Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/COULER

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 958-959).
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COULER. v. n. Qui exprime le mouvement de tous les fluides suivant une pente naturelle. Il se dit premièrement du cours ordinaire des eaux. Fluere, manare. Les rivières coulent ordinairement vers le Nord ou vers le Midi. Il y en a quelques-unes, comme le Danube, & le fleuve de S. Laurent, qui coulent d’Occident en Orient. Les gelées empêchent que les rivières ne coulent. Le Pénée coule à l’ombre entre les forêts délicieuses qui bordent ses rivages. Vaug.

Ce mot vient du mot latin colare, qui signifie, faire passer une liqueur par quelque linge.

On le dit aussi des humeurs, & des sucs enfermés dans les vaisseaux des corps animés, lorsqu’ils montent, qu’ils descendent & qu’ils circulent. Le sang coule des artères dans les veines, & des veines dans les ventricules du cœur. Néron fit couler des torrens de sang. S. Evr. Si Dieu remue son bras par le cours des esprits animaux, c’est Dieu qui fait couler & agir ces petits corps. Maleb. Les rhumes, les fluxions coulent du cerveau, selon le sentiment des Anciens. Les larmes coulent par les yeux, la sueur par les pores. Le suc qui nourrit les végétaux coule & monte le long de leurs fibres.

Couler se dit aussi avec le pronom des autres fluides. Penetrare, pervadere, permeare. L’air se coule à travers de fort petites ouvertures. La matière subtile se coule dans tous les corps. La lumière se coule & traverse le verre.

☞ On dit aussi figurément que le temps coule, pour dire, qu’il passe promptement. Abire, efflere. Les jours, les années coulent insensiblement. Celui qui est comblé de joie trouve que le temps lui échappe, & qu’il coule avec trop de précipitation. Maleb.

Couler, terme de Chandelier. On dit que la chandelle coule, quand on y a mêlé du suif de pourceau, qui n’a pas assez de consistance pour soûtenir celui qui est fondu, & qui sert d’aliment au feu de la mèche, ou bien quand quelque bout de la mèche est tombé sur les bords, & les a fondus. Defluere, liquefieri.

☞ On dit aussi des choses solides qu’elles coulent ; pour dire qu’elles s’échappent & qu’elles tombent, quand elles trouvent de la pente. Labi, effluere. Il a coulé de dessus cette grange trois chevrons qui n’étoient pas bien chevillés. L’échelle a coulé sous lui. Une tuile coula d’un toit, & lui tomba sur la tête.

☞ On le dit particulièrement des corps solides réduits en poudre, du sable, des grains, &c. Le blé coule par un trou du sac. Le temps humide fait que le sable de cette horloge ne coule pas.

Couler, v. a. signifie filtrer, faire passer une chose liquide à travers un linge, du sable, &c. gluant, plus fluide. Colare, percolare. On coule l’hippocras par la chausse, le blanc d’œuf par le papier gris, le mercure par le chamois, pour les épurer. Quand l’encre est trop épaisse, on y met de l’eau pour la faire couler.

Couler, en Chymie, signifie aussi verser de l’eau sur des cendres, ou des terres, pour en tirer les sels, soit des minéraux, soit des végétaux. Infundere. Le salpêtre se fait à force de couler de l’eau sur les terres nitreuses, qu’on fait ensuite évaporer, quand elles sont imprégnées de leurs sels. La lessive ordinaire se fait en coulant de l’eau chaude sur des cendres de bois neuf ou des cendrés gravelées, qui en détache les sels qui blanchissent le linge.

Couler à fond un vaisseau, terme de Marine, c’est le percer à coups de canon dans les œuvres vives, ou l’ouvrir en quelque autre manière que ce soit, pour y faire entrer l’eau & le submerger. Deprimere, demergere. Les Capitaines font quelquefois couler à fond leurs chalouppes, pour ôter aux Matelots l’espérance de se sauver. On dit absolument, qu’un vaisseau coule à fond, quand par quelque accident que ce soit, il s’y est fait des voies d’eau qu’on ne peut épuiser. On dit pareillement, couler bas ; pour dire, enfoncer & faire périr un vaisseau. On dit au contraire, qu’un muid coule, quand il ne joint pas assez bien, pour contenir la liqueur qui y est enfermée. Defluit. Couler à fond, est plus ordinairement actif, & couler bas est neutre, selon la remarque du P. Hoste sur ce mot. ☞ Un vaisseau coule bas, quand il s’y fait une voie d’eau à laquelle on ne peut remédier.

☞ On dit figurément couler quelqu’un à fond dans la dispute, le réduire à ne savoir que répondre. On le dit de même, en parlant de la fortune, couler quelqu’un à fond, ruiner sa fortune, son crédit.

Couler à fond. Cette manière de parler est d’un usage fréquent dans les armées de terre : elle se dit en particulier de la Maison du Roi. Couler à fond, c’est prendre tous les corps l’un après l’autre pour les employer tous. Dans les détachemens & autres emplois, on commence par les Gardes du Corps, ensuite les Gendarmes de la Garde ; après les Chevaux Légers, ainsi de tous les autres corps qu’on coule à tond, puis on recommence. Le P. Daniel se sert souvent de cette phrase dans son Histoire de la Milice Françoise.

Couler, en termes de Fonderie. On dit couler une pièce de canon ; c’est en fondre le métal & le faire passer, le faire couler dans le moule. Voir couler, faire couler la gueuse, c’est faire couler le fer fondu. Liquefacere & diffundere. Couler en plomb, c’est remplir de plomb des joints de pierre, des marches de perron à l’air, sceller avec du plomb des crampons de fer ou de bronze.

Couler une glace, c’est en faire couler la matière fondue sur une table préparée exprès.

On dit neutralement, en parlant d’un ouvrage de fonte qu’on a jeté en moule, que la statue, que la cloche a coulé ; pour dire, que le métal s’est échappé par quelque fente faite au moule.

Couler, en termes d’Agriculture, se dit aussi neutralement des fruits qui ont fleuri & qui n’ont pas noué. Roratione defluere. La vigne a coulé ; c’est à-dire, que la vigne étant en fleur, il est survenu des pluies froides, qui ont empêché le raisin de se former. ☞ Voyez Fleur, Étamines, Sommets.

Couler signifie encore dans un sens figure faire passer quelque chose avec adresse en quelque lieu. Insinuare, inducere aliquid. Cet Amant a su couler son poulet par le secours d’une confidente. Ce Plaideur a gagné sa cause, parce qu’il a fait couler quelque argent dans la main du Secrétaire. Le Notaire a fait couler cette clause dans ce testament en faveur d’un de ses amis. Les Coupeurs de bourse sont adroits à couler la main dans la poche.

☞ On le dit, dans le commerce, des mauvaises marchandises qu’on fait passer à la faveur des bonnes. Ce Marchand a coulé quelques mauvaises pièces de drap parmi celles qu’il m’a livrées. On ne fait guère de payement qu’il ne s’y coule de mauvaises pièces.

Couler, presque en ce sens, se dit de ☞ ceux qui partent sans faire de bruit, crainte d’être apperçus ; & dans ce cas, il peut aussi se mettre avec les pronoms personnels. Insinuare se, irrepere. Ce prisonnier s’échappa à la faveur de la foule où il se coula. La nuit est favorable aux secours qu’on veut faire couler dans une Ville assiégée. Il a coulé le long du mur.

Il signifie aussi passer un défilé, soit un à un, soit en petit nombre. Irrepere, subrepere, obrepere. Coulez-vous les uns après les autres dans cette porte, dans ce mauvais pas.

On dit qu’un rasoir coule bien ; pour dire, qu’il rase doucement, légèrement, qu’il n’est point rude. Acad. Fr.

☞ On dit des bons vins, qu’ils coulent agréablement ; pour dire qu’ils flattent le palais, qu’on les boit avec plaisir.

Couler se dit encore dans un sens figuré, en parlant du discours, du style ; pour dire, qu’il ne s’y trouve rien de dur, de raboteux ; rien qui ne flatte agréablement l’oreille ; rien qui ne soit écrit ou dit naturellement & d’une manière aisée. C’est ainsi qu’on dit d’une période, d’un vers, qu’ils coulent bien, qu’il ne s’y trouve rien qui blesse l’oreille. Cela coule de source, c’est-à-dire, cela est dit, écrit d’une manière aisée, naturelle.

☞ On le dit encore de ce qui est fait. On dit conformément au génie, naturellement, de l’abondance du cœur ; il dit des choses fort consolantes, cela coule de source.

Couler se dit encore de la manière dont le discours doit marcher. La narration doit couler majestueusement, comme les grands fleuves, & non pas avec rapidité comme les torrens. S. Evr.

☞ On s’en sert aussi pour marquer l’abondance.

Bon Dieu ! comme chez vous les vers s’en vont couler. Boil.

Heureux, dit-on, le peuple florissant
Sur qui les biens de Dieu coulent en abondance.

Couler, en termes de danse, signifie porter sa jambe doucement, légérement & à fleur de terre, sans presque marquer les cadances. Crus movere molliter, terram leviter crure perstringere. La danse consiste à savoir bien couler, couper & pirouetter.

☞ On dit aussi activement, couler un pas, le marquer légèrement. Pliez & coulez votre pas.

Couler, en termes de Musique, se dit d’un certain mouvement doux & lié que l’on donne aux instrumens par le moyen de l’archet, quand ils en ont, ou pour les touches de clavessins, des orgues, ou par la manière de ménager l’air dans la voix humaine, ou dans les instrumens qui se jouent avec la bouche ; couler & tirer sont deux choses différentes ; par exemple, quand on veut couler en jouant de la viole, il n’y a que les doigts qui doivent agir, & l’archet ne doit point quitter les cordes : mais quand on tire deux fois, ou deux notes, il faut soulever l’archet à la moitié environ de son coups, & le remettre aussitôt en continuant le même coup, & non pas en recommençant à tirer. Rousseau.

Couler une note ou plusieurs, c’est les passer légèrement, passer de l’une à l’autre, soit avec la voix, soit avec les instrumens, en faisant une espèce de liaison entre ces notes. Voyez Coulé.

Couler après, terme du jeu de billard, se dit lorsqu’un Joueur fait entrer la bille de son adversaire, dans une blouse, & que la sienne tombe dans la même blouse, in cavum delabi.

Coulé, ée, part.