps il se trouva un Anglois à la Haye à qui pareillement les dents étoient revenues en sa 118e année.

Un Médecin Danois, nommé Hagerup, a soutenu dans une thése que l’on peut entendre avec les dents. Sa preuve est que, si l’on met dans un clavecin un couteau, & qu’on le serre entre ses dents, on entend l’harmonie du clavecin, quoiqu’on ait les oreilles bouchées. De même les sourds ouvrent quelquefois la bouche pour entendre, & entendent effectivement. Mais on doit attribuer cet effet à la communication de l’oreille interne avec la bouche. Voy. Ouïe & Oreille. Martin Scochius dans son Traité du beurre, prétend qu’il n’y a point de meilleur moyen pour conserver les dents, & les avoir belles, que de les frotter tous les matins de beurre. Mais cet opiat n’est guère moins dégoûtant que celui des Espagnols, qui se les lavent tous les matins avec de l’urine. Pour le mal de dents, une pâte faite avec de la mie de pain & de la graine de Stamonia mise sur la dent malade, en engourdit la douleur. Let. éd. et cur.

On dit qu’on a les dents molles, lorsqu’elles ne sont pas avec leur fermeté ordinaire, & lorsqu’elles sont agacées par quelque acidité. La maladie des dents, c’est la carie qui les pourrit, qui les creuse, qui les fait tomber par pièces. Dens cariosus, putridus, corruptus. Le mal de dents est seulement une fluxion sur les gencives fort douloureuse. On dit que c’est Esculape qui a trouvé le premier le moyen d’arracher les dents. Les Poëtes appellent les dents blanches & bien rangées, des dents d’yvoire, des rangs de perles, un beau ratelier de dents. A Cumana vers Mexique, les peuples sont curieux d’avoir des dents noires, & regardent ceux qui ont les dents blanches comme des efféminés. Aux Indes Orientales ils les rougissent à cause du bètel & de l’aréca qu’ils mâchent incessamment.

On dit que les dents percent à un enfant quand elles lui viennent, qu’elles commencent à paroître parce qu’alors elles percent la chair ou la peau des gencives, & sortent dehors. Les enfans sont malades, & ont la fièvre, quand les dents leur percent. Dentitio, dentire. On dit ordinairement que la plupart des enfans meurent aux dents, pour dire, qu’ils meurent quand les dents leur viennent. Acad. Fr.

On dit, arracher les dents, nettoyer les dents, limer les dents, écarter ou desserrer les dents, boucher les trous des dents, remplacer les dents, ou en mettre d’artificielles à la places des naturelles qui sont tombées, ou qui ont été arrachées. On dit qu’une dent tombe, quand elle se détache d’elle même : qu’elle est arrachée, quand pour la détacher, & l’ôter de sa place, on emploie quelque instrument, quand on use de force. Une dent avance ou pousse en dehors, non pas quand elle s’eleve plus haut, ou qu’elle descend plus bas que celles qui sont à côté, mais quand la tablette extérieure de la dent qui touche à la lèvre s’avance plus en dehors que celle des autres dents. Alvéole de la dent, c’est le trou où la dent est enchassée. Tablette de la dent, est la face plate de la dent, tant la face intérieure qui est du côté de la bouche, que l’extérieure, qui est du côté des lèvres, & qui se voit quand on rit. Nerf de la dent, est un nerf qui tapisse le fond de l’alvéole de la dent. Racine de la dent sont des alongemens de l’os de la dent en forme de racine, qui servent à l’attacher à la mâchoire & à la tenir ferme dans son alvéole. Opérateur pour les dents, est un homme qui s’occupe uniquement de la cure des dents. Arracheur de dents, Dentiste. Une sur-dent, est une dent surnuméraire, qui pousse à l’une ou à l’autre mâchoire soit en dedans, soit en dehors, & qui n’est ni du nombre des autres, ni placée comme elles. Une fausse dent est une dent artificielle qu’on met à la place d’une dent naturelle qui manque. Il y a de vieilles femmes qui portent un ratelier tout entier de fausses dents. Les fausses dents se font ordinairement d’ivoire, mais, parce que l’ivoire jaunit en peu de tems dans la bouche, Fabricius conseille de les faire de l’os du jarret d’un bœuf. La coutume de mettre des dents d’ivoire à la place de celles qu’on a perdues, & de les lier avec un fil d’or, est très-ancienne ; les Romains en ont usé, Lucien & Martial en parlent. De Vign. Marv. Guillemeau donne la composition d’une certaine pâte pour faire de fausses dents : Il faut prendre de la cire blanche égrenée, & la faire fondre avec un peu de gomme élémi, y ajouter des poudres de mastic, de corail blanc & de perles. Cet Auteur prétend qu’avec cette pâte on peut former des dents artificielles qui ne jauniront jamais, & qui pourront remplir parfaitement les trous où on les mettra. Voyez Dionis sur les opérations qui se font aux dents.

Les dents, quoique séparées du corps avant la mort, étoient anciennement regardées comme des restes précieux que l’on avoit soin d’enfermer avec les cendres & les ossemens dans les urnes sépulchrales des défunts. Cohausen Ossilegium Historico-phys. Il est faux que les dents soient les seules parties du corps humain qui ne se consument point par le feu, comme l’a cru Riolan, trompé sans doute par l’autorité de Pline. On n’en a trouvé que deux dans les anciens tombeaux de Westphalie, encore l’une est-elle demi calcinée par le feu. Id.

Quant aux animaux, il y a quelques poissons qui ont des dents sur la langue comme les truites. La morue a des dents au fond du gosier, ce sont des pointes en quelque façon pareilles à celles qui sont sur la langue du lion, tournées vers le gosier. Les lamies ont six rangs de dents. Le grand chien de mer, qu’on appelle canis carcharias, a quatre ou cinq rangs de dents à chaque mâchoire dont quelques-unes ont un pouce de long, & sont extrêmement dures, tranchantes & pointues. Le requin a trois rangs & les crocodiles en ont trois toutes canines, n’ayant ni incisives ni molaires. Elles sont d’une dureté & d’une blancheur extraordinaire, d’une figure ronde, pointues & cannelées, comme une colonne Dorique & disposées de telle sorte, qu’il y a autant de plein que de vide. Aristote a cru qu’il n’y avoit que le scarus qui eût des dents propres à broyer, quoiqu’on en trouve en d’autres poissons. Les sèches n’ont point de dents, non plus que les crapauds, & ne laissent pas de mordre. Les vipères & les grenouilles de mer ont deux grandes dents canines, qui sont mobiles, & d’ordinaire couchées, & qui se relèvent, quand elles veulent mordre. Les dents du sanglier sont tournées en demi-cercle, & sont à trois pans comme un prisme. On tient que les licornes sont les dents d’un gros poisson. Voyez Licorne. La dent du brochet est venimeuse, & fait partie de sa mâchoire Les dents d’éléphant sont de grosses défenses pointues que cet animal porte en dehors, & qui font l’ivoire. Cardan prétend qu’on les peut amollir comme la corne de bœuf.

En termes de Manège, on dit que les dents du cheval marquent son âge. Il a 40 dents, 24 mâchelières au fond de la bouche, au-delà des barres, 12 de chaque côté du canal, rangées six dessus, & six dessous ; elles ne tombent jamais, & ne servent point à la distinction de l’âge : 12 de lait, qui sont sur le devant de la bouche, & quatre qu’on nomme les crocs. On nomme aussi les pinces, les quatre de devant, les quatre d’après sont les mitoyennes ; les quatre suivantes, les coins. On dit qu’un cheval met ses dents, qu’il change ses dents, & qu’il a mis ses coins, ou ses pinces, quand il pousse ses coins ou ses pinces au lieu de ses premières dents. A mesure qu’elles poussent elles indiquent les années du cheval. Les coins qui sont plus avant dans la bouche que les autres dents, sortent de la gencive à cinq ans. Alors ils deviennent creux, & marquent ordinairement jusqu’à 7 ou 8 ans, c’est-à-dire que ce creux où il y a une marque noire, qui ressemble à une fève, commence à se remplir, & la marque à s’effacer.

Dent de loup, chez les ouvriers, est celle qui leur sert à polir leur ouvrage.

On appelle aussi dent de loup, les gros clous ni attachent les poteaux des cloisons. Il faut mettre deux dents de loup à chaque poteau.

Dent de rat, terme de Rubannier. Petit ornement qui se forme sur les lisières de plusieurs ouvrages. Il ressemble assez à la denture d’une scie ; mais l’usage est de le nommer dent de rat. Encyclop.

Dent de peigne, chez les Tisserands ou dent de rot. Voy. Peigne & Rot.

En Sculpture on appelle dent de chien, un ciseau fendu par le bout, qui se divise en deux pointes. On l’appelle autrement double pointe. C’est aussi un instrument de Doreur.

Dent, se dit aussi par extension de plusieurs pointes ou entaillures qui sont faites en forme de dents. Denticulus. Les Médecins donnent le nom de dent à la seconde vertèbre du cou, à cause de sa figure. On dit qu’un couteau, ou autre ferrement taillant, a des dents, quand il est ébréché. Les dents d’une scie, d’un peigne de serans, d’une roue de moulin, d’une horloge, d’une lime, d’un râteau, d’une herse. On dit aussi les dents d’une clef, en parlant de ces entaillures, qui sont dans le panneton au museau de la clef, & dans lesquelles passent les gardes.

On appelle aussi dents de passement, ces petites pointes d’ouvrages qui avancent sur les bords d’un passement. Denticuli.

☞ On le dit aussi, en Botanique, des petites échancrures que l’on voit au bord de quelques feuilles ; & l’on dit des feuilles ainsi échancrées qu’elles sont dentelées.

☞ On dit figurément & familièrement, la dent de la médisance, de la satire, pour dire, médire de quelqu’un, ou dire quelque mot qui l’offense, qui le pique.

Dent, se dit proverbialement en plusieurs phrases. Arracher une dent à quelqu’un, pour dire, tirer de lui quelque argent, ou autre chose qu’il est contraint de donner malgré lui. On dit qu’on prendroit aussi tôt la lune avec les dents, pour dire, qu’une chose est impossible. On dit d’un homme qui a bien faim, qu’il a les dents bien longues ; de celui qui est pauvre, qu’il n’a pas de quoi mettre sous la dent ; d’un goulu, qu’il mange de toutes ses dents ; qu’il a beau être malade, qu’il n’en perdroit pas un coup de dent ; que ce qu’on lui donne n’est pas pour sa dent creuse. On dit aussi, qu’il n’en cassera que d’une dent, qu’il n’en croquera que d’une dent, pour dire, qu’il ne mangera point de quelque chose, ou qu’il n’obtiendra point ce qu’il prétend. On dit aussi, avoir une dent de lait contre quelqu’un, ou simplement une dent, pour dire, avoir quelque ressentiment contre lui. On dit montrer les dents à quelqu’un, pour dire lui resister en face, lui témoigner qu’on ne le craint pas. On dit aussi, lui parler des grosses dents, pour dire, le menacer. On dit, malgré lui, malgré ses dents, pour dire, quelque empêchement qu’il puisse y mettre, ou apporter. On dit aussi, déchirer quelqu’un à belles dents, pour dire, médire cruellement de lui. On dit encore, parler, murmurer entre ses dents, pour dire, tout bas & sans vouloir être entendu : & on dit rire du bout des dents, quand on rit par force & sans en avoir envie. On dit aussi, qu’un homme n’a pas desserré les dents, pour dire, qu’il n’a dit mot. Prendre le mors aux dents, ou le frein, se dit au propre du cheval qui s’emporte. On le dit, au figuré, dans des acceptions différentes 1o D’un homme qui s’abandonne, qui secoue le joug de la règle, de la loi, de la bienséance. 2o. D’un homme, qui, après avoir enduré de quelqu’un, s’affranchit de la sujétion. 3o. De celui qui, après avoir négligé son devoir ou ses affaires, s’y porte avec ardeur. On dit qu’on est sur les dents, que le grand travail a mis quelqu’un sur les dents, pour dire, qu’il est las & fatigué, qu’il n’en peut plus ; & on dit d’un agonisant, qu’il a la mort entre les dents. On dit, pour se moquer d’un pédant, qu’il est savant jusqu’aux dents. Ce proverbe vient de ce qu’autrefois on ne tenoit personne pour savant, jusqu’à ce qu’il fût passé Docteur : ce qui ne se faisoit qu’après de fort grands repas, ou l’on exerçoit bien ses dents. Depuis on y a ajoûte, qu’il a mangé son Bréviaire. On dit d’un Cavalier armé de toutes pièces, qu’il est armé jusqu’aux dents. On dit ironiquement d’une vieille sans dents, qui a perdu toutes ses dents, qu’elle n’a pas une dent en bouche. Au contraire, on dit d’un vieillard qui se porte bien, qu’il a encore toutes ses dents, qu’il a de bonnes dents. On dit de celui qui a quelque dent qui avance plus que les autres, que c’est Geoffroy à la grand’dent ; & de celui qui est mort, il y a long-temps qu’il n’a plus de mal aux dents. On dit aussi aux enfans qu’une chose a des dents, qu’elle mord quand on la manie, lorsqu’ils sont en danger de se blesser. Ses composés Trident, curedent, brèchedent, daquedent, Surdent, Tire-aux-dents, sont à leur ordre.

☞ Dans la plupart de ces phrases proverbiales le mot dent est pris dans un sens figuré.

En termes de Philosophie Hermétique, les dents du dragon que Cadmus sema, & dont il naquit des soldats qui s’entretuerent, signifient le fixe & le volatil qui agissent l’un contre l’autre, qui se détruisent l’un l’autre.