Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CORVÉE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 938-939).
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CORVÉE, s. f. servitude, redevance corporelle, qu’on doit à un Seigneur dominant pour quelque droit, ou héritage qu’on tient de lui à cette charge. Opus tributarium, Angaria. L’usage des corvées est très-ancien en France. Parmi les Gaulois les paysans n’étoient pas moins soumis à leurs Seigneurs que les esclaves à leurs maîtres : cette tyrannique coutume a duré fort longtemps. L’Ordonnance de Louis XII, en 1499, a extrêmement modéré la rigueur de ces exactions : & comme les corvées sont odieuses, on ne peut les acquérir, même par la prescription centénaire, il faut un titre positif. Les corvées sont des servitudes qui offensent la liberté publique, & marquent les violences des Seigneurs sur leurs sujets. Le Mait. ☞ L’origine des corvées, je ne parle point de celles qui ne sont fondées que sur la force & la violence des Seigneurs, vient de ce que les Seigneurs anciennement ne consentoient à l’affranchissement des serfs qui étoient dans l’étendue de leur Seigneurie, que moyennant certaines redevances en argent, en grains ou en corvées.

☞ Il y a deux sortes de corvées, les réelles & les personnelles.

☞ Les réelles sont celles qui sont dues par les possesseurs des fonds, comme devoirs réels & fonciers.

☞ Les personnelles sont celles qui sont dues au Seigneur par ses sujets, à cause de leur personne.

☞ Ceux qui ne sont pas sujets d’un Seigneur sont exemts des corvées personnelles : les réelles sont dues par tous ceux qui possedent des héritages dans l’étendue de la Seigneurie, même forains, aussi bien que par les Gentils-hommes & Ecclésiastiques ; mais ils peuvent les faire faire par un tiers. Les uns & les autres sont exemts des corvées personnelles.

Ce mot, selon Cujas & autres, est dérive de corps, quasi corpees, aut opera corporalia, ou à corpore vehendo. Mais Ménage le dérive de curbada, dont les Auteurs de la basse latinité se sont servis en cette signification, parce qu’on se courbe en travaillant ; d’autres de courbe, qui signifie deux chevaux qui remontent les bateaux sur la Seine, parce qu’une courbe de chevaux fait une bonne corvée. Ragueau le dérive avec plus d’apparence du mot de corps, & de vée, qui est un vieux mot gaulois signifiant peine & travail. Du Cange dit qu’en la basse latinité on les a appelées corvatæ, curvatæ, corveiæ, & courbiæ, eò quòd præstentur ab iis quos homines de corpore appellabant. On a appelé en latin une corvée, manopera, quand elle consistoit dans un travail des mains, du corps ; & carropera, & ensuite corvata, quand on étoit obligé de fournir des voitures au Seigneur, & qu’elles consistoient dans des charrois.

Corvée, se dit aussi par extension, de toute peine, toute fatigue, ou de tout travail de corps, ou d’esprit qu’on se donne comme à regret, en considération d’un Supérieur, ou d’un ami, sans en attendre de récompense. Operosus labor. Trouvez-vous que les femmes perdent beaucoup, à n’être point appelées à ces corvées brillantes qui rendent les hommes si célèbres ? Com. Le plaisir qui se présente dans un ordre si égal lasse aisément ; il devient comme une corvée. Le C. de M. J’ai du plaisir de la corvée qu’il vous a fait faire. Balz. Vous m’avez obligé de me relever d’une si fâcheuse corvée. Mait. Je vous donne de grandes corvées ; mais quiconque m’aime, ne le sauroit éviter. Id.

Corvée s’employe aussi en cette phrase. On diroit qu’il fait corvée ; pour dire, il fait cela avec répugnance, parce qu’il n’en tirera aucun profit.