Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CIRCONCISION

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 600-601).

CIRCONCISION. s. f. Cérémonie de la Religion Judaïque & Mahométane, par laquelle on coupe, on retranche le prépuce aux mâles qui doivent professer l’une ou l’autre Loi. Circumcisio. La circoncision a commencé du temps d’Abraham, & ce dut comme le sceau de l’alliance que Dieu contracta avec lui. Ce fut l’an du Monde 2138 qu’Abraham, suivant l’ordre qu’il en avoit reçu de Dieu, se circoncit lui-même, & toues les mâles qui étoient dans sa maison. Les Egyptiens & les Ethiopiens avoient aussi une espèce de circoncision, comme on voit dans Hérodote & dans Philon Juif. Car Hérodote, L. II, c. 35, &c. 104, assûre que la circoncision des enfans étoit en usage chez les Egyptiens & les Ethiopiens ; mais il ne sait, dit-il, lesquels l’avoient prise des autres, parce que cette coutume étoit très-ancienne dans ces deux Nations. Les habitans de la Colchide l’avoient aussi, & cet Historien en conclut qu’ils étoient Egyptiens. Il dit que les Phéniciens & les Syriens étoient aussi circoncis, mais qu’ils avoient pris cet usage des Egyptiens ; qu’enfin, peu avant le temps qu’il écrivoit, la circoncision avoit passé de la Colchide aux peuples qui habitoient proche du Thermodoon & du Parthénius. Quoique Dieu en fit une loi à Abraham, & ensuite à Moïse, il n’est pas sûr que nul autre peuple ne la pratiquât pas déjà.

Les Juifs faisoient leur circoncision avec un couteau de pierre. Marsham, savant Anglois, a prétendu que les Hébreux avoient emprunté la circoncision des Egyptiens, & que Dieu n’en étoit pas le premier instituteur. Il cite en témoignage Hérodote & Diodore de Sicile. Plusieurs Savans au contraire ont prouvé que les Hébreux n’avoient reçu la circoncision d’aucun autre peuple. Il y a sur cela un petit Traité de Gotlieb, intitulé, Nonnulla de Circumcisione Fragmenta. Mais, soit que cette cérémonie vienne de Dieu immédiatement, soit que Dieu l’ait sanctifiée, en l’ordonnant pour un signe spécial de son alliance, pour être un type de la Circoncision spirituelle, il est certain qu’elle se pratiquoit fort différemment chez les Hébreux & chez les Egyptiens. Chez les Hébreux c’étoit une cérémonie de Religion, & elle se faisoit le huitième jour après la naissance. Chez les Egyptiens, c’étoit une propreté, & selon quelques-uns, une nécessité physique. On la faisoit seulement à la treizième année, & on l’exerçoit sur les filles, aussi-bien que sur les garçons. Le P. Alexandre. Les Israëlites ne pratiquèrent point la cérémonie de la Circoncision durant les quarante années qu’ils passèrent dans le Désert, parce que la Circoncision étant la marque qui distinguoit le peuple de Dieu des Gentils, il étoit inutile de prendre cette marque dans des lieux où il n’y avoit personne qui pût se mêler aux Israëlites, ou plutôt afin d’être toujours prêts à marcher quand Dieu l’ordonneroit. La Circoncision, si contraire à l’affection paternelles par les douleurs qui l’accompagnent, n’est-elle pas un témoignage certain de l’alliance de Dieu avec les Patriarches, puisqu’on ne peut les soupçonner d’avoir inventé une cérémonie qui les pouvoit rendre ridicules aux yeux des autres nations ? Abad. Au sujet de la conversion d’Izates, Roi de l’Adiabène, & parce qu’Ananias, Marchand Juif, qui l’avoit converti, craignant qu’il ne se rendît odieux à son peuple, s’il se faisoit circoncire, lui dit, dans Josèphe, Lic. XX des Antiq. ch. 2, qu’il peut servir Dieu sans être circoncis, pourvû qu’il imite les mœurs des Juifs, & que c’est-là l’essentiel, plutôt que la Circoncision ; & qu’au contraire Eléazar, autre Juif, lui dit, que c’est une impiété de n’être point circoncis ; M. Fleury conclut qu’on voit par-là que les Juifs n’étoient pas bien d’accord entr’eux sur la nécessité de la Circoncision. Mais 1°. la circoncision n’étoit ordonnée qu’aux Hébreux, & pour ceux qui voudroient embrasser la Loi Mosaïque. Pour ces deux sortes de personnes Dieu s’exprime sur cela nettement, Gen. XVII, 14. Aussi Ananias n’en doutoit-il point. Izates n’étoit pas Juif. On put le convertir & le détromper de l’idolâtrie, sans lui faire embrasser la Loi Mosaïque. 2°. Pour les autres Nations, il est certain qu’il n’y avoit point d’obligation, & qu’ils pouvoient se sauver sans cela. Ananias avoit encore raison en cela, & Eléazar se trompoit, s’il prétendoit le contraire. Mais non ; ce que dit Josèphe ne marque point de différens sentimens sur la nécessité de la Circoncision. Ananias vouloit qu’Isates servît Dieu, sans se faire Juif, il le pouvoit. Eléazar vouloit qu’il se fît Juif.

Les Turcs mortifient la peau des enfans avec de petites tenailles. Ils la coupent avec un rasoir, puis ils mettent certaine poudre dessus qui guérit la plaie, & qui ôte la douleur. Ils ne circoncisent leurs enfans qu’à la sept ou huitième année, parce qu’ils ne croient pas la Circoncision nécessaire au salut. Les Persans circoncisent leurs enfans à treize ans, & les femmes depuis neuf jusqu’à quinze. Ceux de Madagascar coupent la chair à trois diverses reprises, & font beaucoup souffrir les enfans ; & le plus diligent des parens qui se trouve présent, se saisit du prépuce, & l’avale. Herréra témoigne qu’il y avoit une espèce de Circoncision chez les Mexicains, quoiqu’il n’y eît chez eux aucune connoissance du Judaïsme, ni du Mahométisme. Cas ils incisoient aux enfans le membre viril & les oreilles avec plusieurs cérémonies, & sur-tout aux enfans des Grand-Seigneurs, dès qu’ils étoient nés. Les Brasiliens usent aussi de la Circoncision.

La Circoncision se fait aussi sur les femmes, en leur coupant un morceau de l’hyménée, ou des parties que l’on appelle nymphes. Strabon dit que les femmes d’Egypte étoient circoncises. Belon le dit des Cophtes. Paul Jove & Munster le disent des sujets du Prêtre-Jean. Les Ethiopiens ont la Circoncision ; non pas qu’ils croient que c’est un Sacrement, mais que par-là ils disent qu’ils sont fils d’Abraham, & que cela contribue à la propreté, ou plutôt en mémoire de la Circoncision de Jesus-Christ, & parce qu’il a été circoncis. Voyez le P. Tellès Ludolf. Par la même raison ils circoncisent aussi les femmes, comme en Egypte.

Le pere est obligé, chez les Juifs, de faire circoncire son fils au huitième jour : on ne le peut faire avant ce temps-là ; mais si l’enfant est foible ou infirme, on peut différer jusqu’à ce qu’il se porte bien. Il y a un parrain pour tenir l’enfant pendant qu’on le circoncit, & une marraine, qui le porte de la maison à la Synagogue, & qui le rapporte. Celui qui circoncit s’appelle en hébreu Mohel, & on choisit indifféremment qui on veut pour cela. Il suffit qu’on soit capable de cette fonction, qui est un titre d’un grand mérite parmi les Juifs. Le pere peut circoncire son propre fils. Voici de quelle manière cette cérémonie se fait, comme le rapporte Léon de Modène, Part. IV des Cérémonies des Juifs, ch. 8.

On tient prêt dès le matin dans la Synagogue, ou même dans la maison, si l’on y veut faire la cérémonie, deux sièges avec des carreaux de soie. L’un des sièges est pour le parrain qui tient l’enfant, & l’autre est mis là à ce que disent quelques-uns, pour le Prophète Elie, qu’ils croient assister invisiblement à toutes les circoncisions. Celui qui circoncit vient avec un plat où sont les instrumens & les choses nécessaires, comme le rasoir, les poudres astringentes, du linge, de la charpie, & de l’huile rosat, à quoi il y en a qui ajoutent une écuelle avec du sable, pour y mettre le prépuce que l’on coupe. On chante encore quelques cantiques, en attendant la marraine qui apporte l’enfant sur ses bras, accompagnée d’une troupe de femmes ; mais pas une ne passe la porte de la Synagogue. Là elle donne l’enfant au parrain, & aussi-tôt les assistans crient, baruch haba, c’est-à-dire, le bien venu.

Le parrain s’assied sur son siège, & ajuste l’enfant sur ses genoux ; puis celui qui circoncit, développe les langes. Il y en a qui se servent d’une pincette d’argent pour prendre du prépuce ce qu’ils en veulent couper. Celui qui circoncit, prenant le rasoir, dit : Béni soyez-vous, Seigneur, qui nous avez commandés la Circoncision, & en disant cela, il coupe la grosse peau du prépuce ; puis avec les ongles des pouces il déchire une autre peau plus délicate qui reste ; il suce deux ou trois fois le sang qui abonde, & le rend dans une tasse pleine de vin. Ensuite il met sur la coupure du sang de dragon, de la poudre de corail, & d’autres choses, pour étancher le sang, à quoi il ajoute des compresses d’huile rosat, puis il enveloppe le tout.

Cela étant fait, il prend une tasse pleine de vin, & après l’avoir béni, il dit une autre bénédiction pour l’enfant, en lui imposant le nom que le père souhaite, prononçant ces paroles du chap. XVI d’Ezéchiel : Et j’ai dit, vis en ton sang, &c. Et en mêle temps il lui mouille les lèvres de ce vin où il a rendu le sang sucé. Après quoi on récite le Pseaume 128 entier : Bienheureux tout homme qui craint le Seigneur. Le parrain rend ensuite l’enfant à la mairraine, pour le porter à la maison, & le remettre entre les mains de la mère. Tous ceux qui ont assisté à la cérémonie, disent au père en s’en allant : Puissiez-vous ainsi assister à ses nôces. Voyez Léon de Modène, & la Synagogue de Buxtorf, ch. 4.

La manière de circoncire dont les Juifs se servent, est différente de celle des Turcs. Car ceux-ci, après avoir coupé la peau, n’y touchent plus ; au lieu que les Juifs déchirent en plusieurs endroits le bord de la peau qui reste après la Circoncision, avec les ongles des pouces ; & c’est pour cette raison que les Juifs circoncis guérissent bien plus facilement que les Turcs. On connoît parmi les Juifs ceux qui se mêlent du métier de circoncire, parce qu’ils ont l’ongle du pouce fort grand.

Chez les Turcs on ne circoncit pas les enfans aussi-tôt qu’ils sont nés, & on les consacre seulement par cette cérémonie. D’abord on leur met quelques grains de sel à la bouche, en disant : Plaise à Dieu que son nom soit toujours aussi savoureux que le sel que j’ai mis à ta bouche, & qu’il t’empêche de goûter les choses de la terre. Quand ils ont sept ans, un Médecin vient les circoncire dans la maison du père. La Circoncision se fait toujours avec une grande cérémonie. Entre les parens & les amis qui y assistent, un sert de parrain à l’enfant, & tous ensemble ils sont régalés d’un superbe festin. Ils n’y viennent point aussi sans présens, les hommes donnent des vestes de précieuse étoffe, des chevaux, des armes ou des bijoux, & les femmes quelque gentil ouvrage de leurs mains. Du Loir, pag. 137, 138.

Circoncision est aussi la Fête que l’on célèbre le premier de Janvier, en l’honneur de la Circoncision de Notre-Seigneur, auquel on lui imposa son nom. Christi Circumcisionis dies sacer. Le premier jour de Janvier étoit autrefois un jour de jeûne institué pour s’opposer aux superstitions payennes qui se faisoient ce jour-là en l’honneur de Janus. Voyez le second Concile de Tours, Can. XXII, &c. quatrième de Tolède, Can. XI, &c. La Messe se disoit ce jour-là à deux heures après midi, pour dire None de suite, & ne rompre le jeûne que vers les trois heures. On ne voit pas précisément quand ce jeûne a cessé, & quand la fête a commencé. Apparemment ce n’a point été partout en même temps. Voyez les Notes de M. Chastelain sur ce jour.

En termes de dévotion, on appelle Circoncision de cœur, Circoncision des levres, le retranchement des mauvais esprits & des mauvaises paroles.

Circoncision se dit encore figurément, pour signifier les Juifs ou la nation Juive, comme le mot de Prépuce, pour signifier les Payens ou les Gentils. Ainsi il est dit au 15e de l’Epitre aux Romains, que Jésus-Christ a été Ministre de la Circoncision, afin de ratifier les promesses faites aux Pères. Et au 2e de l’Epitre aux Galates, S. Paul dit que la prédication de la Circoncision avoit été commise à Pierre.

Pierre de la Circoncision. C’est une pierre qui se taille en couteau, & dont les Juifs se servent pour la Circoncision. Nous avons une Dissertation sur ces pierres par M. Mahudel, de l’Académie des Belles Lettres.

Circoncision. (Cap de la) Les vaisseaux l’Aigle & la Marie, que la Compagnie des Indes envoya en 1738, à la découverte des Terres Australes, trouvèrent le premier de Janvier 1739, une terre fort haute, toute couverte de neiges, & fort embrumée. Elle leur parut un comme un gros cap, qu’ils nommèrent le cap de la Circoncision, parce que c’étoit le jour de la Circoncision. Cette terre leur restoit à huit ou dix lieues dans l’est nord-est. Ce Cap est par les 54 degrés de latitude méridionale, & les 27 à 28 de longitude. Promontorium Circumcicionis. Voyez la Relation de ce voyage dans les Mémoires de Trévoux 1740. Art. XII. Février.