Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DENIER

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 221-223).
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DENIER. s. m. Nom d’une ancienne monnoie d’argent, qui a été de diverse valeur suivant les lieux & les temps. Il paroît que le denier Romain, ou la dragme, qui étoit la même chose, suffisoit pour entretenir honnêtement une personne par jour. Ainsi comme le denier comprenoit douze as, on a quelque raison de prendre les as pour des sous. Tillem. Si cet Auteur a voulu dire que le denier valoit 12. sous de notre monnoie, il se trompe ; il valoit beaucoup moins, comme on va le voir. Le denier courant d’argent du temps de Jesus-Christ valoit trois sous & demi, monnoie de France, selon Budée. Jesus-Christ fut vendu trente deniers ; ces deniers servirent depuis à acheter un champ. Le premier denier Romain étoit d’argent du poids juste d’une drachme, ayant d’un côté l’empreinte de Janus, & de l’autre la figure du vaisseau qui l’avoit porté en Italie. Sur les premiers revers de la monnoie de Rome étoient Castor & Pollux, ou une Victoire poussant un chariot à deux ou quatre chevaux : ce qui les fit appeler deniers bigati, ou quadrigati, selon le revers ; on les avoit nommés auparavant ratiti, à cause du vaisseau qui se nomme ratis. Originairement le denier chez les Romains valoit dix as, ou quatre sesterces, dont chacun valoit deux livres & demie ; d’où vient qu’il a été appelé denarius, & qu’on le marquoit avec un X. Le denier consulaire valoit plus que le denier impérial. Le premier pesoit la 7e partie d’un once, & valoit 9. ou 10. sous de notre monnoie. Le second pesoit seulement la 8e partie d’une once, c’est à-dire, qu’il auroit valu 7. ou 8. sous monnoie de France, comme le prétendent quelques Savans, & avec raison.

Anciennement en France le denier se prenoit pour toute sorte de monnoie. Ainsi une pièce monnoyée d’or étoit appelée denier d’or ; & si elle étoit d’argent, on l’appeloit denier d’argent, comme on a dit en Latin nummus aureus, & nummus argenteus. Il y a eu des deniers tournois & des deniers parisis, dont ceux-ci valoient un quart davantage, & étoient appelés monnoie Royale, ou forte monnoie ; & alors quand on disoit un denier à valeur d’or, ou un denier d’or, cela ne vouloit pas dire que le denier fût d’or, mais seulement qu’il étoit parisis ou forte monnaie, valant un quart plus que le tournois, parce que l’évaluation de l’or étoit alors plus forte que celle de l’argent, comme il a été jugé par plusieurs arrêts. Il y a eu vers l’an 1308. des deniers d’or à la chaise valant 25. sous, des deniers d’or à la masse valant 22. sous six deniers ; & des deniers d’or à la Reine, valant 16. sous 8. deniers, &c. Ils ont été souvent nommés florins. Il y a eu aussi des deniers & sous Viennois, Lonisiens, Donisiens, Tolosains, Mansois, blancs, forts, nerets, Bourdelois, Barois, &c. qui ont changé de valeur suivant les temps & les lieux où ils ont été fabriqués. Il y a eu des deniers blancs en l’an 1348. appelés gros, qui valoient quinze deniers. Les deniers Mansois valoient le double des Normands : d’où vient qu’on a dit qu’un Manseau valoit un Normand & demi. En général le denier a signifié la douzième partie d’un sou appelé solidus, non pas en la signification où nous le prenons maintenant, mais comme signifiant un tout, ou une chose entière qu’on divisoit en douze parties, de la même manière que l’as des Romains signifioit un héritage entier.

Le denier d’Angleterre, sur la fin du XVe siècle, étoit une monnoie qui valoit la quatre vingtième partie d’un Noble ou Angelot, & quatre deniers valoient un gros. Lobineau, Hist. de Bret, T. I. L. XXI. p. 793.

Denier de gros, c’est aussi une monnoie de compte, en usage en Hollande, en Flandre & en Brabant.

Denier, en France, se dit maintenant d’une petite monnoie de cuivre qui vaut la moitié d’un double, & la douzième partie d’un sou. Denarius Francicus. On a décrié les doubles, ils ne valent plus qu’un denier. Un sou tournois vaut douze deniers ; un blanc cinq deniers ; un carolus dix deniers. Un denier se subdivise en deux mailles, & la maille en deux oboles. Je n’ai ni denier ni maille ; pour dire, je n’ai point du tout d’argent. On reprochoit un jour à un Evêque avare, que, si sa bénédiction valoit un denier, il ne la donneroit pas.

Ce mot, selon quelques-uns vient de æneus, parce que les deniers sont de cuivre. Mais il est évident que denier vient du latin denarius ; & Bouteroue dit que le mot denarius, denier, a été dit, parce qu’il valoit dix as, sur ce que Polybe dit qu’on donnoit une mine ou livre d’or pour dix d’argent, & qu’il y a apparence que ce fut en ce temps-là que le nummus aureus fut nommé denier, puisqu’il valoit dix deniers d’argent ; comme on appela celui-ci denier d’argent, à cause qu’il valoit dix deniers de cuivre, ou as. Ainsi la taille du denier d’or étoit alors de 40. à la livre, Voy. dans cet Auteur, des tables de divisions de la livre Romaine, de l’as Romain, des deniers d’argent, & des deniers de cuivre. Le nom de denier François a été donné à nos espèces à l’imitation des Romains, qui l’avoient donné à leurs premières monnoies d’argent qui furent fabriquées l’an 485. de sa fondation de Rome sous le Consulat de Fabius, selon le témoignage de Pline.

Denier, & plus souvent deniers au pluriel, se prend communément parmi nous pour toutes sortes de monnoies dont on se sert dans le commerce. Ainsi on entend par deniers comptans toutes les espèces qui ont cours en France, soit qu’elles soient d’or, d’argent ou d’autre métal. Pecunia. Les deniers sont meubles de leur nature, mais par une destination particulière ils peuvent être réputés immeubles.

On appelle deniers dotaux, l’argent qu’apporte une femme en mariage. Deniers pupillaires, c’est le revenu des biens des pupilles. On appelle deniers oisifs, l’argent qui ne porte point d’intérêt. Un Tuteur paie l’intérêt des deniers oisifs. Pecunia otiosa, par opposition avec pecunia quæstuosa, qui porte intérêt. Des deniers clairs & liquides, sont les sommes qu’on peut recevoir quand on veut, & sans contestation. Ceux qui reçoivent les deniers publics sont sujets aux recherches de leurs malversations. Les offres réelles se font en deniers à découvert. Pecunia præsenti numerata. Les paiemens en deniers ou quittances. Il faut faire mention que cette terre a été achetée de mes deniers, afin d’y conserver une hypothèque privilégiée. On dit aussi, les deniers revenans bons, de ceux qu’on retire, toutes charges faites. Faire bons les deniers, c’est garantir la somme. Deniers d’entrée sont ceux qu’on avance en entrant dans une ferme. Francs deniers, c’est-à-dire, exempts de toutes déductions. En la Coutume de Meaux, si l’on ne vend un héritage deniers francs au vendeur, c’est lui qui est tenu des lods & ventes. On appelle chez le Roi, le Maître de la Chambre aux deniers, celui qui préside au Bureau où se donne l’ordre de la dépense de la Maison du Roi.

Deniers d’octrois, sont certains droits accordés par le Roi aux villes & Communautés, pour servir à acquitter les dettes, & à fournir à tems besoins & nécessités. Les octrois s’accordent en vertu de Lettres-patentes, pour un certain temps seulement, après lequel expiré, l’impétrant est obligé d’en obtenir de nouvelles.

Deniers ameublis, est une manière de parler impropre, qui signifie les deniers qui sont mis par la femme en la Communauté par son Contrat de mariage, à la différence de ceux qu’elle s’est stipulé propres par une stipulation précise & expresse.

Deniers comptables, terme usité au Trésor Royal, & dans quelques autres affaires. Ce sont des deniers remis comptant à des Trésoriers ou Commis, pour employer au fait de leurs charges ou emplois, & dont ils doivent compter. Les Gardes du Trésor Royal mettent ordinairement dans leurs comptes, un chapitre pour les deniers comptables, c’est-à-dire, que les fonds qu’ils remettent à divers Comptables assignés sur le Trésor Royal, sont tous compris dans un chapitre, sous le titre de deniers comptables.

Deniers patrimoniaux, sont certaines rentes & héritages appartenans aux villes & Communautés, qui servent aussi à l’acquittement des charges de villes, comme les réparations des ponts, ports, entretenement du pavé, des fontaines, les gages des Secrétaires de ville, &c.

Deniers Royaux, sont ceux qui proviennent des Domaines, des Tailles, des Aides, des Gabelles, & qui forment les revenus du Roi.

Denier, se dit aussi d’une certaine part qu’on a dans une affaire, dans un traité, à proportion de laquelle on partage le gain ou la perte. Il a un denier dans telle ferme, c’est-à-dire, la douzième partie d’un vingtième.

Denier S. André, Droit qui se perçoit sur les marchandises qui passent de Languedoc en Dauphiné, Provence, ou Comtat, ou qui viennent de ces Provinces en Languedoc. Ce droit consiste en un denier pour livre sur le prix des marchandises qui traversent ces Provinces par terre, ou qui passent sur le Rhône, soit en montant, descendant ou traversant la rivière, depuis Rocque-Maurette en Vivarais, jusqu’au Bureau de Silvériat.

L’établissement de ce droit est fort ancien. Il fut nommé denier saint André, parce qu’il a été apparemment établi pour la construction, l’entretien, & les réparations du fort Saint André, qui est dans ces cantons.

Denier, se dit aussi des taux du Roi, ou du prix de l’argent qui court à intérêt. Usura. Le Roi a fixé les rentes au denier 20. à la vingtième partie du principal. Usura quincunx, quinaria. Il y a encore des rentes au denier 14. en Normandie. Les usuriers prêtent leur argent au denier fort.

Denier fort, ou fort denier, terme usité dans les recettes du Roi, se dit d’un ou deux deniers qu’on donne quelquefois de plus en payant les droits du Roi au Bureau. Un particulier, par exemple, veut faire entrer cinq livres de marchandises, qui doivent cinq deniers pour livre de droits. Sur ce pied, il revient au Roi 2 s. 1 d. juste ; mais, comme on ne peut pas taire 2 s. 1 d. juste, à cause de la valeur des petites monnoies, le particulier est obligé de donner 2 s. 3 d. qui est 2. d. de plus, c’est ce qu’on appelle denier fort.

Denier, en termes de Monnoyeurs & d’Orfèvres, est le titre de l’argent, comme le carat est celui de l’or. C’est un poids composé de 24 grains, qui marque les dégrés de bonté ou de pureté de l’argent. Pretium auri argentique ex nativæ obrussæ nota, nota probitatis auri argentique ex nativa obrussa. On le divise en demis, en quarts, & en huitièmes. L’argent le plus fin est de 12 deniers, & l’or de 24 carats. L’argent se peut purifier jusqu’à ce 12e. degré ; mais il ne laisse pas d’être très-pur jusqu’au titre de 11 deniers & 18 grains, c’est-à-dire, quoiqu’il y ait six grains de déchet. On dit un denier de fin, ou d’alloi, ou de loi. Il doit y avoir en la monnoie dix deniers de fin du moins, autrement elle passe pour billon. L’argent d’orfévrerie doit avoir onze deniers & douze grains de fin par l’Ordonnance de 1640. L’argent à ce titre est appelée argent-le-Roi parce que le Roi accorde cette vingt-quatrième partie de profit aux étrangers, qui en apportent. On dit aussi dans les monnoies, deniers de boëte & deniers courans. Le denier de boëte est une pièce de monnoie de chaque espèce, matière & prix, qui se fabriquent dans les Hôtels des Monnoies, que les Gardes, lorsqu’ils font la délivrance, sont obligés de mettre dans une boëte, pour servir au jugement que la Cour des Monnoies doit faire des espèces qui ont été fabriquées chaque année. C’est une pièce d’or qu’on prend sur 200, ou une pièce d’argent qu’on prend sur 18 marcs, qu’on met dans une boëte pour servir au jugement de tout l’ouvrage. Recentes a marculo monetæ nummi cujusque generis ac operæ pixidibus obsignatis a monetalibus probandi. Les deniers courans sont les espèces qui sont exposées dans le commerce, après que le Fermier a obtenu de la Cour des Monnoies le jugement de délivrance. Voyez Boizard Traité des Monn. p. 1. c. 13.

Denier, en matière de poids, est la vingt-quatrième partie de l’once, & la 192e. du marc. Scriptulum. Il pese 24 grains. Le gros pese trois deniers. En Médecine on l’appelle scrupule. Scrupulus. L’écu blanc doit peser tant de deniers trébuchans.

Denier de Monnoyage, se dit dans les Hôtels des Monnoies, de toutes sortes d’espèces d’or, d’argent, de billon & de cuivre, qui ont reçu leur dernière façon par les Monnoyeurs, qui les ont frappées au Balancier, comme un écu d’or est un denier de monnoyage d’écu, & ainsi des autres. Moneta.

Denier S. Pierre, en Anglois Remepeny ou Rome-Schot. Nom du Tribus que l’Angleterre payoit autrefois au Pape. Le denier saint Pierre ou la taxe du denier S. Pierre étoit une redevance qui se payoit au Pape, & dont une partie étoit employée à l’entretien d’une Eglise de Rome nommée l’Ecole des Anglois. C’étoit un denier de cens sur chaque maison, à payer au siège Apostolique. C’étoit rendre ce Royaume tributaire de l’Eglise. Ce cens fut augmenté par le Roi Atulphe, & se nommoit le denier S. Pierre. On le payoit encore, lorsque Henri VIII. se révolta contre l’Eglise. Godeau.

Olaüs, Roi de Suède, imposa un pareil tribut en faveur du S. Siège, que l’on appela le denier S. Pierre, qui fut aboli par ses successeurs. Baronius rapporte que Charlemagne en avoit imposé un pareil sur chaque maison de son Royaume en 840. comme témoigne le Pape Grégoire. On en établit aussi un en Pologne en l’an 1320. sur chaque tête d’homme & pareillement en Bohême, voyez Du Cange.

Le tiers denier. Autrefois on partageoit dans chaque Comté les amendes & les émolumens de Justice en trois parties. Le Roi en avoit deux, & le Comte avoit la troisième que l’on appeloit le tiers denier.

Denier à Dieu. s. m. Arrha, arrabo. C’est une arrhe, une pièce d’argent, une petite somme que donne, quand un marché est conclu, celui qui achète ou qui loue quelque chose à celui qui vend ou qui loue. Quelques-uns disent qu’on appelle cet arrhe denier à Dieu, parce qu’on le donne principalement pour en faire aumône aux pauvres. Peut-être est-ce parce qu’on le donne en disant adieu, en se séparant, lorsque le marché est conclu. Si l’on ne retire le denier à Dieu dans les 24 heures, après qu’on l’a donné, on ne peut plus rompre le marché qu’on a fait, & pour lequel on l’a reçu. On dit, donner le denier à Dieu, retirer, reprendre le denier à Dieu.

On dit que l’on mettroit bien son denier à une chose, pour dire que si elle étoit à vendre, on en feroit volontiers l’acquisition. Ac. Fr.

On dit proverbialement qu’un homme vendroit un autre à beaux deniers comptans, pour dire, qu’il est bien plus fin que lui. On dit aussi d’un valet musard, qui s’arrête souvent en chemin, qu’il n’y a point d’huis qui ne lui doive un denier. On dit qu’une chose vaut mieux denier qu’elle ne valoit maille, pour dire qu’elle est améliorée. On dit aussi, net comme un denier, ce qui s’entend d’un compte clair & exact, rendu jusqu’à un denier.

Gagne-denier. s. m. Crocheteur, Portefaix. Bajulus.

Denier-Morlas, Il est ainsi nommé d’une ville de Béarn : ce denier en vaut quatre. Denarius quadruplus.

Denier Tolza. Il y en a de deux sortes : celui qu’on appelle simplement denier tolza, vaut deux deniers tournois. Denarius duplus. Celui qu’on appelle denier tolza, forte monnoie, vaut deux deniers & demi. Sesqui duplus.

Le denier morlas & le denier tolza ne sont plus en usage dans les comptes.