Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DÉLOS

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 198-199).
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DELOS. Ancien nom d’une île fameuse de la me Egée, ou de l’Archipel, laquelle se nomme aujourd’hui Sdilles ; mais qu’il faut toujours appeler Délos, quand on parle de l’Antiquité. Delos. Cette île a eu plusieurs noms. On l’a nommée Délos, du mot Grec δῆλος, manifeste, apparent, parce qu’étant cachée sous les flots, elle parut, disent les Poëtes, pour donner retraite à Latone, que Junon poursuivoit, & à qui elle ne permettoit de s’arrêter nulle part pour faire ses couches. Elle y mit au monde Apollon & Diane, qu’elle avoit eus de Jupiter. Cette île fut appelée Lagie, Lagia, à cause de la quantité de lièvres & de lapins qu’il y avoit, & qui en Grec s’appellent λαγωός, ou λαγώς ; Ortygie, Ortygia, à cause de la multitude de cailles qu’on y trouvoit ; ὄρτυξ en Grec signifie caille : Pyrpile, de πῦρ, feu, parce que c’est dans cette île, disent les fables, que le feu fut trouvé d’abord. On l’appela encore Gynèthe, Gynethus. Etienne de Byzance dit que Délos s’est encore nommée Cynthe, Cynthus ; Astérie, Asteria ; Pélasgie, Pelasgia ; Chlamydie, Chlamydia, & Scinthiade, Scinthiada. Au lieu de Cynthe, quelques-uns disent Cynthie, & que ce nom lui fut donné à cause d’une montagne qui est dans cette île.

Délos étoit la plus fameuse des Cyclades, à cause qu’Apollon & Diane y étoient nés. Cette île étoit si respectée & si sacrée, que les Perses mêmes, qui ravageoient tout, ayant touché à Délos avec leur flotte de mille navires, n’osèrent y faire le moindre dégât. Virgile, Ovide, Stace, Claudien, Pline, &, parmi les Grecs, Callimaque, Aristide, Strabon ; disent qu’elle flottoit autrefois. Dans la suite elle devint stable, & Hérodote, Callimaque, & son Scholiaste, l’appellent immobile. Apollon y passoit son quartier d’été, & y rendoit des oracles pendant les six beaux mois de l’année. Les autres six mois, il alloit, disoit-on, rendre ses oracles à Patare, ville de Lycie. On dit qu’il n’y avoit point de chiens à Délos ; il n’étoit pas permis d’y en nourrir, ni d’y enterrer un corps mort ; on les portoit dans une petite île voisine, appelée Rhénie, & aujourd’hui Fermena, que les Grecs appellent la petite Délos, & Sdilles, la grande Délos. L’île de Délos, ou de Sdilles, est aujourd’hui déserte, & l’on n’y voit que des masures. Pline rapporte, L. IV. C. 12. que ce fut en cette île qu’on trouva le feu, & Virgile, suivant l’opinion de la Fable ancienne qui la croyoit flottante, feint agréablement qu’Apollon l’attacha entre Mycone & Gyare.

Quam priùs Arcitenens oras & littora circum
Errantem Mycone celsâ Gyaroque revinxit.

Aristote croit qu’elle avoit été autrefois cachée sous les eaux, & qu’elle parut soudainement : d’où vient qu’il tire l’origine de son nom d’un mot Grec qui signifie paroître, ἀπὸ τοῦ δηλοῦν ; mais je ne sais si je dois plutôt ajouter foi au Philosophe qu’au Poëte ; car il n’y a guère plus d’apparence de se persuader qu’une île couverte des eaux se montre subitement, que de croire qu’une qui flotte puisse être arrêtée. Il est pourtant vrai qu’on diroit qu’elle ne fait que surnager, tant elle est basse, & c’est pour cela peut-être que les Anciens nous ont voulu faire croire que le mont Cynthus qui est fort haut fait ombre sur toute l’île ; mais, sauf leur respect, il n’est pas assez élevé pour le pouvoir faire. Du Loir, p. 7. Cet Auteur ne savoit pas que Santorin dans la même mer, & parmi les Cyclades, est une île qui est sortie de la mer tout-d’un-coup, c’est à-dire en très-peu de temps ; que depuis, tout-près de Santorin, il est encore sorti deux petites îles. De plus, en 1714, il en sortit une près de ces trois-là. Aux Açores, il y a quelques années qu’un tremblement de terre fit paroître deux îles entre celle de S. Michel & celle de Tercere. Pour ce qui est d’une île flottante, un Capitaine Anglois passant de Lisbonne en Angleterre en 1721, vit près de l’île S. Michel une île flottante de pierre-ponce, d’environ quatre lieues de longueur, qui paroissoit depuis quelques mois. Tout cela montre qu’il n’est point impossible que l’île de Délos soit sortie de dessous les eaux, ni qu’elle y ait été quelque temps flottante. Pour moi je crois très-probable que ce qu’on appelle une fable est une tradition. Le nom de Délos, & ce que disent les Poëtes m’en est une preuve. On sait qu’un grand nombre de fables ne sont que d’anciennes traditions & des points d’histoire, sur lesquels on a enté des fables. Aussi il est fort probable que la véritable origine de cette île a donné occasion de feindre ou d’y appliquer ce qu’on dit de Latone & d’Apollon.

Cette île, la plus célèbre de l’antiquité, est si peu considerée des Grecs de ce temps, qu’elle n’a point d’habitans. Son port qui, après la ruine de Corinthe, fut un des plus fréquentés de toute la Grèce pour le commerce de l’Asie, parce qu’il étoit franc & sacré, ne l’est plus que des Corsaires. On me dit que l’on n’y voit plus qu’un grand amas de marbre blanc taillé, & de colonnes brisées, qui sont les ruines de la ville & du temple dédié à Apollon & à Diane : & qu’il y reste encore la moitié d’une statue haute de dix piés, représentant Apollon, & que les Anglois ont sciée en deux, de haut en bas, pour en emporter une partie. Id. p. 7. & 8.

Ce mot, si l’on en croit les Anciens, est Grec, Δῆλος, manifeste, apparente, parce qu’elle parut tout-à-coup de dessous les flots. D’autres, au rapport d’un Commentateur ds Stace, disent que c’est parce que ce fut la première qui fut éclairée des rayons du soleil, & d’autres par ce que les oracles qui s’y rendoient étoient plus clairs que nuls autres. Bochart va plus loin à son ordinaire, & Chan. L. I. C. 14. Il prétend que Délos vient de דהל, Daal, comme Belus vient de באל, Baal ; Daal signifie crainte & figurément, Dieu, parce qu’on craint les Dieux ; qu’il est pris en ce dernier sens dans les Paraphrases Chaldéennes ; & ; qu’ainsi les Phéniciens nommèrent cette île Daal, ou comme on prononçoit anciennement Déel, c’est-à-dire, l’Isle-Dieu, savoir Apollon, & au pluriel Daalan, ou Déelan, c’est-à-dire, l’isle des Dieux, Apollon & Diane.

On croit que ce sont ces deux Divinités que représente une médaille rapportée par Nonnius dans la XXVIII. Table des îles de Grèce. On voit deux têtes d’un côté avec ce mot ΘΕΩΝ, & deux têtes encore de l’autre avec ΑΔΕΛΦΩΝ, & de chaque côté sous les têtes Δ, qu’ils prennent pour ΔΗΛΙΩΝ. Et cela se confirme par une autre médaille qui se voit au même endroit avec trois têtes, qui sont celle de Jupiter couronnée de laurier sur le devant, celle d’Apollon rayonnante au milieu, & celle de Diane avec un croissant sur le front sur le derrière. Au revers est une Aurore dans un char emporté par deux chevaux. Les autres médailles de Délos n’ont qu’une tête rayonnante, ou seule, ou avec un carquois ; & au revers, ou le soleil dans son char à deux, ou à quatre chevaux, ou un croissant & deux étoiles, ou l’Aurore dans un char attelé de deux chevaux ou de deux bœufs. Il y en a qui ont une tête de Jupiter couronnée de laurier, & dessous Δ, au revers trois croissans, trois étoiles Δ. Nonnius Insul. Gr. Tab. XVII. & XVIII.