Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DÉFENDRE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 164-165).
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DÉFENDRE, v. a. Je défens, je défendis, j’ai défendu, je défendrai, que je défende. Mettre quelqu’un ou quelque chose à couvert du mal qu’on veut lui faire, en répoussant les attaques, en s’opposant à ce qu’on fait, à ce qu’on dit. Ce terme ne dit point précisément la même chose que protéger & soutenir. On est protégé par les autres, par ceux qui ont de la puissance. On peut être défendu par ses égaux, par ses inférieurs : on se défend soi-même. Défendre annonce une action plus marquée que soutenir. Voy. ces mots. Il est du droit naturel de défendre la personne, son honneur & les biens, contre toutes sortes d’agresseurs. Ce Cavalier s’est bien défendu, il a vendu bien cher sa vie. Celui qui tue par la nécessité de se défendre n’est point punissable, il y a une entière impunité pour les homicides involontaires. S. Evr.

Défendre, se dit, dans le même sens à la guerre, quand on est commis pour garder, pour conserver un poste, une place pour répousser les attaques, s’opposer à ceux qui veulent s’en rendre maîtres. Ce Gouverneur a acquis beaucoup de gloire à défendre cette ville. Cette garnison s’est mal défendue, a capitulé trop tôt. Après avoir chassé les ennemis de la contrescarpe, qui ne la défendirent qu’à coups de mousquet. Bussi Rab.

Défendre, signifie aussi Flanquer. Le flanc défend la courtine, & la face du bastion opposé. Cette demi-lune flanque, défend cet ouvrage à cornes, à couronne. Les fortifications anciennes sont aisées à enlever, elles ne sont défendues de rien, il n’y a rien qui les flanque. Défendre a aussi sa signification propre en ces occasions, & quand on dit que le flanc défend la courtine, on entend que non seulement il est à côté, mais aussi qu’il en empêche les approches ; c’est-à-dire que ceux qui sont placés sur le flanc d’un bastion découvrent ceux qui attaquent la courtine, peuvent les tuer, les empêcher d’en approcher.

Défendre, avec le datif du nom de la chose, se dit, en style barbare du Palais, pour signifier, Fournit des défenses, donner des réponses aux demandes, aux productions de sa partie. Respondere, confutare. Il n’a pu se dispenser de procéder avec lui seul, & de défendre aux demandes qui avoient trait à cette succession. Brousse. Il a été condamné faute de défendre. Voyez défaut.

Défendre, se dit aussi en toutes sortes d’autres contestations. Propugnare. Socrate prend tous les partis que l’on veut, soit pour défendre, soit pour attaquer. S. Evr. Ce Bachelier a bien défendu ses thèses, & repondu à toutes les objections qu’on lui a faites. Il ne s’est pas trop défendu de cette galanterie, il en demeure tacitement d’accord. J’ai fait ce que j’ai pu pour me défendre de cette commission, pour m’en exempter. Cette marchandise est bonne, il n’y a qu’à se défendre du prix, disputer sur le prix. De pretio pugnare.

Défendre, signifie encore employer son crédit, son autorité, son éloquence, pour soutenir les droits ou l’innocence de quelqu’un. Tueri, defendere, tutari. Vous avez bien défendu mes intérêts. César opprima la liberté publique que défendoit Pompée. Bouh. La colère est comme une tutrice que la nature a donnée à l’homme pour la conservation de ses droits : elle lui donne le désir & la force de les défendre. M. Esp. Cicéron défendit Milon, qu’il ne put justifier. Défendre suppose seulement le désir de réussir.

Défendre, signifie encore, se parer, se garantir. Tutari, defendere, tueri ab aliquâ re. Il faut bien se vêtir en hiver pour se défendre du froid. Les femmes portent des masques pour se défendre du hâle. Les chevaux ont bien du mal à se défendre des mouches en automne. On met des rideaux aux fenêtres pour se défendre du grand jour. Cette colline défend ma maison du mauvais vent.

On dit, sur la mer, défend du Sud, défend du Nord, lorsqu’on commande au Timonier de ne pas gouverner de côté-là.

DÉFENDRE, signifie encore, interdire l’usage de quelque chose. Interdicere, vetare, prohibere. Les commandemens de Dieu défendent d’idolâtrer, de jurer, de tuer, de porter faux témoignage. Ceux de l’Eglise défendent la chair en Carême. Un Médecin défend le vin aux malades. Les Magistrats défendent les Brelans, l’Occa, la bassette. On a défendu le commerce avec les étrangers, les dentelles & manufactures étrangères. La Loi naturelle, la raison, nous défend de faire à autrui ce que nous ne voulons pas qu’il nous fasse. On dit aussi, Défendre sa maison à quelqu’un, pour dire, lui en interdire l’entrée. Défendre un livre, c’est de la part des puissances Ecclésiastiques & autres, en empêcher la lecture, le débit, l’impression. Défendre une sorte de marchandises, c’est en empêcher la vente, ou le débit, à l’égard des Marchands, & l’usage, à l’égard des autres.

☞ Dans ce sens dépendre & prohiber sont synonymes, avec cette différence que défendre a une signification bien plus étendue que prohiber qui ne s’applique qu’aux choses qui sont défendues par une loi humaine & de police.

On dit figurément & proverbialement, faire quelque chose à son corps défendant, pour dire, faire quelque chose avec répugnance, avec contrainte. Ac. Fr.

On dit proverbialement, bien attaqué, bien défendu quand le combat ou la dispute ont été bien opiniâtres.

☞ Se défendre, en termes de manège, se dit d’un cheval qui, en sautant ou en reculant, résiste à ce qu’on veut qu’il fasse.

Défendu, ue. part. & adj. Defensus, vetitus, prohibitus. Il y a toujours dans l’ame des plus grands hommes quelque endroit mal défendu. Vill. Livre défendu, marchandise défendue. Voy. Défendre.

En termes de Blason, on dit, qu’un sanglier est défendu d’une telle couleur, ou d’un tel métal, quand sa défense ou sa dent de dessous est d’un autre émail que son corps. Dentibus instructus.