Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DAUPHIN

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 113-115).

DAUPHIN, s. m. Poisson de mer voûté sur le dos, & couvert d’un cuir lice & sans poil. Il a le museau rond & long, la fente de la bouche longue, avec des petites dents aiguës, la langue charnue, sortant dehors, & un peu découpée al’entour, le dos noir, le ventre blanc, une nageoire au milieu du dos, deux au milieu du ventre. Sa chair ressemble à celle du bœuf ou du pourceau. Rond. Delphinus. La chair du Dauphin est solide, compacte & grossière, elle ne laisse pas d’être estimée en quelques endroits, où on la sert sur les meilleures tables ; elle nourrit beaucoup, mais elle ne se digère pas aisément. La langue & le foie du dauphin sont d’un goût plus délicat que ses autres parties, mais le foie est un assez mauvais aliment, la langue est meilleure pour la santé. On dit que le dauphin est ami de l’homme, qu’il n’en est point épouvanté, & que pour en voir il va au devant des vaisseaux, & joue tout autour en sautant. Les Poëtes ont feint qu’Arion fut sauvé par un dauphin qu’il avoit attiré par le son de sa lyre ; & depuis que la fable est inventée, on a dit que le dauphin aime la musique & le son des instrumens.

Le Dauphin est nommé la flèche de la mer, & quelquefois oie de la mer, parce que son museau a quelque ressemblance avec le bec d’une oie. Il est agréable à la vue, & d’une couleur qui change selon les divers mouvemens qu’il fait. Ses écailles sont fort petites. Il est de meilleur goût que tous les autres poissons. Sa chair a un goût de sauvagine. Il suit les vaisseaux plutôt pour profiter de ce qu’on jette hors le bord, que pour aucun amour qu’il ait pour les hommes. Les poissons volans sont la proie des dauphins & des bonites. On dit que quand ils sont en amour, ils s’accouplent comme les hommes. Ils vont en troupe, & se montrent fréquemment sur la surface de l’eau quand la mer est calme. On prit des dauphins d’une grosseur si prodigieuse, qu’il n’y avoit point de cheval qui approchât de leur taille. On en prit aussi à Gravesend qui n’étoient gueres moins grands. On ne doit donc point douter de l’existence du poisson dauphin ; mais le dauphin est un poisson chimérique & fabuleux, si l’on entend par ce mot un poisson tout-à-fait semblable aux figures de dauphins que l’on voit dans les armes & sur la couronne du Dauphin de France, dans les tableaux, dans les estampes, & dans les ouvrages de broderie, de sculpture. &c. mais il y a de véritables poissons qu’on appelle dauphins : ce mot est génétique, & comprend plusieurs espèces de poissons cétacés, qui sont le dauphin proprement dit, le marsouin, le thon, l’amia, le lamantin. Le Dauphin proprement dit, dont il est parlé ci-dessus, est très-agile, il nage avec beaucoup de vitesse, & saute fort haut hors de l’eau, il va quelquefois avec tant d’impétuosité, sur-tout quand il poursuit sa proie, qu’il s’avance trop près des terres, ce qui le fait prendre aisément, parce qu’il ne peut plus retourner en pleine mer. Quelques Naturalistes disent que la même chose lui arrive, lorsqu’il est piqué par certains petits poissons, qui le poursuivent & le tourmentent d’une manière si insupportable, qu’il est obligé de se jeter hors de l’eau pour les éviter. Les Anciens, Ovide & Pline, disent que le dauphin meurt aussi tôt qu’il est hors de l’eau, mais l’expérience est contraire à ce qu’ils avancent ; Rondelet dit qu’il a vu des dauphins vivans qui avoient été transportés de Montpellier à Lyon. Le dauphin a la vue très-bonne, & il découvre les poissons qui lui servent de proie, quelque cachés qu’ils soient. On dit que son cri ressemble à la voix d’une personne qui gémit, & qui se plaint ; qu’il se trouve quelquefois des dauphins dans l’eau douce, quoiqu’ils soient ordinairement dans la mer : il s’en voit dans toutes les mers du monde ; ils sont dix ans à prendre leur accroissement, & vivent trente ans.

Le nom dauphin vient du Latin delphinus, formé du Grec Δελφίς, ou Δελφίν. On trouvera dans Vossius tout ce que l’antiquité a dit des dauphins, De Idol. L. IV. C. 3. 8. 9. 12. 14. 16. 19. 21. 32. 37. 48.

Sur les médailles le dauphin entortillé à un trident, ou à une ancre, marque la liberté du commerce & l’empire de la mer. Quand il est joint à un trépied d’Apollon, il marque le sacerdoce des Quindecemvirs, qui pour annoncer leurs sacrifices solennels portoient la veille un dauphin au bout d’une perche par la ville, & regardoient ce poisson comme consacré à Apollon. P. Joubert.

Le dauphin céleste est une constellation de l’hémisphère septentrional, qui consiste en dix étoiles de la nature de Saturne, venteuses & orageuses. Delphinus cœlestis.

DAUPHIN. s. m. Titre des Princes du Viennois en France. Delphinus. Guigues André est le premier qui s’est fait un titre d’honneur de celui de Dauphin. Chorier. T. II. p. 38. La plupart de ceux qui ont cherché l’origine au nom de Dauphin & Dauphiné, ont trop donné de liberté à leur imagination. Les uns ont cru qu’il est venu des Auffinates, ancien peuple dont Ptolemée & Pline font mention ; mais ces Auteurs logent les Auffinates au-delà des Alpes, dans la Gaule Cisalpine. D’autres écrivent que les Allobroges l’ont apporté de Delphes en ce pays. D’autres, que la figure d’un dauphin a occupé le champ de l’écu du Roi Boson. D’autres, que les Princes, qui ont dominé dans le Viennois après Boson, ont choisi ces armes, comme un symbole de leur douceur & de leur humanité. D’autres, qu’elles furent données par un Empereur qui faisoit la guerre en Italie, mais qu’ils ne nomment point, à un Gouverneur de cette Province, qui lui avoit amené un puissant secours en une nécessité pressante, avec tant de vitesse qu’elle mérita d’être comparée à celle d’un dauphin. Thaboct s’est figuré que ce mot est Gothique. Il donne la même origine à ceux de Bresse, de Savoie, de Beaujeu & de Forez. Claude de la Grange croit que ce mot s’est formé de celui de Viennois qui étoit le nom ancien de cette Province, Provincia Viennensis. Quand on demandoit, dit-il, à un homme de cette Province d’où il étoit, il répondoit Du Viene, & le Prince de ce pays s’appeloit le Prince Do Viene, & l’v se changeant en f, à l’ordinaire, le Prince Dofiene, & les deux e étant retranchés, le Prince Dauphin, ou plutôt ie, ne se prononçant que comme un i long, ainsi que font encore les Allemans, & puis se changeant en un seul i, parce que l’e étoit inutile ; ensuite le dernier e étant féminin & muet, & ne se prononçant point, on l’a aussi retranché. Ainsi s’est fait Dofiene, Dofien, Dofin, Dauphin. L’opinion où l’on a été que ce nom venoit de Delphinus, a fait mettre un au & un ph. Chorier prétend que ce n’est là qu’une ingénieuse anagramme & une subtilité ridicule. D’autres disent que Gui le Gras eut une fille qu’il aima beaucoup ; qu’elle s’appeloit Dauphine, & que pour immortaliser son nom il le donna à son pays. L’opinion de quelques autres est que le dernier Comte d’Albon, de qui les biens entrèrent, comme ils disent, dans la maison des Comtes de Grésivaudan, par le mariage de sa fille unique avec le premier Gui, s’appeloit Dauphin. L’aîné de son gendre étant obligé de prendre son nom, comme lui, fut appelé Dauphin, & porta un Dauphin dans ses armes. André du Chesne veut que ce soit le petit-fils de Gui-le-Gras qui ait eu le premier le nom de Dauphin : il ne croit pas néanmoins que ce soit pour la raison qu’on vient de dire, mais parce qu’il lui fut imposé au baptême, & joint à celui de Gui, qu’il porta aussi. Chorier ne trouve rien de solide dans toutes ces opinions. Il remarque donc que Guillaume, Chanoine de Notre-Dame de Grenoble, qui a composé la vie de Marguerite fille d’Etienne, Comte de Bourgogne, mariée à Gui, fils de Gui-le-Gras, nomme simplement celui-ci, Gui-le-Vieux ; & toujours Comte Dauphin, celui-là, que nul Auteur, nul monument n’attribue le titre de Dauphin à Gui-le-Gras ni à aucun de ses Prédécesseurs ; de sorte qu’il faut nécessairement qu’il ait commencé à son fils, dont le successeurs se le sont si constamment attribué, qu’il est devenu le nom propre de leur famille. Il mourut l’an 1142 en la fleur de sa jeunesse ; si bien que c’est environ l’an 1120 que ce titre a commencé, & sans doute, dit-il, dans quelque occasion célèbre. Il remarque en second lieu que ce Prince étoit très-belliqueux, n’aimant que la guerre. Il remarque en troisième lieu que c’étoit la coutume des Chevaliers de charger leurs casques, leurs cotes d’armes, & la housse de leurs chevaux, de quelque figure qui leur étoit particulière, & par laquelle on les distinguoit des autres qui entroient comme eux dans un combat, ou dans un tournoi. De tout cela il conjecture que ce Gui choisit le Dauphin, qu’il en fit le timbre de son casque, qu’il en chargea sa cote d’armes & la housse de son cheval en quelque tournoi célèbre, ou en quelque grand combat où il se distingua ; qu’il y fut appelé le Comte du Dauphin, & puis le comte Dauphin, & il ne doute nullement que ce ne soit de-là que ce nom est venu à lui & à ses descendans.

M. le Président de Valbonnet parle plus juste sur cela. Guigues-le-Gras, fils de Guigues-le-Vieux, épousa Mathilde, que l’on a cru sortie d’une Maison Royale, parce qu’elle a le nom de Regina dans plusieurs titres. Ils eurent un fils nommé Guigues, qui est appelé Delphinus dans un acte passé entre lui & Hugues II, Evêque de Grenoble, vers 1140. Guigo Comes, qui vocatur Delphinus. C’est ce qui a fait dire à quelques Historiens, qu’il n’étoit pas nécessaire pour découvrir l’origine du nom de Dauphin & de Dauphiné, d’avoir recours à des voyages d’outremer, où les Comtes de Grésivaudan aient pris pour armes ou marques de distinction sur leurs écus un Dauphin, & s’en soient fait ensuite un nom de dignité. En effet, cette conjecture n’est appuyée d’aucune preuve. Il n’est pas vrai d’ailleurs que la première & la seconde race de ces Princes aient eu pour armes un Dauphin, puisqu’à peine en peut-on trouver aucun avant Humbert I qui l’ait mis dans son écu. Il est plus vraisemblable que le surnom de Dauphin, que ce Guigues porta le premier, plut assez à ses successeurs pour l’ajouter à leur nom, & pour s’en faire un titre, qui s’est conservé ensuite parmi ses descendans. Rien n’étoit plus commun en ces tems-là que de voir les noms propres devenir des noms de famille, ou de dignité. Les Ademars, les Arthauds, les Aynards, les Allemans, les Bérengers, & une infinité d’autres, ne doivent leurs noms qu’à quelqu’un de leurs ancêtres, qui a transmis dans sa famille un nom qui lui étoit particulier. Valbonnet, p. 2 & 3.

Les Seigneurs d’Auvergne ont aussi porté le nom de Dauphin, & l’on dit Dauphin d’Auvergne, comme Dauphin de Viennois. Mais les Dauphins d’Auvergne n’ont eu ce nom qu’après les Dauphins de Viennois, & l’ont même reçu d’eux ; voici comment. Gui VIIIe, Dauphin de Viennois eut de Marguerite, fille d’Etienne, Comte de Bourgogne, un fils & deux filles ; le fils fut Gui IXe, son successeur. Béatrix, l’une de ses filles, fut mariée au Comte d’Auvergne, qui fut, au rapport de Blondel, Guillaume V, ou plutôt, comme le croient Christophe Justel & Chorier, Robert VI, pere de Guillaume V. Ce prince perdit la plus grande partie du Comté d’Auvergne, que son oncle Guillaume lui enleva à la faveur des armes de Louis le jeune ; & ne resta maître que d’une petite partie, dont Vodable est la capitale. Il eut de Béatrix sa femme un fils qu’il nomma Dauphin, à cause du Dauphin Gui, ou Guigues, son aïeul maternel. Depuis lui, ses successeurs qui possédèrent cette petite partie de l’Auvergne, se sont qualifiés Dauphins d’Auvergne, & ont porté un Dauphin dans leurs armes, semblable à celui des Comtes de Forez. Robert & Béatrix vivoient vers la fin du XIIIe siècle ; ainsi l’époque du titre de Dauphin d’Auvergne n’est que du commencement du XIIIe siècle ou environ. Voyez Chorier, Hist. de Dauphiné, L. XI, T. I, p. 778 & 799, & T. II, pag. 104.

Dauphin. Titre qu’on donne à l’aîné des enfans de France, à l’héritier présomptif de la Couronne, à cause du Dauphiné, qui fut donné à cette condition par Humbert, Dauphin de Viennois, en 1345, sous le règne de Philippe de Valois. Delphinus, Princeps Galliæ Regis filius natu major. M. le Dauphin dans ses Lettres-Patentes se qualifie, Par la grace de Dieu, Fils aîné de France, Dauphin de Viennois. Il ne cède qu’aux Têtes couronnées.

Pour votre coup d’essai, Dauphin, quelle matière !
Et que cette carriere,
Vous promet de lauriers ! Mlle de Scudery.

Il parut en 1683 à Paris une Histoire généalogique & chronologique des Dauphins de Viennois. Sous Charles VII, quoique le Dauphin eût le Dauphiné comme son appanage, en qualité de fils aîné du Roi de France, le Roi néanmoins, comme on le voit par une de ses médailles, portoit lui-même le titre de Dauphin, & écarteloit les armes du Dauphiné avec celles de France. P. Daniel.

On appelle figurément chez les Bourgeois un Dauphin, le fils unique de la maison, ou celui de la personne duquel on a grand soin.

En termes de Blason, on fait différence entre le Dauphin vif, Vivus & le Dauphin pâmé, Expirans. Les armes du Dauphin de Viennois sont d’or au dauphin vif d’azur ; & celles du Dauphin d’Auvergne sont d’or au dauphin pâmé d’azur. Il y a cette différence que le dauphin vif a la gueule close, & le pâmé a la gueule bée ou béante, comme évanoui ou expirant. Le vif a un œil, des dents & les barbes, crêtes & oreilles d’émail différent. Le pâmé est d’un seul émail. On dit que les dauphins sont courbés, quand ils ont la tête & la queue tournées vers la pointe de l’Ecu.

Dauphin (le Fort), Arx à Delphino dicta. Ce Fort fut bâti par les François l’an 1643 sur la côte méridionale de l’Isle de Madagascar.

Dauphin. Terme de Fleuriste. Nom d’un œillet. C’est un très-beau pourpre sur un fin blanc. Il est fort large, & bien garni de feuilles, rond & bien tranché, ses fanes larges & fortes. Ses marcottes ne prennent pas bien racine, & poussent à dur avant le tems. Ses panaches sont de pièces emportées. Morin.

Dauphin Triomphant. Autre terme de Fleuriste. C’est un œillet fort beau. On dit que le blanc en est très beau, & son violet admirable, très-bien tranché & de gros panaches. On vend sa marcotte à Lille onze florins. Morin.

Dauphin, s. & adj. En termes de Librairie : on appelle Critiques Dauphins ou scholiastes Dauphins, les Commentaires sur les anciens Auteurs Latins, qui furent entrepris par l’ordre du Roi Louis XIV pour l’usage de Monseigneur, par le conseil de M. le Duc de Montauzier, son Gouverneur, & sous la direction de Mrs Bossuet & Huet ses Précepteurs. Les critiques Dauphins sont d’une grande utilité pour ceux qui commencent à entrer dans la carrière des Belles-Lettres. On nomme quelquefois absolument ces Ouvrages, les Dauphins, & alors il est substantif. J’ai tous les Dauphins dans mon cabinet. Il ne me manque qu’un des Dauphins. La dépense des Dauphins coûta quatre cens mille livres au Roi.

Dauphin. Terme d’Artificier. On appelle ainsi vulgairement cet artifice d’eau que les gens de l’art appellent Genouilliere, parce qu’on le voit entrer & sortir de l’eau, à-peu-près comme ces poissons de mer qu’on appelle Dauphins, ou plus généralement Marsouins.

Dauphin. Terme d’artillerie, nom qui se donne à une des parties d’un canon.

Dauphin est encore le nom d’un rocher situé à l’entrée de Catwater, sur la côte méridionale d’Angleterre.

Dauphins des Anciens. C’étoit une masse de fer fondu suspendue au haut des antennes des vaisseaux, on la laissoit tomber sur les vaisseaux ennemis, qu’elle perçoit depuis le pont jusqu’au fond de cale. Cette machine appelée Dauphin, parce qu’elle en avoit la figure, étoit en usage chez les Grecs. Dans le fameux combat donné dans l’un des ports de Syracuse, les Athéniens ayant été battus, les Syracusains les poursuivirent jusques vers la terre, & furent empêchés de passer outre, dit Thucydide, par les antennes des navires qu’on abaissa sur le passage, où pendoient des Dauphins de plomb, capables de les submerger, & deux galères qui s’emportèrent au-delà furent brisées.