Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CORROMPRE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 935-936).
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CORROMPRE. v. a. Je corromps, je corrompis, j’ai corrompu, je corromprai, que je corrompe, que je corrompisse. Altérer la nature de quelque chose, la gâter, la changer en mal. Corrumpere, vitiare. La fièvre en peu de temps corrompt toute la masse du sang. La grande chaleur corrompt la viande.

Corrompre, dans ce sens, avec le pronom personnel, signifie, se gâter, se pourrir. Corrumpi, vitiari. Les fruits d’été se corrompent, se gâtent aisément. Si le grain ne meurt, & ne se corrompt dans la terre, il ne se multipliera point, dit l’Evangile.

Corrompre signifie quelquefois, dans les arts méchaniques, changer simplement la forme. Deformare. L’emballage corrompt la forme d’un chapeau. La couverture d’un livre se corrompt, lorsqu’il est trop manié.

Corrompre se dit figurément dans cette signification. Immutare, adulterare. Les Hérétiques corrompent les textes, les passages de l’Ecriture, c’est à-dire, les altèrent, les tronquent, les changent. Cet Avocat corrompt les Loix, les détourne de leur vrai sens. Corrompre la Loi du Seigneur. Pasc. Il n’y a rien que la crainte & la flaterie qui corrompent la vérité de l’Histoire. Du Rier.

Corrompre signifie aussi faire faire à quelqu’un une chose contre son devoir. Aliquem corrumpere, alicujus fidem pretio labefactare. Le Gouverneur de cette place s’est laissé corrompre par argent. Les présens & la beauté corrompent les Juges. Quelque ascendant qu’on eût sur lui, on pouvoit le prévenir, mais non pas le corrompe. Fléch. Le plaisir que les passions font à l’esprit le corrompent en leur faveur. Maleb. Les Lecteurs sont d’ordinaire gagnés & corrompus par les manières libres & naturelles de Montagne. Id. Voilà des témoins qui ont été corrompus & subornés.

Corrompre toujours, dans le sens métaphysique, signifie dépraver, changer de bien en mal. Depravare alicujus animum, mores corrumpere. La beauté, toute innocente qu’elle est, ne laisse pas de faire des coupables, & de corrompre les regards. Fléch. L’oisiveté corrompt les plus généreux courages. S. Evr. La flatterie corrompt la vertu, & la médisance la décrie. Fléch. Il y a du danger à retenir dans le monde des âmes tendres & fragiles, que la présence des objets peut corrompre, & qui se pourroient sanctifier dans la retraite. C B. Les cajoleries de ce galant ont corrompu cette fille, il a triomphé de son honneur.

Non, je ne suis pas étonné,
Que ton perfide cœur, au vice abandonné,
Corrompe ta raison par de fausses maximes. L’Abbé Tétu.

☞ CORROMPRE se dit, dans les Arts méchaniques, avec le pronom personnel ainsi qu’en parlant des mœurs, du langage. Mon chapeau commence à se corrompre ; les mœurs se corrompent ; la langue latine commence à se corrompre. Dans toutes ces acceptions, le mot corrompre présente l’idée d’un changement de bien en mal.

On dit, en termes de l’Ecriture-Sainte, que toute chair avoit corrompu sa voie ; pour dire, que tous les hommes s’étoient abandonnés à toutes sortes de crimes. Acad. Fr.

Corrompre se prend aussi pour gâter, diminuer, troubler. Turbare, perturbare, imminuere.

Adieu donc, fi du plaisir,
Que la crainte peut corrompre. La Fontaine.

Corrompre est aussi un terme de Corroyeur, qui signifie, faire venir le grain à un cuir de vache par le moyen de la pomelle. Corrompre la vache.

CORROMPU, UE. part. & adj. Corruptus, depravatus, adulteratus. Un mot corrompu par l’usage. Un siècle corrompu & dépravé. La raison humaine est trop corrompue pour s’abandonner à sa conduite. S. Evr. Les perses abattus par la mollesse, & corrompus par les délices, ne purent s’opposer à la chûte de leur Empire. Vaug. Les hommes sont tellement corrompus, que ne pouvant les faire venir à nous, il faut bien que nous allions à eux. Cette erreur se répandit en peu de temps par l’intelligence qu’elle trouva dans les inclinations corrompues des hommes. Nic. Une chair corrompue & pourrie.

Corrompu est quelquefois substantif, & alors il signifie, un homme débauché, & dont les maximes & les mœurs sont corrompues. C’est un vieux corrompu. ☞ Cette expression est empruntée de ce qui se passe dans la gangrène du corps, & transportée à l’état de l’ame ; ainsi, disent les Encyclopédistes, un cœur corrompu est un homme dont les mœurs sont aussi mal saines en elles-mêmes, qu’une substance qui tombe en pourriture ; & aussi choquantes pour ceux qui les ont innocentes & pures, que le spectacle de cette substance, & la vapeur qui s’en exhale, le seroient pour ceux qui auroient les sens délicats.