Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CROIRE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 26-27).
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☞ CROIRE. v. a. quelquefois n. Ainsi on dit qu’un homme croit ou ne croit, & qu’il croit les mystères. Dans le sens vulgaire, c’est être persuadé de la vérité d’une proposition ou d’un fait. Donner son assentiment à une chose que l’on estime vraie, soit après un examen suffisant, soit qu’on n’ait point, ou qu’on aie mal examiné. Credere. On prononce je croi ; mais il n’y a que les Poètes à qui il soit permis d’écrire je croi. On écrit je crois en Prose. Vaug. Corn. Remarquez encore qu’on met rarement de après le verbe croire : il a cru bien faire, est mieux que, il a cru de bien faire. Il faut encore remarquer que croire étant une chose positive, exige l’indicatif, & qu’il faut dire, je crois qu’elle est aimable, & non pas qu’elle soit. Plusieurs Provinciaux ne sont point cette remarque. Corneille lui-même a dit dans le Menteur.

La plus belle des deux, je crois que ce soit l’autre

C’étoit une faute de Grammaire du temps même de Corneille. Mais pourquoi dit-on, je croi qu’elle est aimable, qu’elle a de l’esprit ? Et croyez-vous qu’elle soit aimable, qu’elle ait de l’esprit ? C’est, dit M. de Voltaire, que croyez-vous n’est point positif. Croyez-vous, exprime le doute de celui qui interroge. Je suis sur qu’il vous satisfera : êtes-vous sur qu’il vous satisfasse.

Vous voyez par cet exemple que les règles de la Grammaire sont fondées la plupart sur la raison & sur cette logique naturelle, avec laquelle naissent tous les hommes bien organisés.

Croire, en termes Théologiques, & en parlant de la foi, c’est, dit l’Auteur des Conférences d’Angers, donner son approbation & son consentement aux vérités révélées dont on a la connoissance ; c’est y adhérer, parce que Dieu les a révélées à son Eglise, qui nous les propose. Ce n’est pas proprement approbation & consentement, c’est adhésion d’esprit & de cœur & d’esprit, pour juger qu’elles sont vraies, puisque Dieu, qui ne peut, qui ne veut nous tromper, nous les a révélées ; de cœur, pour vouloir les embrasser, les professer, &c. Car la foi comprend cet acte de volonté que les Théologiens appellent pius affectus ; & par-là la foi de l’homme chrétien est différente de celle des démons, qui, comme dit Saint Paul, croient & frémissent de crainte, credunt & contremiscunt ; & de la foi de bien des Apostats qui, quoiqu’ils soient persuadés des vérités de la foi, se laissent vaincre par la crainte des supplices, ou par quelque autre considération humaine.

Ne croire que ce que l’on voit, ou ce que l’on connoît par l’évidence naturelle ; ne consulter là-dessus que soi-même, & ne déférer à nul autre qu’à soi-même, voilà le premier principe de l’orgueil humain. Bourdaloue. Ex. II. Il faut croire les articles de la Foi, l’Evangile, la Sainte Ecriture. Dieu a voulu accoutumer l’homme à croire sans connoître, afin de le tenir dans la dépendance & dans la servitude. Il y a des dévots qui aiment Dieu sans y bien croire. S. Evr. Celui qui croira, & qui sera baptisé sera sauvé. A moins que la Foi n’assujettisse notre raison, nous passons la vie dans une contrariété perpétuelle, à croire, & à ne croire point. S. Evr. Les personnes pieuses embrassent d’abord le parti de croire ; qui fixe & arrête les courses de l’imagination. Vill. Les gens qui se bornent à une foi spéculative & superficielle, croient tout ce qu’on veut sans répugnance ; ils n’y font pas assez d’attention pour se rendre difficiles. Mont. Les prudens du siècle se font un honneur de ne rien croire, pour se distinguer du vulgaire, & ne pas hazarder leur créance. Tail. En quel temps si malheureux a-t-il été permis, ou de faire dans la République, ou de croire dans l’Eglise ce que l’on veut ? Peliss. Croire n’est pas imaginer. Nous croyons Dieu en tous lieux, & tout entier, sans qu’il occupe aucun lieu ; mais nous ne l’imaginons pas, parce que nous n’avons jamais rien vu de semblable. id. Croire n’est pas comprendre, c’est plutôt ne pas comprendre ; mais recevoir par une autorité supérieure ce que l’on ne comprend pas, & se persuader seulement qu’il est possible, tant par cette autorité supérieure qui nous l’ordonne, que par la comparaison que nous faisons de cette merveille avec d’autres dont nous ne pouvons douter, ou par la proportion entre la merveille & son auteur. id.

Présumez-vous pouvoir détruire
Une loi qui sut vous instruire,
Dès que le monde a commencé ?
Et ce qu’ont cru les plus habiles,
Des aveugles, des indociles,
Croiront-ils l’avoir effacé ?

Duché, Ode sur l’imm. de l’ame.

Croire, se dit aussi de l’imagination qu’on a qu’une chose est vraie, quoiqu’elle soit fausse. Les petits esprits croient aux Devins, aux Sorciers, aux Songes, aux Astrologues, ajoutent foi à tout ce qu’ils leur disent d’extraordinaire. On dit en conversation, cet homme est si simple, qu’on lui fait croire que des vessies sont des lanternes. Cet homme est si jaloux de sa femme, qu’il ne la croit pas où il la voit.

Croire, signifie aussi Ajouter foi à ce qu’on nous dit ; témoigner qu’on est persuadé de quelque chose, sur le rapport d’autrui. Fidere alicui. On doit croire un homme sur sa parole. Cela est vrai, si l’on en croit les Historiens. En l’état où je suis, je lui dois pardonner ; mais je ne la dois pas croire. Rochef.

C’est un homme, entre nous, à mener par le nez,
Et je l’ai mis au point de voir tout sans rien croire. Molière.

Croire, se dit aussi des opinions qu’on se met dans la tête, fondées sur plusieurs raisonnemens & conjectures. Il n’y a point d’opinion si extravagante, que quelques Philosophes ne la croient. Il y a des hommes qui s’imaginent qu’avec une certaine étendue d’esprit, & de certaines vues, il ne faut pas croire comme le peuple. La Bruy. Le monde a des apparences bien trompeuses, ce n’est pas tout ce qu’on croit. Entre les sciences il n’y a que la Géométrie qui oblige à croire ses démonstrations.

Quoi ! le foible intérêt de ce qu’on pourra croire
D’une bonne action empêchera la gloire ! Mol.

Croire, signifie encore, suivre l’avis, le conseil de quelqu’un, déférer, se rapporter à quelqu’un. Si vous m’en croyez, vous n’entreprendrez point cette affaire. Mon droit est si bon, que j’en croirai qui l’on voudra. Il ne faut pas croire son sens, sa passion. Il ne faut pas quelque fois même croire à ses yeux.

Croire, en termes de Palais, signifie, Recevoir pour preuve, admettre à un serment en Justice. On ne croit point les simples allégations des Avocats, mais les preuves, les titres qu’ils rapportent. On doit en croire le serment du Défendeur.

Crue, ue. part. Il a les significations de son verbe.

On dit absolument au Palais, après qu’on s’est rapporté au serment de quelqu’un, qu’il viendra cru, c’est-à-dire, qu’il gagne sa cause en faisant son affirmation en Justice.

Croire. Etre du croire, demeurer du croire, c’est être garant à son correspondant pour les dettes que l’on contracte pour son compte, ou pour les Lettres de change qu’on lui remet.