Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DANGER

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 100-101).
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☞ DANGER. s. m. Terme relatif à la situation d’un homme qui est menacé de quelque malheur, & qui exprime particulièrement le mal qui peut arriver. Péril & risque, regardent le bien qu’on peut perdre, avec quelque différence pourtant. Voyez ces deux mots. Discrimen. Le Soldat qui a l’honneur en récommandation, ne craint point le danger, s’expose au péril, & court tranquillement tous les risques du métier. Le plus lâche s’expose au danger par la honte de reculer. S. Evr. Darius disoit que les dangers le rendoient sage, parce qu’ils réveillent l’attention, & qu’ils augmentent l’expérience. Ablanc. On ne fait d’ordinaire entrevoir aux malades le danger où ils sont, qu’au travers de quelques espérances de guérison. Fléch. L’ame se familiarise insensiblement avec le danger, quelque affreux qu’il soit, à force de le considérer. S. Real.

Ce mot vient, selon Nicod, de damnum gerens ; & selon Ménage, de angarium, en y préposant un d, ou de damnarium, ou de damniarium.

Danger, se dit aussi pour signifier un inconvénient. Incommodum. il n’y a point de danger de sonder ses intentions avant que de lui proposer cette affaire. Il n’y a point de danger d’envoyer quelque valet au logis pour nous faire préparer à dîner.

Tiers & Danger, est un droit que le Roi prend sur plusieurs bois, Se entre autres en ceux de Normandie. Tertia & decima pars silvaticorum fructuum. Il consiste au tiers du prix de la vente, & à la dixième partie de la vente qu’on prélève d’abord au profit du Roi : ainsi sur soixante sous le Roi prend vingt sous pour le tiers, & six sous pour le danger ; c’est l’exemple qui est rapporté dans une ancienne Ordonnance de la Chambre des Comptes de 1454.

Ce mot de danger en ce sens est la même chose que la dixme, & il vient vraisemblablement du Latin denarius.

D’autres disent que ce mot de danger pris pour un droit, vient de ce que pour avoir permission de vendre des bois, on donne au Roi le dixième du prix de la vente, & que par ce moyen on évite le danger qu’il y avoit à les vendre sans la permission du Roi.

Il y a des bois qui ne sont sujets qu’au tiers sans danger, & d’autres au danger sans tiers. En général on appelle danger, ce qui est de droit étroit, & sujet à confiscation. Ainsi on a appelé fief de danger celui dont on ne pouvoit prendre possession qu’après avoir fait foi & hommage au Seigneur, à peine de commise ou de confiscation, comme il y en a plusieurs dans les Coutumes de Troyes & de Chaumont.

Dangers. Terme de mer. On appelle dangers sur la mer, les roches, les bans de sable qui sont cachés sous l’eau, & sur lesquels un vaisseau peut se briser en donnant dessus. Scopuli, vada, arenariæ moles. Il faut envoyer des chaloupes sur tous les dangers qui sont cachés sous l’eau. Bouguer. Etant sur un danger, il faut prendre des marques à terre, comme des arbres, des clochers, des montagnes, &c. pour le reconnoître.

☞ On voit par là que le mot danger a trois significations différentes suivant la diversité des étymologies. Quelquefois il est synonyme à péril & risque, avec la différence que nous avons expliquée.

Autrefois il s’est pris pour Puissance, Domination, Seigneurie, comme dans le Roman de la Rose.

Et si m’aist Dieu, aussi S. Jacques,
Si vous ne me voulez à Pasques
Bailler le corps notre Seigneur,
Sans vous faire presse Greigneur,
Je vous lairai sans plus attendre,
Et l’irai tantost de lui prendre,
Car hors suis de votre danger.

☞ Alain Chartier : Ainsi serez en servitude comme esclave, & ta renommée en danger d’estranges gens.

☞ Jean Cimeliers, ancien Poëte François, dit qu’amour lui a emblé le cœur pour le mettre en la puissance de sa Dame ; & puisqu’il est en son danger, il ne peut l’en retirer.

En ce sens danger est corrompu de dominari, l’o changé en a, comme les Latins prononçoient de ὀρθιος, arduus, de ὀξιδιον, acetum, & nous de βίοτος, viande. Et ce qui appartient encore mieux à ce propos, Dam & Dame de Dominus, & Danjon de Dominium ou Dominicum, duquel nos Ancêtres appeloient le logis du Maître.

On le prenoit jadis pour congé ou indulgence, comme dans Alain Charrier.

Poine, paour, pauvreté, perte & doute
Ont occupé si ma pensée toute,
Qui’il n’en faut rien fors que par leur danger.

Ainsi les deniers qu’on paye aux Seigneurs féodaux pour obtenir congé de vendre la terre qui releve d’eux, lesquels deniers s’appellent communément ventes, & en Normandie, treizièmes, souloient être appellés dangers ; en quel sens je l’ai lu en un vieux recueil d’Arrêts des Eschiquiers de Normandie, au rapport d’un prononcé à la S. Michel, l’an 1299. & d’un autre de 1301. & les fiefs en possession desquels n’est loisible d’entrer sans congé du Seigneur de qui ils relèvent, sont pour même raison appelés fiefs de danger, c’est-à-dire fiefs de congé. En cette signification danger est corrompu de indulgere, la première syllabe omise.

C’est en cette troisième signification qu’en termes des Eaux & forêts il se dit du profit que le Roi tire du congé qu’il donne de couper son bois à la commodité du Tréfonsier. Pour le droit de gruerie il prend le tiers ou autre portion, & une autre pour le danger, c’est-à-dire pour le congé, indulgence ou permission de couper le bois à l’appétit du Tréfonsier. Cristophe Bérault, Avocat au Parlement de Rouen, des droits de tiers & de danger, gruerie & grairie.

Danger. Dans toute notre ancienne Poësie est une personne fâcheuse, qui s’oppose à nos volontés, à nos désirs.