Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CONSCIENCE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 819-821).

CONSCIENCE. s. f. Témoignage ou jugement secret de l’ame raisonnable, qui donne l’approbation aux actions qu’elle fait, qui sont naturellement bonnes, & qui lui fait un reproche, ou qui lui donne un repentir des mauvaises. Lumière intérieure, sentiment intérieur, par lequel l’homme se rend témoignage lui-même du bien & du mal qu’il fait. Conscientia. La conscience est ce que nous dicte la lumière naturelle, la droite raison. Quelquefois nous n’avons point d’autre guide pour régler notre conduite, que la conscience, & alors c’est à notre égard l’interprète des volontés de Dieu. La conscience est un Juge incorruptible, qui ne s’appaise jamais : c’est un miroir qui nous montre nos taches ; un bourreau qui nous déchire le cœur. La conscience a ses erreurs, elle a de faux scrupules, & de ridicules inquiétudes. Une bonne action devient mauvaise, si elle est faite contre le dictamen de la conscience. On est coupable, même en agissant selon les mouvemens de sa conscience, lorsqu’on a des règles plus sûres que l’on peut consulter. Celui à qui la conscience présente l’erreur à la place, & sous la forme de la vérité, est cependant obligé à obéir aux ordres, & à suivre les suggestions de sa conscience qui le trompe, s’il n’a point de règle plus sûre qui le puisse déterminer, C’est par cette raison qu’on appelle la conscience le for intérieur. Il y a des consciences timides & délicates, qu’il ne faut point alarmer. S. Evr. Ces troubles, ces remords de la conscience, & ces regrets qui dévorent l’ame, sont figurés par le vautour de la fable qui déchiroit sans cesse le cœur de Prométhée. Le Mait. Il n’y a point de tribunal plus sévère que celui d’une bonne conscience. S. Evr. Il ne faut pas confondre la conscience, cet instinct secret que Dieu donne à l’ame pour l’éclairer, & pour lui faire discerner le bien & le mal, avec les fantaisies & les caprises de notre volonté pervertie ; ni ériger en principes de conscience, les dogmes dont une passion aveugle & opiniâtre trouve à propos de s’entêter. Poiret. Ce n’est plus la joie & la sérénité que le sentiment d’une bonne conscience étale sur le visage ; les passions tristes & austères ont pris le dessus. La Bruy. La flaterie endort le pécheur dans une fausse paix, & dans la tranquillité d’une conscience trompée. Flech. La voix de la conscience, quelque droite qu’elle paroisse, ne doit jamais prévaloir contre les décisions de l’Eglise.

☞ Il est bien certain que la conscience est le meilleur Casuiste que l’on puisse consulter ; ce n’est que quand on marchande avec elle, qu’on a recours aux subtilités du raisonnement. Elle est la voix de l’ame, comme les passions sont la voix du corps ; ainsi il n’est pas étonnant que ces deux langages se contredisent si souvent. Mais pour fixer les idées dans une matière aussi importante, nous joindrons ici quelques observations avec quelques règles, tirées de Burlamaqui & de Pufendorf.

☞ La conscience n’est proprement que la raison elle-même, considérée comme instruite de la règle que nous devons suivre, ou de la loi naturelle ; & jugeant de la moralité de nos propres actions, & de l’obligation où nous sommes à cet égard, en les comparant avec cette règle, conformément aux idées que nous en avons.

☞ Souvent aussi l’on prend la conscience pour le jugement même que nous portons sur la moralité de nos actions : jugement qui est le résultat d’un raisonnement complet, ou la conséquence que nous tirons de deux prémisses, ou directement exprimées, ou tacitement conçues. On compare ensemble deux propositions, dont l’une renferme la loi, & l’autre l’action dont il s’agit, & l’on en déduit une troisième, qui est le jugement que nous faisons de la qualité de notre action. Tel étoit le raisonnement de Judas. Quiconque livre à la mort un innocent, commet un crime ; voilà la loi : Or, c’est ce que j’ai fait ; voilà l’action. J’ai donc commis un crime ; voilà la conséquence, ou le jugement que sa conscience portoit sur l’action commise.

☞ La conscience suppose donc la connoissance de la loi, & en particulier celle de la loi naturelle, qui étant la source primitive de la justice, est aussi la règle suprême de notre conduite ; & comme les loix ne peuvent nous servir de règle, qu’autant qu’elles sont connues, il s’ensuit que la conscience devient ainsi la règle immédiate de nos actions ; car il est bien évident qu’on ne peut se conformer à la loi qu’autant qu’elle est connue.

☞ Il faut donc éclairer sa conscience, la consulter, & en suivre ses conseils. Eclairer sa conscience, en s’instruisant exactement de la volonté du Législateur & de la disposition des loix, afin d’avoir de justes idées de ce qui est ordonné, défendu ou permis, sans quoi le jugement que nous ferions de nos actions seroit vicieux : connoître parfaitement l’action dont il s’agit, faire attention aux circonstances qui l’accompagnent, & aux conséquences qu’elle peut avoir ; sans quoi l’on pourroit se méprendre dans l’application des loix, dont les dispositions générales souffrent plusieurs modifications, suivant les différentes circonstances qui accompagnent nos actions ; ce qui influe nécessairement sur leur moralité & sur nos devoirs.

☞ Nous devons faire usage de ces connoissances pour diriger notre conduite. Il faut donc, quand il est question d’agir, consulter sa conscience, & en suivre les conseils. C’est là une obligation indispensable ; car la conscience étant, pour ainsi dire, le ministre & l’interprête des volontés du Législateur, les conseils qu’elle nous donne ont toute la force & l’autorité d’une loi, & doivent produire le même effet sur nous.

☞ On s’abuseroit donc grossièrement, si, sous prétexte que la conscience est la règle immédiate de nos aurions, l’on croyoit que chacun peut toujours faire légitimement tout ce qu’il s’imagine que la loi permet ou ordonne. Car la conscience n’a quelque part à la direction des actions humaines, qu’autant qu’elle est instruite de la loi, à qui seule il appartient proprement de diriger nos actions.

☞ Avant que de se déterminer à suivre les mouvemens de sa conscience, il faut examiner si l’on a les lumières & les secours nécessaires pour juger de la chose dont il s’agit ; sans quoi l’on ne peut rien entreprendre sans une témérité inexcusable & très-dangereuse.

☞ Supposé qu’en général on ait ces lumières & ces secours nécessaires, il faut voir ensuite si l’on en a fait actuellement usage, en sorte qu’on puisse, sans un nouvel examen, se porter à ce que la conscience suggère.

☞ Quand on a fait tout cela, on a fait tout ce que l’on pouvoit & ce que l’on devoit faire ; & il est moralement certain que l’on ne peut ni se tromper dans ses jugemens, ni s’égarer dans ses déterminations. Si, malgré toutes ces précautions, il arrivoit encore de se méprendre, ce seroit pour lors une faute de foiblesse, inséparable de l’humanité, & qui porteroit son excuse avec elle aux yeux du Souverain Législateur.

☞ Nous jugeons de nos actions avant que de les faire. C’est la conscience antécédente ; ou après les avoir fait, c’est la conscience subséquente. Un homme sage doit consulter sa conscience avant que d’agir, pour sçavoir si ce qu’il va faire est bien ou mal : & après avoir agi, pour se confirmer dans le bon parti, s’il l’a pris, ou pour redresser son tort, s’il s’est trompé dans son premier jugement, & se précautionner contre de pareilles fautes à l’avenir.

☞ La conscience subséquente est tranquille ou inquiète, suivant que le jugement que nous portons de notre conduite, après cette révision, nous absout ou nous condamne.

☞ La conscience est décisive ou douteuse, suivant le degré de persuasion où l’on est au sujet de la qualité de l’action. L’on doit se porter promptement, volontiers & avec plaisir à ce qu’une conscience décisive ordonne. Se déclarer contre les mouvemens d’une telle conscience, c’est le plus haut degré de dépravation & de malice. A l’égard de la conscience douteuse, lorsque l’esprit demeure comme en suspens par le conflit des raisons qu’il voit de part & d’autre, & qui lui paroissent d’un poids égal, il ne faut rien négliger pour se tirer d’incertitude, & s’abstenir d’agir, tant que l’on ne sçait pas si l’on fera bien ou mal. Sans cela, on témoigneroit un mépris indirect pour la loi, en s’exposant volontairement au hasard de la violer ; mais si l’on se trouve dans des circonstances où l’on soit nécessairement obligé de se déterminer & d’agir, il faut par une nouvelle attention, tâcher de démêler quel est le parti le plus probable, le plus sûr, & dont les conséquences soient les moins dangereuses.

☞ Dans la conscience scrupuleuse, qui est produite par des difficultés légères & frivoles, qui s’élèvent dans l’esprit, quoi que l’on ne voie d’ailleurs aucune bonne raison de douter ; de tels scrupules ne doivent pas nous empêcher d’agir, s’il le faut ; & l’on en sera bientôt délivré, si l’on examine la chose attentivement.

☞ Dans la conscience probable, où le jugement qu’on porte n’est fondé que sur des vraisemblances, sans qu’on en puisse démontrer la certitude par des principes incontestables, quoique l’on soit bien convaincu de sa vérité ; on doit faire tout son possible pour augmenter le degré de vraisemblance de ses opinions ; & il ne faut se contenter de la probabilité, que quand on ne peut pas faire mieux.

☞ La plus grande difficulté est pour la conscience erronée. La conscience décisive est droite ou erronée, suivant qu’elle décide bien ou mal. Celui qui croit devoir s’abstenir de la vengeance proprement dite, quoique la loi naturelle permette une légitime défense à une conscience droite. Celui qui pense que la loi qui veut qu’on soit fidèle à ses engagemens, n’oblige pas envers des hérétiques, & que l’on peut légitimement s’en dispenser à leur égard, a une conscience erronée. On demande ce qu’il faut faire dans une conscience erronée.

☞ Il faut toujours suivre les mouvemens de sa conscience, lors même qu’elle est erronée, & soit que l’erreur soit vincible ou invincible.

☞ Cette règle peut d’abord paroître étrangère, dit Burlamaqui, puisqu’elle semble prescrire le mal ; car on ne sçauroit douter que celui qui agit suivant une conscience erronée, ne prenne un mauvais parti ; mais ce parti est encore moins mauvais, que si l’on se déterminoit à faire une chose que l’on est fermement persuadé être contraire à la disposition des loix ; car cela marqueroit un mépris direct du Législateur & de ses ordres, au lieu que le premier parti, quoique mauvais en foi, est cependant l’effet de la disposition louable d’obéir au Législateur, & de se conformer à sa volonté.

☞ Mais celui qui suit les mouvemens d’une conscience erronée n’est excusable que lorsque l’erreur est invincible ; car si l’erreur est vincible, & que l’on se trompe sur ce qui est ordonné ou défendu, l’on pèche également, soit qu’on agisse suivant sa conscience, ou contre ses discours, ce qui fait voir combien on est intéressé à éclairer sa conscience, puisque dans le cas dont nous parlons, on est dans la triste nécessité de faire mal, quelque parti que l’on prenne.

☞ Si l’on ne se méprend qu’au sujet d’une chose indifférente, & que l’on se soit faussement persuadé qu’elle est ordonnée ou défendue, on ne pèche alors que quand on agit contre les lumières de sa conscience.

En Métaphysique, on entend par la conscience ce que d’autres appellent sens intime, c’est-à-dire le sentiment intérieur qu’on a d’une chose donc on ne peut former d’idée claire & distincte. Dans ce sens, on dit que nous ne connoissons notre ame, & que nous ne sommes assurés de l’existence de nos pensées, que par la conscience ; c’est-à-dire par le sentiment intérieur que nous en avons, & par ce que nous sentons ce qui se passe en nous-mêmes.

Un directeur de conscience est celui qui conduit les ames dans les voies de la vie spirituelle, qui lève les doutes & les scrupules d’une conscience timorée ou trop délicate. On appelle une conscience cautérisée, une conscience endurcie & insensible aux reproches & aux remords. On dit, je mets cela sur votre conscience ; c’est-à-dire, je vous en rens responsable devant Dieu. Cet homme n’a point de conscience ; c’est-à-dire, il n’a ni scrupules ni remords.

Conscience, se dit aussi du secret du cœur. Conscientia, animus. Cet homme a déchargé sa conscience ; c’est-à-dire, tout ce qu’il sçavoit, tout ce qu’il avoit sur le cœur. Il parle contre sa conscience ; c’est-à-dire, contre sa propre connoissance, contre ce qu’il sçait. Jurer contre sa conscience, c’est faire un serment contre ses lumières intérieures, en dissimulant, ou en cachant les secrets sentimens du cœur.

On dit proverbialement d’un homme qui ne se fait point scrupule de choses qui devroient lui en faire, qui décide hardiment & prend le parti le plus lâche ; qu’il a la conscience large comme la manche d’un Cordelier. Cela ne se dit que dans le style familier & en badinant. Qui n’a conscience, n’a rien.

Conscience, (En) adv. de bonne foi, selon les loix de la justice. Sincerè, ingenuè, verè. Je vous dis cela en conscience, en vérité. Ce Marchand vend les choses en conscience, il ne trompe point.

On dit aussi, en conscience, vous avez tort ; pour dire, certainement cela n’est pas vrai. En conscience, êtes vous dans ce sentiment ?

On appelle liberté de conscience, la liberté qu’on accorde en quelques pays aux particuliers de croire ce qu’il leur plaît, de professer la religion qu’ils jugent à propos. Un autre vain fantôme vous trompe encore sous une apparence d’équité naturelle, & avec le nom de liberté de conscience, nom funeste, inconnu à toute l’antiquité chrétienne, que la seule fureur des guerres civiles, les batailles sanglantes, l’autorité légitime foulée aux piés, & les édits arrachés par force de la main du Souverain, ont introduit en nos derniers jours. Péliss.