Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DÎME

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 352-354).
◄  DIME

DÎME, plus ordinairement DIXME. Dixième partie des fruits d’un héritage, ou autre portion approchante, différente selon l’usage des lieux, que l’on paie à l’Eglise ou au Seigneur, à celui qui a droit de dîmer. Decima, decuma. En bien des endroits on ne paie que la 12 ou 13e gerbe. Cela se règle par l’usage. Dans l’ancienne loi les dîmes furent établies par le droit divin. Dieu avoir ordonné aux Israëlites de lui offrir la dîme de leurs revenus, & il donna cette dîme aux enfans de Levi. Voyez le Lévitique, ch. 17, v. 30. le livre des Nombres, ch. 18. v. 21. &c. le Deutéronome, &c. Les dîmes sont le patrimoine des Eglises Paroissiales.

L’usage de donner ou de payer la dîme est fort ancien. Dans la Gen. XIV. 20. Abraham donna à Melchisédech la dîme de tout le butin qu’il avoit fait sur les quatre Rois qu’il venoit de vaincre. Gen. XXVIII. 22. Jacob, allant en Mésopotamie, fait vœu à Bethel de donner à Dieu la dîme de tous les biens qu’il amassera pendant le séjour qu’il y fera. Ces dîmes étoient libres & volontaires. Dans la suite Moise en fit une loi aux Israëlites. Exod. XII. Lev. XXVII. 30. Nomb. 21. Deut. 14. & il oblige les Israëlites à plusieurs sortes de dîmes que voici. I. La première dîme, נעשר חראשון, étoit la dîme de tous les fruits que l’on recueilloit, & qui se donnoit aux Lévites : elle ne se prenoit qu’après que l’oblation, qu’ils appellent תדונה, avoit été levée. II. La seconde dîme étoit la dixième partie des neuf qui restoient après la première dîme payée. Cette dîme se mettoit à part dans chaque famille, & le père de famille étoit obligé de la faire conduire à Jérusalem, & de la consumer là : s’il ne le pouvoir pas, il falloit la racheter, ou la convertir en argent, mais, en ce cas, il devoit y ajouter un cinquième, ou deux dixièmes. Lev. XXVII. 31. & porter cet argent à Jérusalem. Les Rabbins disent que, s’il ne la rachetoit pas lui-même, c’est-à-dire, s’il n’y substituoit pas lui-même de son propre argent, mais qu’il la vendît à un autre, il n’étoit obligé que d’en porter le prix à Jérusalem sans y rien ajourer. III. La dîme de la dîme, étoit la dixième partie de toutes les dîmes qui avoient été données aux Lévites par le peuple : car les Lévites, après avoir reçu toutes les dîmes du peuple, séparoient à leur tour la dîme de tout ce qu’ils avoient reçu, & la donnoient aux Prêtres. Les Rabbins l’appellent מעשר מוך המעשר, dîme de la dîme, תרומה מעשר, ou l’Oblation de la dîme, & l’Ecriture, 2. Par. XXXI. 6. מעשר קרשים המקרשים, la dîme des choses sanctifiées. Les Lévites étoient obligés de la porter au Temple ; le reste leur demeuroit pour leurs alimens. La loi en est portée au Liv. des Nombres XVII. 26. & suiv. IV. La dîme de la troisième année étoit une autre espèce de dîme, à cela près qu’elle étoit moins onéreuse, parce qu’on n’étoit point obligé de la porter à Jérusalem. On sait que Dieu avoit ordonné que, toutes les septièmes années, les terres se reposeroient ; & que les maîtres ne recueilloient point ce qu’elles produisoient d’elles-mêmes. Ainsi, cette année-là, on ne payoit point de dîmes, mais seulement dans les six années qui précédoient. Or, pendant ces six années, chaque troisième année, c’est-à-dire, la troisième & la sixième année, on levoit à l’ordinaire la première, puis la seconde dîme ; mais on n’étoit point obligé de porter cette seconde dîme, soit en espèce, soit en argent, à Jérusalem : on la gardoit chez soi, & les Lévites, les étrangers, les pupilles & les veuves du même lieu, la consumoient, comme il est dit, Deut. XIV. 28. 29. C’est ce que j’appelle la dîme de la troisième année, dont parle aussi le Livre de Thobie I. 6. On l’appelle encore la dîme du pauvre, מעשר עני, & la troisième dîme, מעשר שלישי ; & ces troisièmes années qu’on payoit cette dîme, on les nomme les années de dîme.

Toutes ces dîmes montoient à plus d’un sixième de revenu de chaque particulier ; car, si, par exemple, un père de famille recueilloit 6000 gerbes de blé, & que d’abord il en ôtât une centaine pour les prémices, ou l’oblation, il lui en restoit encore 5900. Tirant de-là 590. pour la première dîme, il en restoit encore 5510. dont la dîme est 531. qui, étant ôtées pour la seconde dîme, reste 4779. gerbes pour le père de famille, qui par conséquent en a donné 1121. qui sont 121 plus que le sixième de 6000. Des 590. que les Lévites recevoient pour la première dîme, ils en donnoient 59. au Prêtre pour la dîme de la dîme. Ainsi il leur en restoit 551. pour leur subsistance & celle de leurs familles.

Toutes ces choses sont expliquées plus au long dans le Thalmud, où il y a deux livres des dîmes, l’un des dîmes, & l’autre des secondes dîmes, & encore dans le livre des Bénédictions, ברכות, dans les Commentaires de Battenora, de Maimonides, de R. Schélomoh Jarhhi sur ce Traité, dans Scaliger, Amoma, Guisuis, Selden, Frischmuth, Quensteed, Varenius, Jean Conrad Hottinger, & dans ceux qui ont traité de la République des Hébreux, comme Sigonius, Bécan, Ménochius, Cunæus, Godwin, Leidekker, &c.

Au reste, les Israëlites ne payoient pas seulement les dîmes des biens & des fruits de la terre, mais aussi de la portée des animaux, comme il est expressément marqué dans l’Ecriture, Lev. XXVII. 32. 33. 34. Encore aujourd’hui les Juifs, quoique hors de la Terre-Sainte, ou pour le moins ceux qui parmi eux veulent passer pour plus religieux, donnent aux pauvres la dixième partie de tous leurs revenus.

Dans la nouvelle loi ce n’est point Jésus-Christ qui a établi les dîmes, comme Dieu l’avoit fait dans l’ancienne loi, par le ministère de Moïse. Les Prêtres Chrétiens, & ses Ministres des Autels de la nouvelle Alliance, ne vécurent d’abord que des aumônes & des oblations des Fidèles. Dans la suite des tems on donna une certaine portion de ses revenus au Clergé. On commence à en trouver des exemples dès le IVe & le Ve siècles. Ce don fut appelé dîme ; non pas que ce fût la dîme du revenu, mais seulement par imitation des dîmes de l’ancienne loi. Ces dîmes n’étoient point encore d’obligation. Dans les siècles suivans les Prélats, dans les Conciles, & les Princes de concert en firent une loi, & ordonnèrent aux Fidèles de donner aux Ecclésiastiques la dîme de leurs revenus, & des fruits qu’ils recueilloient. Les Ecclésiastiques en jouirent paisiblement deux ou trois siècles. Dans le VIIIe, les Laïques s’emparèrent d’une partie de ces dîmes, ou de leur autorité, ou par la concession ou donation des Princes. Quelque-tems après ils les restituèrent, ou les appliquèrent à des fondations qu’ils firent de Monastères, ou de Chapitres, & l’Eglise consentit au moins tacitement à cette restitution. En 1179. le IIIe Concile de Latran, tenu sous Alexandre III. ordonna aux Laïques de rendre à l’Eglise les dîmes qu’ils possédoient encore. En 1215. le IVe Concile de Latran sous Innocent III. se relâcha, & sans rien dire des dîmes que les Laïques avoient eues jusque-là, & qu’ils possédoient, il ordonna seulement qu’à l’avenir ils n’en pourroient acquérir aucune. Dans les commencemens les dîmes étoient distribuées par l’Evêque ; depuis long-tems elles appartiennent de droit aux Curés. Ils ont aussi les dîmes des novales, c’est-à-dire, des terres qu’on défriche & qu’on met en valeur, & les vertes dîmes. Tout l’Orient appartenant à des Princes infidèles, les dîmes ne sont plus en usage dans l’Eglise d’Orient depuis long-tems. Fra-Paolo a cru que l’usage de payer les dîmes dans la loi nouvelle est venu de France, & il dit, dans son Traité des Bénéfices, qu’avant le huitième & le neuvième siècle, on n’en avoit point payé en Orient & en Afrique : mais il se trompe, & il est certain que les dîmes ont été payées dès les premiers tems de l’Eglise. Voyez le P. Thomassin sur les Bénéfices. part. 3. ch. 3. 4. 5. 8. Bévérégius, l. 2. Fellus sur S. Cyprien, les Constitutions du Roi Clotaire, le Concile de Mâcon tenu en 585. Jérôme Acosta, Des Revenus Eccles. &c. Origène, hom. XI. sur les nombres, croit que les Lois de Moïse, touchant les prémices de les dîmes, ou décimes, tant du bétail que des fruits, n’ont point été abrogées par l’Evangile, & qu’on doit encore les garder. Le 5e Canon du II. Concile de Mâcon ordonne sous peine d’excommunication de payer les dîmes aux Ministres de l’Eglise, suivant la loi de Dieu, & la coutume immémoriale des Chrétiens. C’est la première fois que l’on trouve une peine imposée à ceux qui ne paieroient pas la dîme. Cassien, dans sa XXIe Conférence, chap. 1. marque que les Chrétiens avoient coutume, au moins en Egypte, de porter aux Monastères voisins les dîmes & les prémices de leurs fruits, & il y parle d’une instruction que fit à Théodat un vieux Moine, nommé Jean, sur le devoir de donner à Dieu les dîmes & les prémices, afin qu’elles fussent employées aux besoins des pauvres.

Il y a une dîme Royale, ou Seigneuriale, qui est appelée en quelques endroits champart ; une autre Ecclésiastique, qui est due naturellement aux Curés, & qui a été depuis aliénée à d’autres personnes. Si les grosses dîmes appartiennent à d’autres qu’au Curé, à des Moines par exemple, alors les gros Décimateurs sont obligés de lui payer une pension, qu’on appelle portion congrue, qui avoit été réglée à 300 liv. par une Déclaration de 1686, & qui vient d’être portée à 500 liv. & cela outre les menues dîmes, & les Novales, qui appartiennent toujours au Curé. On peut prescrire la quotité des dîmes, & la forme de les payer, par une possession de 40 ans, mais on ne peut en prescrire l’exemption absolue. Un Curé, pour lever les dîmes, n’a besoin d’autre titre que de son clocher. Les dîmes, quant au pétitoire, sont de la compétence du Juge Ecclésiastique. Voyez Baronius, Seldenus, qui en ont fait des Traités entiers.

Il y a des Auteurs qui écrivent dixmes. On dit au singulier, lever la dixme, prétendre la dixme, la menue dixme, la grosse dixme. Affermer la dîme, payer la dîme.

Dîmes inféodées, sont celles qui sont aliénées aux Seigneurs Ecclésiastiques, ou temporels, & qui sont unies à leur fief, & possédées comme biens profanes. Decima in fide regiâ positæ. Les dîmes inféodées sont de la connoissance du Juge séculier. Par le Concile de Latran, tenu sous Alexandre III. en 1179. les inféodations des dîmes sont défendues pour l’avenir. On n’est pourtant pas obligé de représenter le titre original de l’inféodation : il suffit de justifier par des aveus, ou dénombremens, une possession de temps immémorial. En général on regarde comme illégitimes toutes les inféodations faites depuis le Concile de Latran. S. Louis fit un Edit en 1279. par lequel il ordonna que si les dîmes inféodées retournoient aux Eglises, elles reprendroient leur première nature, sans pouvoir par après être possédées par des gens lais. Quelques-uns attribuent l’origine des dîmes inféodées à Charles-Martel, & le tiennent damné, parce que ce fut lui qui, le premier, donna des Bénéfices aux Nobles séculiers. Mais Baronius regarde cela comme une fable. Leur origine vient des guerres d’outre-mer : c’est l’opinion de Pasquier. Le tribut que les Romains avoient imposé sur toutes les Provinces de l’Empire, étoit la dixième partie de tous les fruits : quelques-uns prétendent que, les François avant conquis les Gaules, & trouvé cette imposition établie, ils la conservèrent, & donnèrent ces dîmes en fiefs aux soldats ; & que de-là sont venues les dîmes inféodées. Elles ne sont pas si anciennes : on n’en trouve aucune mention avant le règne de Hugues Capet, & même le Concile tenu à Clermont sous le Pape Urbain II. en 1097. n’en parle point. Ce Concile, d’ailleurs assez servent pour les intérêts de l’Eglise, n’eût pas manqué de s’en plaindre, comme d’une usurpation. Quoi qu’il en soit, c’est un point d’Histoire assez obscur.

☞ On appelle grosses dîmes, les dîmes qu’on lève sur les gros fruits, comme le bled & le vin. Menues dîmes, celle qu’on lève sur le menu grain & sur le menu bétail. Dîmes vertes, celles qu’on lève sur les légumes, sur le chanvre, le lin, &c.

Dîmes novales, sont les dîmes des terres nouvellement défrichées, qu’on adjuge toujours aux Curés, aussi-bien que les menues dîmes. Decimæ novales. La nouveauté est bornée à 40 ans avant la demande.

L’usage de payer la dîme, ou de consacrer la dixième partie de ce qu’on possède, ou de ce qu’on retire, n’a pas seulement été pratiqué par les Fidèles, tant sous l’ancienne loi, que sous la nouvelle : chez les Payens il y avoit quelque chose de semblable. Xénophon, au livre 5. de l’expédition de Cyrus, rapporte l’inscription qui étoit sur une colonne proche d’un temple de Diane, par laquelle on avertissoit d’offrir à la Déesse tous les ans la dîme ou la dixième partie des revenus. Pausanias, l. 5. & Diodore de Sicile, Bibl. hist. l. 11. disent qu’on offroit aux Dieux la dîme des dépouilles. Festus, au livre 4. de la signification des mots, dit que les Anciens offroient la dîme à leurs Dieux. Decima quæque veteres Diis suis offerebant.

La dîme Saladine, est une dîme qui fut établie par un Concile de Paris en l’an 1188. sous Philippe Auguste, pour le secours de la Terre-Sainte envahie par Saladin. Tous ceux qui ne vouloient point aller à la Terre-Sainte étoient condamnés à payer la dîme de leur bien. On établit de même en Angleterre un impôt de 70 mille livres sterling en 1188. sous Henri II. pour faire la guerre à Saladin, & cet impôt fut aussi appelé dîme Saladine.

☞ DÎME de suite. La Coutume de Nivernois dit ce que c’est qu’un droit de suite. C’est la moitié de ce que le Décimateur Laïc ou Ecclésiastique prendroit chez lui, si le Laboureur y avoit travaillé, & qu’il n’eût point passé dans une autre dîmerie. Ce droit de suite n’est pas dans le décret, ni dans les décrétales des Papes, si ce n’est dans le chapitre, cùm sint homines, qui est le 18e au tit. de decimis. Pour que la dîme de suite ait lieu, il faut deux conditions, suivant la Coutume de Nivernois ; la première, que les bœufs aient hiverné dans la dîmerie du Seigneur décimateur, quand bien même ils auroient été nourris ailleurs : la seconde que le Laboureur n’ait point labouré à prix d’argent.

☞ La Coutume de Berri dit aussi que la dîme de suite n’a pas lieu, quand le Laboureur cultive à prix d’argent.

☞ On voit que ce nom vient de ce que cette dîme suit le Laboureur, quand il change de lieu.