Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHEVAL

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 513-517).
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CHEVAL. s. m. Animal à quatre piés, qui hennit, & qui rend de grands services à l’homme, dont la cavalle est la femelle. Equus, equa. Il sert à la chasse, à la guerre, au labour & aux voitures. Un cheval, pour être bon, doit avoir trois parties correspondantes à trois de la femme, la poitrine, le fessier & les crins ; c’est-à-dire, poitrine large, croupe remplie, & les crins longs : trois du lion, le maintien, la hardiesse & la fureur : trois du bœuf, l’œil, la narine, la jointure : trois du mouton, le nez, la douceur, la patience : trois du mulet, la force, la constance au travail, & le pié : trois du cerf, la tête, la jambe, & le poil court : trois du loup, la gorge, le cou & l’ouie : trois du renard, l’oreille, la queue, le trot : trois du serpent, la mémoire, la vue, le contournement : trois du lièvre ou du chat, la course, le pas, la souplesse. Les chevaux ont du jugement, dit Solin ; ils connoissent leurs maîtres & leurs ennemis. Quelques-uns n’ont pas souffert que d’autres les montassent. Quelques-uns ont pleuré la mort de leurs maîtres, & d’autres se sont laissé mourir de faim après les avoir perdus. Alexandre fit faire de magnifiques funérailles à son cheval ; il fit bâtir une ville en son honneur, qu’il nomma Bucéphalie. Caligula voulut faire nommer son cheval Consul. Les Tartares & les Turcs portent pour enseigne, à la guerre, une queue de cheval attachée au bout d’une pique.

Ce mot vient de caballus, qui signifioit autrefois cheval de bagage ou petit cheval, qui servoit au moulin & aux voitures. Nicod, Isidore & Papias dérivent celui ci ex eo quod ungulà terram cavet.

Les Latins disoient en proverbe, le cheval de Sejus, quand ils vouloient donner à entendre une chose qu’il est dangereux de posséder. C. Sejus avoit un des plus beaux chevaux qu’on puisse voir ; mais il n’en fut pas long-temps le maître, Marc-Antoine l’ayant fait mourir. dolabella ayant acheté ce cheval, mourut bientôt après de mort violente. Cassius, qui en fut ensuite le maître, périt d’une façon tragique. Marc-Antoine, qui le posséda aussi, est connu par sa fin déplorable. Nigidius, Chevalier d’Asie, l’acheta après la mort de Marc Antoine, & le cheval & l’homme se noyèrent dans le fleuve Marathon. Ce proverbe revenoit à un autre qu’ils avoient, qui étoit l’or de Toulouse, dont l’on verra l’explication au mot Or.

Le cheval se nomme diversement, suivant son poil, sa taille, son usage, ses vices ou maladies.

On dit un cheval blanc, candidus ; gris, laucophæus ; pommelé, equus coliris cinerei scutulis distinctus ; roux, rufi coloris, rufus ; bai-brun, coloris phœnicei saturioris, pressioris ; bai-clair, coloris phœnicei dilutioris ; bai-doré, aurei coloris ; alezan ou alezan rouge sore ou saure, equus russeus, ruber ; alezan brûlé, alezan fort brun, rubidus ; alezan chargé, russei coloris, sed saturi ; alezan lavé, coloris russei sed dilutioris. Cheval-bai d’une sorte de rouge éclatant en divers degrés, equus badius ; brûlé, rufus atrore, nigrore multo mustus ; aubère, grisâtre, ayant de grandes taches noires, equus leucophæus grandibus maculis iisque nigris distinctus ; cheval pie, nigro & alto picarum in morem distinctus ; soupe de lait, equus aldibus ; isabele, coloris melini subalbidi ; roan ou tête de Maure, equus atro capite, toto corpore niger, sed capite nigriori ; mirouette, equus pilis quibusdam in partibus magis quam in aliis nitentibus, speculorum instar distinctus, maculis nitentibus variegatus ; zain, equus unicolor, unius coloris ; balzan, equus quatuor pedibus albis, &c. Tous les mots & les suivans sont expliqués à leur ordre alphabétique. On a donné aux chevaux des noms propres, comme à celui d’Alexandre, Bucephale. Roland appeloit son cheval, Mellendis ; & Renault, l’un des quatre fils Aymond, appeloit le sien Bayard.

A l’égard de la taille on dit un cheval nain, pumilus ; ragot, brevi densoque corpore ; haut-jointé, altis articulis ; court-jointé, depressis articulis ; cheval entier, equus non castratus, non exsectus ; hongre, canterius ; courtaut, equus quadratæ sed brevioris corporaturæ. Par courtaux on peut encore entendre qui n’a point de queue, caudis mutilus ; coureur, cursor ; roussin, caballus. Cheval d’Espagne, iberus ; barbe, Numidicus ; guilledin d’Angleterre, asturco Britannicus. Les chevaux Irlandois passoient autrefois pour être des meilleurs qu’il y eût en europe ; aussi étoient-ils fort chers : & l’histoire d’Irlande fait mention d’un de leurs Seigneurs, qui combattant pour Richard II Roi d’Angleterre, montoit un cheval qu’il avoit acheté 400 bœufs. Larrey. Cheval Persan, Persicus, cheval Turc, Turcicus. Vigenere dans ses Illustrations sur l’Hist. de Chalcond. p. 343 & suiv. parle fort en détail des chevaux Turcs, & de la manière dont on les nourrit & on les panse. Cheval de manège, tractabilis, frænis parens, exercitotus ; cheval de pas, gradarius equus ; cheval de selle, equus sessilis, idem & carrucarius ; cheval de charrette, de trait, d’attelage, equus jugatorius ; limonier, temonem utrumque sustinens ; cheval de charrue, arator equus ; cheval d’amble ou haquenée, asturco ; cheval de poste, veredus ; cheval de louage, conductitius, meritorius ; cheval de bagage, equus sarcinarius, dossurarius ; cheval de relais, veredus gradarius ; chevaux de poste & de relais, equi publici.

On appelle courbe de chevaux, deux chevaux attelés ensemble pour remonter des bateaux, bigæ ; cheval de haras ou étalon, equus admissarius ; cheval de main, equus honorarius ; cheval de parade, anciennement palefroi, equus ad pompam.

On appelle cheval de bataille, non seulement le cheval fort & choisi qu’on réserve pour les grandes occasions, mais encore figurément toutes les choses de parade, de faste, ou propres à faire remporter quelque avantage dans une dispute où il s’agit de la gloire, Bellator equus. Quand on prie un tel Auteur de dire quelques-uns de ses vers, il récite un tel Sonnet, c’est son cheval de bataille. Ce Musicien chante un tel air, c’est son cheval de bataille.

A l’égard des bonnes qualités, on dit, cheval fier, ardent, plein de feu, souple, léger à la main, obéissant, fidèle, qui porte bien sa tête, fort déchargé.

A l’égard des défauts, on dit, un cheval vicieux, vitiosus ; ombrageux, meticulosus, restitans ; fort en bouche, duri & contumacis oris ; fourbu, præproperâ aquatione perfusus equus ; morveux, mucosus ; poussif, anhelator, suspiriosus, cheval élancé, amaigri de faim & de travail, sirigosus equus, macie confectus ; outré, longioris itineris labore exhaustus ; cheval qui est sur les dents, enectus inedia, labore confectus ; ruiné des jambes, perditus cruribus ; qui est pesant à la main, gravis ad manum ; cheval refait & engraissé, refectus ac saginatus ; cheval neuf, novus, intractatus ; fougueux & indompté, asper & indomitus ; cheval qui rue & qui mord, mordax & calcitro ; cheval qui se couche, cubitor ; cheval qui bronche, offensator ; cheval qui prend le frein aux dents, qui contra fræna tendit ; qui jette son homme par terre, sternax : boiteux, claudus ; borgne ou déferré d’un œil, unoculus, altero oculo captus. Un cheval chargé de ganache ; cheval vairon, bégu, cujus alter oculus alteri dissimilis est. Celui qui est trompé dans l’achat d’un cheval vicieux, peut intenter l’action redhibitoire, pour contraindre le vendeur à le reprendre. Si le vice est apparent, par exemple, si le cheval est borgne, comme l’acheteur a pu s’en appercevoir, il ne doit s’en prendre qu’à lui-même ; mais pour les vices latents, comme la ppousse, la morve & la courbature, l’acheteur a l’action redhibitoire dans les huit jours de la vente, dans quelques coutumes ; & dans les quarantes jours en d’autres cooutumes, parce que ces vices peuvent être cachés & suspendus pendant quarante jours.

Monter à cheval, signifie non-seulement, monter en selle, mais encore apprendre le manége, in equum ascendere, equum conscendere ; equos domandi, regendi artem perdiscere. Un tel Seigneur monte à cheval chez un tel Ecuyer, il sait bien manier un cheval.

On dit picquer un cheval, pour dire, l’essayer, tractare. Promener un cheval entre deux talons, agere, agitare. Panser, curare ; ferre, calceare ; étriller, distringere, strigili defricare ; brider, frenare ; seller un cheval, sternere, ephippio instruere ; dresser un cheval, domare, condocefacere. Pousser vertement un cheval, commencer un cheval, travailler un cheval, acheter un cheval, mettre un cheval dans la main, mettre un cheval dans les talons, assembler un cheval. Combat à cheval, pugna ex equo. Bon logis à pié & à cheval, hospitium equiti & pediti commodum. On appelle un bon homme de cheval, celui qui sait bien dompter & manier un cheval. Equitandi peritus. Être bien à cheval.

☞ Être bel homme de cheval, avoir bonne grace à cheval. Comme il n’y avoit point de Seigneur à la cour qui fut plus curieux que lui de beaux chevaux, personne aussi n’étoit mieux à cheval.

☞ Commencer un cheval, en termes de Manége, c’est le mettre au pilier, entre deux piliers, le dresser à toute sortes d’airs & de manéges. Monter à cheval, apprendre à monter à cheval. Il monte sous un tel. Uti aloquo equitandi magistro. Mettre quelqu’un à cheval, lui enseigner à monter à cheval. C’est tel Ecuyer qui l’a mis à cheval.

☞ Être à cheval, être monté sur un cheval, ou sur quelque autre animal, ou même sur toute autre chose, jambe deçà jambe delà. A cheval sur une muraille, sur une poutre, sur un bâton.

☞ Dans l’Art militaire, être à cheval sur une rivière, c’est en occuper les deux rives avec des troupes.

☞ Tirer à quatre chevaux. Supplice qu’on fait souffrir aux criminels de léze-Majesté au premier chef. Écarteler un criminel, en attachant un cheval à chaque membre, à chaque jambe & à chaque bras, & les faisant tirer chacun de son côté en même temps. Voyez Écarteler.

Chevau-Léger, est un cavalier ordinaire & légèrement armé, qu’on appelle autrement Maître, & qui est dans un corps de Régiment. Levis armaturæ eques. On l’appelle ainsi, par opposition aux Gens d’armes, qui étoient autrefois des gens pesamment armés & de toutes pièces. Il y a pourtant plusieurs compagnies d’ordonnances qu’on appelle particulièrement Chevaux-légers, qui n’entrent jamais en corps Régiment, qui sont les Chevaux-légers de la Garde du Roi, de la Reine, de Monseigneur le Dauphin, de Monsieur, &c. & on dit au singulier un Chevau-léger, & au pluriel, vingt & un chevaux. Eques levis armaturæ è Regis Custodia. Le Roi est Capitaine des Chevaux-légers. Il y a sous lui un Capitaine-Lieutenant. On dit Chevaux-légers, & Cehvaux-légers de la Garde. Contre l’ordre, de ce pluriel s’est formé le singulier, Chevaux-léger, & l’on dit, c’est un Chevau-léger, il est Chevau-léger de la Garde. Le Dict. de l’Acad. Françoise met Chevau-légers au pluriel, & cette ortographe paroît la plus suivie. Chaque Chevau-léger a 540 liv. par an, 90 à chaque montre de deux en deux mois.

On se sert aussi du nom de chevaux en général, pour désigner la cavalerie, des gens de cheval. Equitatus, equites. Il y avoit dans cette armée trente mille hommes de pié, & dix-mille chevaux, c’est-à-dire, deux mille combattant à cheval. Un escadron de deux cens chevaux. Ac. Fr. Les gens de guerre disent Capitaine de chevaux, pour dire, Capitiane de cavalerie : cela est du style familier.

Le cheval est un animal guerrier, & un symbole de la guerre. Le cheval, dans les médailles Puniques, est le symbole de Carthage, bâtie selon l’Oracle, au lieu où l’on trouva une tête de cheval. Les chevaux paissans marquent la paix & la liberté, ou simplement un pays abondant en pâturages. Le cheval bondissant marque l’Espagne, où il se trouve d’excellens chevaux ; quelquefois les victoire remportées aux jeux publics ; comme sur les médailles du Roi Hiéron. Quelquefois c’est le Bucéphale d’Alexandre, ou simplement le symbole des Rois de Macédoine, où il se trouve de très-beaux chevaux. P. Jobert.

Les Incitati à Rome ont pour devise un cheval barbe courant, avec ce mot, dant animos plagæ. Et les Erranti de Bresce, un barbe aussi ; & pour arme, velocitate palmam. Un cheval de bataille tout armé, avec cet hémistiche de Virgile, 2. Georg. v. 145. Capo sese arduus infert, est la devise d’un grand Capitaine.

Cheval de Frise, en termes de Fortification, est une grosse pièce de bois percée & traversée de plusieurs pieux armés de pointes de fer, & longs d’environ cinq ou six piés. Ericius. Il sert à défendre un passage, ou à boucher une brèche, ou à faire un retranchement pour arrêter la cavalerie. On en met aussi sur des roues avec des feux d’artifice, pour faire rouler en bas dans les assauts. Le Prince d’Orange fermoit son camp avec des chevaux de Frise, en les faisant accrocher les uns aux autres, à ce que dit Jean Errard. On les appelle chevaux de Frise, parce que cette machine a été inventée en Frise

On a remarqué sur une médaille de Licinius une espèce de cheval de Frise, fait avec des pieux entrelacés ; c’est la marque d’un camp fortifié & palissadé pour la sûreté des troupes. P. Job.

On appelle cheval de bois, une figure de cheval qui se hausse & se baisse par le moyen de quelques chevilles de fer. Equus ligneus. Il sert dans le Manège à faire des exercices pour voltiger.

☞ On appelle encore cheval de bois, un instrument de châtiment militaire qu’on a coutume d’exercer sur les Soldats & sur les filles débauchées qui suivent l’armée. C’est une pièce de bois taillées en arrête, & posée sur des trétaux, avec une tête de cheval.

Cheval de Terre. Terme de marbrier. Grand vide rempli de terre, que rencontrent dans un bloc ceux qu’on emploie à tirer les marbres des carrières. Moles terrea.

Cheval Pégase, est un cheval que les Poëtes ont feint avoir des aîles, & avoir fait naître la fontaine d’Hippocrene en frappant du pié sur le mont Parnasse. Pegasus. Il servit de monture à Bellérophon quand il alla combattre la chimère. Depuis on a feint qu’il s’est envolé au ciel, où il y a une constellation de ce nom.

En cet âge brutal,
Pégase est un cheval qui porte
Les grands hommes à l’hôpital.Main.

Il n’appartient pas.
A notre Pégase comique,
De prendre un galop héroïque ;
Car il n’est qu’un cheval de pas. Scar.

Athénée appelle le vin, le grand cheval des Poëtes.

Chevaux du Soleil. Ovide les nomme Eoüs, Piroïs, Æthon & Phlegon, noms grecs, dont l’étymologie marque la qualité. Ils sont nommée ailleurs Erythoüs ou le rouge, Acteon ou le Lumineux, Lampos, ou le resplendissant, & Philogeus, qui aima la terre. Le premier désigne le lever du Soleil, dont les rayons sont rougeâtres. Actéon marque le temps où ces mêmes rayons sortis de l’atmosphère sont plus clairs, vers les neuf ou dix heures du matin. Lampos figure le midi, où la lumière du soleil est dans toute sa force, & Philogéus représente son coucher, lorsqu’il semble s’approcher de la terre.

Chevaux de Mars. Servius les nomme demos & phobos, la crainte & la terreur : mais dans Homère, ce sont là les noms des Cochers de Mars, & non de ses chevaux.

Cheval de Pacolet, est un cheval de bois, fabuleux, qui alloit dans les airs, & qui se conduisoit avec une cheville, dont il est fait une ample mention dans le Roman de Valentin & autres. Equus fabulosus.

Cheval de Troye, est un grand cheval de bois, par le moyen duquel les Grecs ont feint que Troye avoit été prise ; ayant été introduit dans la ville comme une offrande à Pallas. Equus Trojanus. Il y avoit plusieurs grecs cachés dans le ventre de cette machine, qui en étant sortis surprirent les habitans.

Cheval Fondu, est un jeu d’enfans, où les uns sautent sur la croupe des autres qui sont courbés.

En termes de Blason, on appelle cheval ou poulain gai, celui qui est peint nu, sans bride ni licou. Liber equus. Et on dit cheval effrayé, ou cabré, quand il est peint rampant. Equus arrectus. On dit aussi animé, pour exprimer que son œil est d’un autre émail, animatus ; & armé, en parlant du pié que la nature lui a donné pour se défendre, quand il est aussi d’un émail différent. Armatus. On le blasonne aussi bradé, houssé & caparassonné. Equus demisso amploque ornatus ac coopertus stragulo, stragulatus.

Cheval de rivière, que quelques-uns appellent hippopotame. Voyez ce mot.

Cheval Marin ou Bœuf Marin ou Morse. Frédéric Martens, de Hambourg, dans le Journal de son voyage au Spitzberg & au Groenland fait en 1671, appelle cet animal cheval ou bœuf marin, ne distinguant point deux espèces, & n’en faisant qu’un même animal. Il le distingue du Veau marin. Le cheval marin, dit-il, ressemble assez au veau marin, si ce n’est qu’il est beaucoup plus gros, puisqu’il est de la grosseur d’un bœuf. Ses pattes sont comme celles du veau marin. Celles de devant, comme celles de derrière, ont cinq doigts ou griffes, mais les ongles en sont plus courts. Il a aussi la tête plus grosse, plus ronde, & plus dure encore que celle du veau marin. La peau de cet animal a bien un pouce d’épaisseur, sur tout autour du cou. Les uns l’on couverte d’un poil de couleur de souris, les autres d’un poil rouge, les autres gris, & les autres ont très-peu de poil. Ils sont ordinairement pleins de gales & d’écorchures qu’ils se font à force de se grater, de sorte qu’on diroit qu’on leur a enlevé toute la peau. Par-tout autour des jointures ils ont la peau fort ridée. Ils ont à la mâchoire d’en haut deux grandes & grosses dents, qui leur descendent même au dessous des babines inférieures, & qui ont un pié de long, quelquefois deux, & quelquefois plus. Les jeunes n’ont point ces défenses, elles leur viennent avec l’âge. Quoique les vieux soient naturellement munis de deux semblables défenses, j’en ai pourtant vû qui n’en avoient qu’une ; mais il se peut qu’ils les perdent en se battant, ou en vieillissant. J’en vis en effet qui avoient les dents gâtées, creuses & pourries. Ces deux dents sont si blanches, qu’elles sont plus estimées & plus cheres que l’ivoire. Elles sont solides en dedans & pesantes. On en fait des manches de couteau, des boîtes, &c. & des autres dents, les habitans du Jutland en font des boutons pour leurs habits. Ces animaux ont l’ouverture de la gueule aussi large que celle d’un bœuf : & au dessus & au-dessous des babines, ils ont plusieurs soies, qui sont creuses en dedans, & de la grosseur d’une paille. De ces soies les Matelos se dont des bagues qu’ils portent au doigt, pour se garantir de la crampe, à ce qu’ils disent. Ces bœufs marins ont au dessus de la barbe d’enhaut deux naseaux en forme de demi-cercle par où ils rejettent l’eau, comme les baleines, mais avec bien moins de bruit. Leurs yeux sont assez élevés au dessus du nez, & ils ont des sourcils comme les autres animaux à quatre piés. Ces yeux sont aussi rouges que du sang. Quand ils les tournent en jetant la vue sur quelqu’un, ils paroissent encore plus affreux. Leurs oreilles sont un peu plus élevées que leurs yeux, mais elles sont peu éloignées, & ressemblent à celles des veaux marins. Leur langue est pour le moins aussi grosse que celle d’un bœuf. Si on la fait bouillir d’abord, on en peut manger ; mais si on la garde deux ou trois jours, elle devient rance & sent l’huile de poisson. Ils ont le cou si épais, qu’ils ont de la peine à tourner la tête, ce qui les oblige à tourner extrêmement les yeux. Ils ont la queue courte comme celle des veaux marins.

On ne peut point leur enlever la graisse, comme on fait aux veaux marins, parce qu’elle est entrelardée avec la chair comme la graisse de pourceau à laquelle elle ne ressemble pas mal. Le cœur & le fois sont assez bons.

Il y a apparence qu’ils vivent d’herbe & de poisson. Leur viande ressemble à celle du cheval : l’oiseau appelé bourgmaître s’en nourrit. Ils font d’horribles meuglemens. Ils dorment & ronflent non-seulement sur la glace, mais dans l’eau. Ils sont furieux & courageux. Si l’on en prend, ou si l’on en blesse quelqu’un, tous les autres font des efforts pour monter dans la chaloupe, malgré tous les coups qu’on leur porte ; ils la percent par dessous avec leurs défenses, & n’abandonnent jamais la partie. Si la chaloupe prend la fuite, ils la suivent tant qu’ils peuvent l’appercevoir, mais ils ne sauroient aller si vîte qu’elle, parce qu’érant toujours en très-grand nombre, ils s’embarrassent les uns les autres.

On ne les prend que pour leurs dents ; mais entre cent, on n’en trouvera quelquefois qu’un qui ait les dents bonnes, parce que les uns sont encore trop jeunes, que les autres n’on qu’une dent, & les autres point du tout. Leurs dents ne sont plus si estimées qu’elles étoient autrefois.

Quand on les apperçoit, ou qu’on les entend meugler sur la glace, où ils sont ordinairement en grand nombre, on s’en approche sans bruit avec les chaloupes ; mais je crois que pendant qu’ils dorment, il y en a toujours un qui fait sentinelle ; car j’ai souvent remarqué que lorsqu’on est tout proche, il y en a un qui donne un coup de dent à son voisin, & celui-ci à un autre, jusqu’au dernier. Dès qu’ils sont éveillés, ils se dressent sur leurs pattes de devant, & regardant affreusement & avec un mugissement terrible, ils frappent de leurs défenses sur la glace, comme s’ils les aiguisoient : c’est même avec l’aide de leurs dents qu’ils se traînent lorsqu’ils veulent courir vite, ou monter sur la glace.

Leur plus grande force gît dans leur tête ; & leur peau, qui est plus épaisse vers le cou, que sur le reste du corps, a autant d’épaisseur que celle d’un élan, & beaucoup plus de fermeté : de sorte que si on l’apprêtoit comme l’autre, on s’en pourroit servir pour faire des bufles. Lorsque le cheval marin est mort, on lui coupe seulement la tête, qu’on apporte à bord, l’on en arrache les dents, & on abandonne le reste du corps. Les deux longues dents ou défenses sont pour les Marchands ou propriétaires des vaisseaux : les autres ne sont que peu ou point estimées.

Cheval, (Queue de) est une herbe dont les feuilles ressemblent aux crins d’un cheval. On l’appelle autrement prêle. En latin, equisetum. Voyez Prêle.

Cheval, (Fer de) se dit, en termes d’Architecture civile & militaire, des ouvrages faits en rampe où on monte des deux côtés, qui représentent un fer à cheval. Structuræ genus ad soleæ ferreæ formam expressum. Il y en a dans des maisons de campagnes, & dans des dehors de quelques places, qui servent de demi-lune.

Cheval, (A) se dit adverbialement. A cheval, à cheval, se dit quand on commande à la cavalerie de se mettre en état de combattre, ou de partir. Equos conscendite.

Cheval se dit proverbialement en ces phrases. Il a changé son cheval borgne contre un aveugle ; pour dire, qu’il a perdu sur un troc qu’il a fait, soit de cheval, soit de toute autre chose. On dit, à cheval donné on ne regarde point à la bouche ; pour dire, qu’on reçoit les présens tels qu’ils sont : & ce proverbe se dit en italien & en espagnol de même : A caval donato non si guarda nella bocca. On dit aussi que l’œil du maître engraisse le cheval ; pour dire, qu’il ne faut point se reposer sur les valets du soin des chevaux, ni même de toutes les autres affaires d’une maison. On dit d’un homme, qu’il n’a ni cheval ni mule ; pour dire, qu’il n’a aucune monture, qu’il est contraint d’aller à pié, qu’il est gueux. On dit aussi qu’un homme est mal à cheval ; pour dire, qu’il n’est pas bien dans ses affaires, qu’il est proche de sa ruine. On dit aussi, qu’un homme fait le cheval échappé, quand il est libertin, emporté, incorrigible. On dit encore, je lui ferai voir que son cheval n’est qu’une bête, pour dire, je lui ferai voir qu’il n’a pas raison. On dit aussi, qu’il est aisé d’aller à pié, quand on tient son cheval par la bride ; pour dire, qu’on souffre bien de petites incommodités volontaires, quand on s’en peut délivrer si tôt qu’on le veut. On dit aussi, qu’il fait bon tenir son cheval par la bride, pour dire, qu’il ne se faut point dessaisir de son bien de son vivant. On dit aussi, qu’un homme monte sur ses grands chevaux ; pour dire, qu’il parle en colère & d’un ton hautain. On dit aussi, qu’un homme est bon cheval de Trompette, qu’il ne s’épouvante pas pour le bruit, lorsqu’il ne craint point les menaces ni les crieries. On dit aussi, qu’il parle à cheval ; pour dire, qu’il parle en maître, avec autorité, ou bien qu’il parle bien à son aise. On appelle un homme fort grossier & stupide, un cheval de carrosse, un cheval de bât, un gros, un franc cheval. On dit, il n’est si bon cheval qui n’en devint rosse ; pour dire, qu’on a fait travailler excessivement quelqu’un. On dit au contraire, que jamais cheval gentil ne devint rosse ; pour dire, qu’on donne même en sa vieillesse des marque de ce qu’on a valu dans sa jeunesse. On dit aussi, qu’il n’y a si bon cheval qui ne bronche ; pour dire, qua chacun est sujet à faire des fautes. On dit encore, des femmes & des chevaux, il n’en est point sans défauts. On dit qu’un cheval est chargé de maigre, qu’il vient de la Rochelle, d’un cheval qui n’est pas gras ; par allusion à un poisson qui est commun à la Rochelle, appelé maigre ; & aussi à cause de la disette qu’on avoit soufferte à ce siège. On dit aussi, jamais cheval ni méchant homme n’amenda pour aller à Rome. On dit aussi, il est bien temps de fermer l’étable quand les chevaux s’en sont enfuis, pour dire, qu’il n’est plus temps de chercher des précautions quand le mal est arrivé. On dit qu’un coup de pié de jument ne fait point de mal au cheval ; pour dire, qu’un homme doit prendre galamment toutes les malices que lui font les femmes. On dit aussi, qu’à un cheval hargneux il lui faut une étable à part ; pour avertir que quand on voit des grondeurs, il se faut séparer de leur compagnie. On dit encore que les chevaux courent les bénéfices, & que les ânes les attrapent. On dit, après bon vin, bon cheval ; pour dire, qu’un homme qui a bien bu, sait bien trouver des jambes à son cheval. On dit, pour se mocquer d’un train en désordre, c’est l’ambassade de Viarron, trois chevaux & une mule. On appelle une selle à tous chevaux, une chose qui peut servir à plusieurs usages, en plusieurs occasions, comme des lieux communs, de certains discours généraux, &c. On dit aussi, qu’on a cherché quelqu’un à pié & à cheval ; pour dire, qu’on a fait toutes les diligences possibles pour le trouver. On dit aussi, qu’un homme bride son cheval par la queue, quand il commence par où il doit finir. On dit encore, cheval de foin, cheval de rien : cheval d’avoine, cheval de peine, cheval de paille, cheval de bataille. On dit aussi, qui aura de beaux chevaux, si ce n’est le Roi ? quand on voit quelque chose de précieux entre les mains d’un homme riche. On dit d’un goinfre, d’un écornifleur, qu’il se tient mieux à table qu’à cheval. On dit aussi d’un travail qui demande peu de génie, mais qui donne beaucoup de fatigue, que c’est un travail de cheval. On dit aussi d’une médecine trop forte, que c’est une médecine de cheval. On appelle à Paris courtisans du cheval de bronze, les filous & les personnes de mauvaise vie qui fréquentent le pont-neuf pour y attraper quelqu’un. On dit d’une personne qu’on charge de toutes les affaires difficiles, fatigantes, d’une maison, d’une société, qu’il est le cheval de bât. A jeune cheval vieux Cavalier, pour dire, que dans les affaires épineuses & inconnues, il faut s’adresser à des gens d’expérience. A méchant cheval bon éperon, pour dire, qu’il faut un habile homme pour conduire une affaire douteuse.

On ne convient pas du temps auquel on a commencé à monter les chevaux. Le Scholiaste d’Euripide & Eustathe, sur le IIe Liv. de l’Illiade d’Homère, prétendent que les Anciens n’avoient point l’usage des chevaux de selle, ne se servant des chevaux que pour traîner leurs chariots. Ils soutiennent que les courses à cheval n’ont été introduites aux Jeux Olympiques, qu’en l’Olympiade 85. Mais cela ne peut être ; car les Centaures, auxquels on attribue l’invention de monter les chevaux, étoient avant ce temps-là. On prouve aussi par Pausanias, qu’au temps d’Hercule, qui institua les Jeux Olympiques, il y avoit des courses de chevaux.

Cheval, en termes d’Astronomie. Ce qu’on appelle le petit cheval, est une constellation de l’hémisphère septentrional, composée de dix étoiles. C’est, selon quelques-uns, le cheval dont Mercure fit présent à Castor : &, selon d’autres, celui dont Saturne prit la forme quand il fut surpris avec Philyra.