Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CINABRE et CINNABRE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 595).
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CINABRE & CINNABRE. s. m. Vermillon, couleur rouge. Cinnabaris. Plusieurs ont cru que le cinabre n’est autre chose que le sang de dragon, qu’on recueille lorsque le dragon & l’éléphant se battent ensemble, comme disent Solin, Pline & Isidore ; mais c’est une fable réfutée par Dioscoride & par Scaliger : Dioscoride n’a pas expliqué ce que c’étoit que le cinabre ; la plûpart des Modernes croient qu’il a entendu la larme d’un arbre qui vient en Afrique, laquelle est d’un très-beau rouge, & qu’on appelle sang de dragon. Ce qu’on nomme à présent cinabre est toute autre chose.

☞ Les Naturalistes entendent par cinabre un demi-métal qui se forme naturellement, & qui renferme le mercure : on le distingue en naturel & en artificiel.

Le cinabre naturel ou minéral est un mêlange de mercure & de soufre, qui se sont sublimés ensemble par le moyen de quelque chaleur souterraine : il est d’une très-belle couleur rouge. On le trouve dans les veines des mines d’argent, & sa couleur est plus ou moins haute, & selon la pureté du minéral, & selon le lieu où sont ces mines. On en apporte de Hongrie, de Transilvanie, de plusieurs endroits d’Allemagne ; mais le plus beau se trouve dans la Carinthie. C’est un bon remède dans les maladies vénériennes, & dans plusieurs autres qui sont causées par des sérosités âcres.

M. Adam Hofsheter, premier Médecin du Roi de Dannemark, a donné au public l’analogie du cinabre naturel, qu’il prétend être un remède salutaire en plusieur occasions. M. Jean Godefroy de Beker, premier Apoticaire du même Roi, a regardé ce sentiment comme une opinion dangereuse, & a publié un écrit pour montrer les maux que le cinabre naturel peut produire dans le corps humain. Il prétend qu’on espère en vain à force de lotions ôter au cinabre sa malignité arsénicale ; qu’il s’est assûré par plusieurs expériences, qu’on tire du vif argent de tout cinabre, & qu’on n’en sépare le soufre arsénical que par le feu.

Le cinabre artificiel, est un mêlange d’un quart de soufre & de trois parties de vif argent sublimés. On prend une partie de soufre, qu’on fait fondre dans une grande terrine : on y mêle peu-à-peu trois parties de mercure coulant : on remue le tout, & on le tient en fusion jusqu’à ce qu’il ne paroisse plus de mercure. On pulvérise alors ce mêlange, & on le met sublimer dans des pots à feu ouvert & gradué. Par ce moyen on a une masse dure & d’une couleur très-rouge, qui sert au même usage que le cinabre naturel. On prépare aussi un cinabre d’antimoine, qui est fait avec le vif argent & le soufre d’antimoine.

On dit, révivifier le cinabre.

Ce mot vient du grec κινάϐρα (kinabra), qui signifie l’odeur des boucs, une odeur insupportable, parce qu’au rapport de Mathiole, lorsqu’on tire de terre une espèce de cinabre fossile, il jette une odeur si forte & si desagréable, qu’on est obligé de se boucher le nez, & de se couvrir le visage, de peut d’être infecté.

Vossius, dans son étymologie, écrit cinnabari. Καννίϐαρι (Kannibari), qui est un mot indien que l’on trouve dans Pline, liv. 33, c. 7, dans Hésychius, dans Théophrate, περὶ λίθων (peri lithôn), & dans Dioscoride, l. 5, c. 110. Ce mot dans la langue des Indiens, signifie sang de dragon. Arien, in Periplo, dit que c’est la gomme d’un arbre indien.