Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/COMTE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 761-763).
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COMTE. s. m. Homme noble, qui possède une terre érigée en comté en sa faveur, ou en faveur de ses ancêtres. Comes. Le Comte de Soissons, d’Auvergne. L’Evêque de Beauvais est Comte & Pair, aussi-bien que ceux de Noyon & de Châlons sur Marne. Les Comtes tiennent le milieu entre les Ducs & les Barons. Ils ont droit de porter une couronne perlée sur leurs armes. La couronne de Comte est une lame en cercle, ornée de trois pierres précieuses, & surmontée de trois grosses perles ou d’un rang de perles, qui au milieu & aux extrémités de la lame se doublent, ou se triplent, & sont plus élevées que les autres. Voyez Paschal, dans son L. IXe des couronnes, ch. 22.

Comte se dit aussi des Chanoines qui sont nobles & fondés en qualité de Comtes. Les Chanoines de la Cathédrale de S. Jean de Lyon, ceux de Brioude en Auvergne, ceux de saint Pierre de Mâcon, ☞ sont qualifiés Comtes, parce qu’ils étoient autrefois Seigneurs temporels des endroits où leurs Eglises sont situées. On a appelé autrefois Comtes, des Capitaines, gens du Conseil, Secrétaires & Juges des villes sous Charlemagne ; & le Comte différoit du Duc, en ce que le Comte n’avoit qu’une ville sous lui, & le Duc une Province.

Ce mot vient du latin comes, parce que c’étoient d’abord des Seigneurs qui étoient à la Cour, ou à la suite de l’Empereur, ainsi appelés à comitando, vel commeando : d’où vient qu’on a appelé les Comtes Palatins, ceux qui étoient toujours au Palais au côté du Prince, qu’on nommoit aussi Comites à latere. Au tems de la République on appeloit Comtes chez les Romains tous ceux qui accompagnoient les Proconsuls & les Propréteurs dans les Provinces, pour y servir la République, comme les Tribuns, ceux qu’on nommoit Præfecti, les Ecrivains, &c. Cela paroît par l’Oraison de Cicéron, pro C. Rabirio postumo, n. 13. Sous les Empereurs, les Comtes étoient tous les Officiers de la Maison de l’Empereur. Il semble qu’on peut faire commencer les Comtes dès le tems d’Auguste, qui prit plusieurs Sénateurs pour être ses Comtes, ainsi que Dion le rapporte, L. LIII, c’est-à-dire, pour l’accompagner dans ses voyages, & pour l’assister dans les affaires qui se jugeoient ainsi avec la même autorité que si elles eussent été jugées en plein Sénat. Gallien paroît avoir aboli ce Conseil, en défendant aux Sénateurs de se trouver dans les armées, & ses successeurs ne le rétablirent pas. Mais s’ils n’avoient pas avec eux un corps de Sénateurs, ils ne pouvoient pas manquer d’avoir un Conseil de gens de mérite. Décébale, Roi des Daces sous Trajan, voulant peut-être imiter les Empereurs, avoir aussi ses Comtes, qui étoient considérables, mais qui n’étoient pas les premiers. C’est Dion qui nous l’apprend, L. LXVIII.

Ces Conseillers des Empereurs étoient donc véritablement Comtes, c’est-à-dire, Compagnons du Prince, & ils en prenoient quelquefois le titre, mais en y ajoutant le nom du Prince qu’ils accompagnoient. Ainsi c’étoit plutôt une marque de leur emploi, qu’un titre de dignité. Constantin en fit une dignité, & c’est sous lui qu’on commence à le donner absolument au Comte Denis, & à divers autres ; & cet usage étant une fois établi, on le donna assez indifféremment, non-seulement à ceux qui suivoient la Cour, & qui accompagnoient l’Empereur, mais généralement presque à toutes sortes d’Officiers, comme on le peut voir par la longue liste qu’en a fait Du Cange. Comes ærarii ; Comes sacrarum largitionum ; Comes sacri consistorii ; Comes curiæ ; Comes capellæ ; Comes archiatrorum ; Comes commerciorum ; Comes vestiarius ; Comes horreorum ; Comes opsoniorum, aut annonæ ; Comes domesticorum ; Comes equorum regiorum, aut Comes stabuli ; Comes domorum ; Comes excubitorum ; Comes notariorum ; Comes legum, seu Professor in Jure ; Comes limitum, aut marcarum ; Comes maritimæ ; Comes portus Romæ ; Comes patrimonii. C’étoient des Officiers en chef, dont il est parlé en plusieurs endroits du Droit Romain. On donnoit aussi le titre de Comte pour honorer ceux qui avoient bien servi le public, par exemple, dans le Code, cette qualité est donnée aux Avocats, & aux Professeurs en Jurisprudence, qui avoient servi vingt ans. Ainsi, quoique le titre ou le nom de Comte fût en usage avant Constantin, ce n’étoit point encore le nom d’une dignité particulière & déterminée. C’est cet Empereur qui en fit une dignité, & qui divisa les Comtes en trois ordres, ainsi que nous l’apprend Eusèbe dans la vie de ce Prince. Les premiers portoient le titre d’Illustres, Illustres. Les seconds celui de Clarissimes, Clarissimi & ensuite Spectabiles. Les troisièmes se nommoient très-Parfaits, Perfectissimi. Le Sénat étoit composé des deux premiers Ordres ; ceux du dernier n’y entroient point, mais ils joissoient de plusieurs des privilèges des Sénateurs. Il y avoit plusieurs espèces de Comtes, dont les uns servoient sur terre, & les autres sur mer. Le premier de tous s’appela dans le bas Empire, Protocomte, Protocomes. Consultez Spelman, Glossar. Archæol. & Du Cange, qui fait un catalogue de tous les différens genres & noms des Comtes. Les François, lorsqu’ils passèrent dans les Gaules, n’abolirent point la forme du Gouvernement des Romains. Comme les Gouverneurs des Villes & des Provinces s’appeloient Comtes & Ducs, ils ne voulurent point y apporter de changement. Ces Gouverneurs commandoient à la guerre, & pendant la paix ils rendoient la justice. Ainsi les Comtes, du temps de Charlemagne, n’étoient autre chose que les Juges ordinaires, & tout ensemble Gouverneurs de villes. Ils étoient au dessous des Ducs & des Comtes, qui étoient aussi Gouverneurs de Provinces. Ces derniers avoient sous eux des Comtes constitués dans les villes particulières, & ne cédoient point aux Ducs, qui n’étoient, comme les Comtes, que simples Gouverneurs de Provinces. Ces Comtes rendirent leur dignité héréditaire sous les derniers Rois de la II Race, qui étoient trop foibles pour se faire obéir. Ils usurpèrent même la souveraineté, lorsque Hugues Capet parvint à la Couronne, son autorité n’étant ni assez reconnue, ni assez affermie, pour s’opposer à ces usurpations. C’est de-là qu’est venu le privilège des Comtes, de porter une couronne sur leurs Armes. Ils la prirent alors, comme jouissans de tous les droits des Souverains. Mais peu-à-peu les Rois ont remis ces Comtés sous leur obéissance, & les ont réunis à leur Couronne. Ainsi la qualité de Comte aujourd’hui est bien différente de ce qu’elle étoit autrefois : ce n’est plus qu’un titre que le Roi accorde, en érigeant une terre en Comté, avec la réserve du ressort, & de la souveraineté. D’abord, l’on n’employoit point dans les Lettres d’érection la clause de réversion du Comté à la Couronne, au défaut d’enfans mâles ; mais Charles IX, pour empêcher que ces érections ne fussent trop fréquences, ordonna en 1564, que les Duchés & Comtés retourneroient à la Couronne, au défaut d’hoirs mâles. Voyez Loyseau. On a autrefois disputé si le Marquis a la préséance sur le Comte. Une raison de douter, c’est qu’il y a des Comtes qui sont Pairs, & qu’il n’y a nul Marquis qui le soit. Alciat a traité cette question. Aujourd’hui la chose est décidée. Le Marquis précède le Comte. Lorsque les Comtes étoient Gouverneurs de Provinces, ils n’auroient pas cédé la préséance aux Marquis. Voyez Du Tillet, dans son Recueil ; il y parle en plusieurs endroits de la dignité de Comte, & Lymnæus, Notitia Regni Franciæ, L. IV, C. 8, & le Glossaire Salique de Chiflet au mot Comes.

Les Allemands appellent un Comte, Graff, qui, si l’on en croit un Critique moderne, signifie proprement Juge, & est dérivé de Gravio ou Graffio, qui se trouve souvent dans les loix Saliques & Ripuaires, & vient de γράφω, ne s’étant fait que depuis la translation de l’Empire à Constantinople, au sentiment de Chiflet, Gloss. Salic. Il y a en Allemagne plusieurs sortes de Comtes, les Landgraves, les Margraves, les Burgraves, & les Psaltgraves, ou Comtes Palatins. Ces derniers sont de deux sortes : les uns sont du corps des Princes, & ce sont ceux qui ont eu l’investiture d’un Palatinat ; les autres n’ont que le titre de Comte Palatin, & n’ont pas l’investiture d’un Palatinat. On appelle les premiers de plusieurs noms différens Comtes Palatins Impériaux, Comites Palatini Cæsarei, Comtes du S. Palais de Latran, Comites S. Palatii Lateranensis, Comtes de la Cour Impériale, Comites Aulæ, ou Curiæ Cæsareæ, Comtes du Consistoire Impérial, Comites Consistorii Imperialis, & quelquefois simplement Palatins, Palatini. En Allemand on ne les appelle pas simplement Psaltsgraffen, c’est-à-dire, Comte du Palais ; mais Des heil Romischen Reichs Psalts {{|and|und}} hoff Graffen, c’est-à-dire, Comte de la Cour & du Palais du S. Empire Romain, ou simplement Reichshoff-Graffen, Comtes de la Cour de l’Empire, ou de la Cour Impériale. Quelques-uns prétendent qu’en professant publiquement pendant vingt-ans les loix Impériales, on acquiert la dignité de Comte Palatin, & il y a des exemples de Professeurs des loix, qui après vingt ans se sont donné ce titre. D’autres, cependant révoquent ce sentiment en doute. Les Privilèges des Comtes Palatins sont de créer des Notaires publics, de légitimer les bâtards, de donner des Curateurs & des Tuteurs, & de les confirmer, ou de les ôter, pour de justes causes ; d’accorder dispense d’âge. Voyez les différens degrés des Comtes de l’Empire, leurs séances, leurs droits & privilèges, dans Imhoff, Introd. ad L. VI, L. VIII ad L. IX.

☞ Il y a eu aussi des Comtes Palatins en France, sous la IIe & IIIe Race. Il y en a eu de même en Angleterre, en Aquitaine, en Sicile, en Toscane ; & les Papes mêmes ont eu leurs Comtes Palatins. Voyez Du Cange.

Comte du Palais. Ancien Officier de nos Rois. Il étoit Comte, Juge, & connoissoit de toutes les affaires qui regardoient le Roi, l’Etat, le Public. Comes Palatii ou Palatinus. Ce Comte avoit pour conseillers des gens d’épée, comme lui, qu’on nomnoit Echevins du Palais. Quand le Roi, assisté d’Evêques, d’Abbés & de Ducs, présidoit à ce Tribunal, le Comte faisoit le rapport, & le Roi recueilloit les voix.

On a appelé aussi Comtes, les Chefs des troupes militaires, qui menoient la Noblesse à l’armée, & même plusieurs Capitaines : d’où vient qu’on a encore conservé le nom de comite à celui qui commande aux forçats. Comme on a dit qu’on donnoit le nom de Comte aux Juges de plusieurs villes ; de-là, sont venus les Vicomtes, qui sont encore des Juges en Normandie. L’Empereur Maurice, parlant des Comtes, dit qu’ils sont comme des Tribuns des soldats, & les chefs des bandes & des troupes de soldats. L’Empereur Léon dit à peu près la même chose. Voyez Curopalates, qui rapporte les fonctions des Comtes à la Cour, & auprès de la personne de l’Empereur.

Comte Consistorial. Nom d’une dignité dans l’Empire Romain. Comes Consistorii, ou Consistorialis. C’étoient les Conseillers d’Etat de l’Empereur. On envoya à saint Ambroise des Comtes Consistoriaux, qui étoient comme des Conseillers d’Etat, afin qu’il donnât la Basilique. Fleury. C’est de-là que nous appelons aujourd’hui en France un Conseiller d’Etat, Comes Consistorialis, en écrivant en latin.

Comte de Constantinople. Titre d’honneur que les Empereurs d’Orient donnoient aux personnes illustres par leur savoir, comme les Empereurs d’Occident ont accordé dans les derniers siècles le titre de Comte Palatin à de semblables sujets. Fel.

Comte des Domestiques. Nom d’un Officier de la Cour des Empereurs de Constantinople : Commandant de la Cavalerie ou de l’Infanterie Prétorienne. Comes Domesticorum. Ammien Marcellin parle souvent de cet Officier. Dioclétien & Justinien avoient été Comtes des Domestiques avant que de parvenir à l’Empire. Magnifique étoit le titre ou la qualité que l’on donnoit à cet Officier. Le Magnifique Comte des Domestiques.

Comte des largesses. Comes largitionum. Nom de dignité chez les Empereurs Grecs de Constantinople. Grand Trésorier de l’Empire, Surintendant des Finances. La mort d’Ursule, Comte des largesses, c’est-à-dire, Grand Trésorier, fut odieuse. Fleury. Le Comte Julien exécuta cet Ordre avec Félix, Comte des largesses, ou Grand Trésorier. Id.

Comte du Palais. Ancien Officier de nos Rois. Il étoit Comte-Juge, & connoissoit de toute affaire qui regardoit le Roi, l’Etat, le Public Comes Palatii, ou Palatinus. On voit dans Grégoire de Tours, un Goncilion Comte du Palais, sous Sigebert, Roi d’Austrasie, un Trudulphe, sous Childebert II. Tassillon, sous Dagobert ; Aigulphe, sous Clovis II. Ce Comte avoit pour Conseillers des gens d’épée, comme lui, qu’on nommoit Echevins du Palais. Quand le Roi, assisté d’Evêques, d’Abbés & de Ducs, présidoit à ce Tribunal, le Comte faisoit le rapport, & le Roi recueilloit les voix. Dans les Formules de Marculphe, L. II, c. 25. Il y en a une d’un Jugement tel que le Roi doit le prononcer sur la Relation du Comte. Le Gendre.

En Angleterre on appelle Comtes, les fils des Ducs ; Vicomtes, les fils des Comtes.

☞ COMTE-Maréchal, en Angleterre, est un Officier de la Couronne, qui juge à la Cour de la Maréchaussée, les criminels pris dans les endroits privilégiés.

Comte s’est dit quelquefois pour Vicomte, selon la remarque de M. Ménage, dans son Hist. de Sablé, L. II, c. 1, p. 18. & dans ses remarques sur cet endroit, p. 328. M. de Marca a remarqué, dans son Hist. de Bearn, L. III, C 3, §. 4. & prouve que le mot Consul est pris dans les Auteurs du moyen âge pour signifier un Comte, & celle de Proconsul, ou Viceconsul, pour un Vicomte.