Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CROISIER

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 29-30).
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CROISIER. s. m. Nom d’un Ordre Religieux, qui est une Congrégation de chanoines Réguliers, qu’on appelle Croisiers, ou Porte-croix. Cruciatas, Cruciger. Il y a trois Ordres qui ont porté ou portent encore ce nom. L’un est d’Italie ; le second a pris son origine aux Pays-Bas, & le troisième en Bohême. Ils prétendent venir de S. Clet ; que S. Quiriace, Juif qui montra à Sainte Hélène le lieu de la vraie Croix, & qui se convertit, les réforma. Ce qu’il y a de certain, c’est que cet Ordre étoit établi en Italie avant qu’Alexandre III montât sur la chaire de Saint Pierre, puisque ce Pontife fuyant la persécution de l’Empereur Frédéric Barberousse, trouva un aide dans les Monastères des Croisiers, & après que l’Eglise fut en paix, l’an 1169, il renouvela cet Ordre, lui donnant une Règle & des constitutions, & le prenant sous sa protection. Pie V. l’an 1518, l’approuva de nouveau, & confirma les privilèges. La discipline régulière s’y étant encore astoiblie, Alexandre VIII le supprima tout-à-fait en 1656. Ils avoient la qualité de Chanoines Réguliers, la Règle de Saint Augustin, & cinq Provinces toutes en Italie, celle de Boulogne, de Venise, de Rome, de Milan & de Naples. Ils étoient aussi Hospitaliers.

M. Allemand, dans son Hist. Mon. d’Irlande, dit qu’il y avoit quatorze Monastères de Croisiers en Irlande, & qu’ils étoient venus de ceux d’Italie, puisque ceux de France & des Pays-Bas ne les reconnoissoient point pour membres de leur Ordre. D’autres croient qu’il y a lieu d’en douter.

Mathieu Paris dit que des Croisiers, ou Religieux Porte-croix, portant des bâtons au bout desquels il y avoit une croix, vinrent en Angleterre en 1244, se présenter au synode que tenoit l’Evêque de Rochester, pour être reçus. Dodfworth & Dugdale, dans le Monasticon Anglicanum, parlent de deux Monastères de cet Ordre en Angleterre, l’un à Londres, l’autre au Bourg de Rigat, celui-ci fondé en 1245, & l’autre en 1298. Ils en avoient encore un à Oxfort, où ils furent reçus en 1349. Ces trois maisons ont subsisté jusqu’au schisme.

Croisiers de France & des Pays-Bas, qu’on nomme aussi de Sainte-Croix, & à Paris de Sainte Croix de la Bretonnerie, autre Congrégation de Chanoines Réguliers fondée sous le Pontificat d’Innocent III, l’an 1211, par Théodore de Celles, fils du Baron de Celles, issu des Ducs de Bretagne. Le P. Verduc, Religieux de sainte-Croix, qui a écrit la vie du Pere Théodore, dit que ce jeune Baron s’étant croisé en 1188, & ayant été servir en Palestine, il y connut de ces Croisiers, institués, à ce que l’on prétend, par S. Clet, & conçut dès lors le dessein d’en instituer une Congrégation dans son pays. Ce qu’il y a de certain, c’est que Théodore, étant retourné de Palestine, fut engagé dans l’Etat Ecclésiastique par Raoul Evêque de Liège, qu’il alla en qualité de Missionnaire à La Croisade contre les Albigeois, qu’étant retourné en son pays en 1211, l’Evêque de Liège lui donna l’Eglise de Saint Thibault, située sur une collinne appelée Clairlieu proche de la ville d’Huy, que ce fut là qu’avec quatre compagnons il jeta les fondemens de son Ordre, qu’Innocent III & Honorius III, confirmèrent. Théodore envoya de ses Religieux à Toulouse qui se joignirent à Saint Dominique, pour combattre les Albigeois ; & cette Congrégation s’établit & se multiplia depuis en France. Les Papes ont voulu soumettre les Croisiers d’Italie à ceux de Flandre, dont le Général fait ordinairement sa résidence à Clairlieu, qui est le Chef-d’Ordre.

Ces Religieux portoient dans le commencement une soutane noire avec un scapulaire gris, & par dessus une grande chape noire avec un grand capuchon : ils changèrent la soutane noire en blanche, par une Bulle de Clément VIII ; & sur la fin du dernier siècle ils changèrent encore leur habillement, qui consiste à présent en une soutane blanche & un scapulaire noir chargé sur la poitrine d’une croix rouge & blanche. Lorsqu’ils sont au chœur, ils ont l’été un surplis avec une aumusse noire ; & lorsqu’ils vont en ville, ils mettent un manteau noir comme les Ecclésiastiques. Ils mettent encore dans quelques Provinces le surplis sur le capuchon, & le capuchon à la tête au lieu de bonnet carré ; &, en mémoire de leur ancien habillement, les Novices portent la soutane noire pendant deux mois.

Croisier, ou Porte-croix avec l’étoile. Autre Congrégation de Chanoines Réguliers de Sainte-Croix établis en Bohême, qui prétendent faire remonter leur origine jusqu’au temps de Quiriace, puisqu’ils disent qu’ils sont venus de Palestine en Europe, où ils ont embrassé la règle de S. Augustin, qu’ils bâtirent plusieurs Monastères ou Hôpitaux, entre autres celui de Sorzik proche de Prague ; que la bienheureuse Agnès de Bohème en tira des Religieux pour fonder celui de Prague ; & qu’afin que ces Croisiers fussent distingués des autres, cette Princesse obtint d’Innocent IV, qu’ils ajouteroient une étoile à la croix qu’ils portent. Mais ce que l’on dit de S. Quiriace n’est point fondé ; c’est la bienheureuse Agnès, fille de Primislas, ou d’Ottocare I, Roi de Bohème, qui institua cet Ordre à Prague en 1234, & leur donna l’hôpital qu’elle y fonda auprès du pont. Ils ont maintenant deux Généraux, l’un à Prague, auquel une partie obéit, & l’autre à Breslaw, auquel une autre partie des Croisiers de Bohême, & ceux de Pologne & de Lithuanie sont soumis. Voyez les Bollandistes dans la vie de la bienheureuse Agnès, T. I. de Mars, p. 518, &c. Voyez aussi sur tous ces Croisiers, l’Hist. des Ord. Mon. & Relig. P. II, C. 35.

Croisier avec le Navire. Le P. Anastase de S. Agnès, Augustin Déchaussé, fait mention de certains Religieux Croisiers en Bohême, qui ont sur le côté gauche un navire, & qu’il dit avoir été établis en 1400. Pontanus parle aussi de ces Croisiers avec le navire, qui, dit-il, ont trois maisons en Bohême. V. l’Hist. des Ordr. Mon. & Relig. P. II, C. 35. Pontanus, Bohemia Sacra.