Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHEMIN

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 500-502).
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☞ CHEMIN. Terrain qu’on suit, sur lequel on marche pour faire sa route, pour aller d’un lieu à un autre. Via. ☞ La plupart de nos Dictionnaires, comme le Vocabulaire, d’après l’Académie, confondent ces trois mots, chemin, route, voie ; espace, disent-ils, par où l’on va d’un lieu à un autre. Cependant ils ne sont nullement synonymes, quoiqu’ils soient relatifs à l’action de voyager.

☞ Le mot de route enferme dans son idée quelque chose de fréquenté & de battu. Route de Lyon, route de Flandres. On le dit proprement de tous les lieux par lesquels il faut passer pour aller d’un lieu à un autre dont on est éloigné. On va de Paris à Lyon par la route de Bourgogne, ou par la route du Nivernois.

☞ Le mot chemin, signifie précisément le terrain qu’on suit, l’espace de terre sur lequel on marche pour faire sa route. Si vous passez par tel endroit, vous aurez un beau chemin. Le grand chemin est toujours le plus sûr. Les routes diffèrent entr’elles par la diversité de leur situation & de leurs contours. On suit le chemin pavé ou le chemin des terres.

☞ On se sert quelquefois des mots de route & de chemin, pour désigner la marche, avec cette différence, dit M. l’Abbé Girard, que le premier ne regardant alors que la marche en elle-même, s’emploie dans un sens absolu & général, sans admettre aucune idée de mesure ni de quantité. Ainsi, l’on dit simplement être en route, faire route ; au lieu que le second, ayant non-seulement rapport à la marche, mais encore à l’arrivée qui en est le but, s’emploie dans un sens relatif à une idée de quantité, marquée par un terme exprès ou indiquée par la valeur de celui qui lui est joint, de sorte qu’on dit faire peu ou beaucoup de chemin, avancer chemin.

☞ Le mot voie, marque une conduite certaine vers le lieu dont il est question. Il ne désigne nullement la marche, mais la manière dont on voyage, la voiture ou la façon dont on fait cette marche. On va d’un endroit à un autre, par la voie de la poste ou par la voie du messager, par la voie de terre, ou par la voie d’eau. Voyez plus bas ces mots pris au figuré.

☞ Bergier, dans son livre des Grands chemins de l’Empire, dit que ce mot est du vieux françois. Quelques-uns le font venir de caymum, qu’ils disent signifier la même chose : d’autres du latin semita, d’où l’on a fait semin, chemin.

☞ On appelle chemin royal, via regia, le plus grand de tous les chemins, ordinairement le plus beau, le plus court & le plus commode.

Chemin public, ou grand chemin, via publica, se dit de tout chemin droit ou traversant, où tout le monde peut passer.

Voit-on les loups brigands, comme nous inhumains,
Pour détrousser les loups courir les grands chemins.

Boil.

Chemin des arbres, dans l’Artois & dans les pays conquis en Flandre, signifie grand chemin, chemin royal, chemin des troupes. Via militaris. Ce nom a été donné aux grands chemins par les gens de ce pays-là, parce que le Roi, en faisant élargir & accommoder les grands chemins, fit planter des arbres des deux côtés, d’où il revenoit deux avantages considérables ; l’un, que les troupes n’avoient pas besoin de guides pour connoître les chemins les plus courts & les plus commodes ; l’autre, qu’on avoit dans le pays une ressource pour tout l’attirail de la guerre, & sur tout de l’artillerie.

On appelle chemin du halage, un chemin que les Riverains des rivières navigables sont obligés de laisser sur les bords, pour le passage des chevaux qui halent ou tirent les bateaux. Voyez Tirage.

On appelle chemin de travers, Transversum iter, un chemin détourné, ou qui n’est pas sur la route des grandes villes, mais qui va d’un bourg ou d’un village à un autre, ou qui n’est pas le chemin ordinaire pour aller d’un lieu à un autre, si c’est quelque grand lieu. Via devia. ☞ On appelle aussi chemin de traverse tout sentier de détour plus court que le chemin ordinaire. Trames, semita. On appelle aussi chemin particulier, un chemin de traverse, & on l’oppose au chemin public, qui est la même chose que grand chemin.

☞ Le Chemin particulier est proprement celui qui est fait pour la communication du château d’un Seigneur au grand chemin, ou à quelque autre endroit.

Chemin creux, qui est enfoncé au-dessous du rez-de-chaussée. Iter depressum. Chemin fourchu, celui qui se divise pour aller en divers endroits, bivium, trivium, quadrivium, selon le plus ou le moins d’endroits où il conduit. Chemin difficile, qui est âpre, raboteux, ou qui est mal-aisé à tenir étant coupé en plusieurs endroits ; asperum, durum, difficile. Chemin bas, qui est dans la vallée, depressum. Chemin haut, qui est sur la colline, superum, supernum. Chemin passant, via celebris, frequens, expedita. Chemin frayé, trita.

La Romains appeloient chemins militaires, les chemins pratiqués pour envoyer les armées dans les Provinces de l’Empire ; via militaris. Ils appeloient chemin double, un chemin pour les charrois à deux chaussées, l’un pour aller, & l’autre pour venir, afin d’éviter l’embarras, bina, gemina. Ces deux chaussées étoient séparées par une levée en forme de banquette, pavée de briques pour les gens de pié. Il y avoit, d’espace en espace, des montoirs à cheval, & des colonnes militaires pour marquer les distances. Ils nommoient chemin ferré, un chemin pavé d’une pierre estrêmement dure. On appelle encore aujourd’hui chemin ferré, un chemin dont le sol est de vive roche, ou formé d’une aire de cailloutage, strata. Les chemins aquatiques sont l ou les chemins élevés à travers les étangs & les marais, ou les ponts construits sur les rivières & les torrens. J’ai découvert plusieurs vestiges des grands chemins des Anciens. Ce sont de gros massifs de cailloutages, mêlés de chaux, jetés dans la terre à dix ou douze piés de profondeur, sans s’assujettir à chercher le ferme, parce que de ces cailloutages ainsi mêlés avec le mortier, il se fait un corps qui se lie si bien, que le marbre n’est pas plus dur. Nous voyons en effet que cette espèce de mâçonnerie a résisté, depuis plus de seize siècles, aux injures du temps, & que toute la force des pics & des marteaux a peine à rompre cette masse, qui n’est composée que de petits cailloux de la grosseur d’un œuf, & même plus petits, Menestrier, Histoire de Lyon, p. 50.

☞ Chez les Romains on appeloit via, tout chemin public ou privé. Par le terme d’iter seul, on entendoit un droit de passage particulier sur l’héritage d’autrui ; & par celui d’actus, on entendoit celui de faire passer des bêtes de charge ou une charrette ou chariot sur l’héritage d’autrui ; ce qu’ils appeloient ainsi iter ou actus n’étoient pas des chemins proprement dits, mais des droits de passages ou servitudes rurales. Encyc. Quand les Romains se servoient du mot iter, pour exprimer un chemin public, ils y ajoutoient l’épithète publicum.

Il y a un Traité de la construction des grands chemins par Gautier Architecte-Ingénieur, & Inspecteur des grands chemins du Royaume. De la Pise en traite aussi dans son Hist. d’Orange, p. 35, & suiv. Isidore, Orig. L. XV, ch. dernier, rapporte que l’on croit que ce sont les Carthaginois qui ont les premiers pavé les grands chemins ; & ensuite les Romains. Voyez Bouche, Histoire de Provence, Tom. I, p. 126, de la mesure des chemins.

Chemin fendu, est un chemin pratiqué dans le roc, ou dans quelque butte ou montagne, dont on a ôté la crête & comblé le bas, pour le rendre plus doux. Charles Emmanuel II, Duc de Savoye, en fit couper un dans les Alpes en 1670. Le Roi en a fait faire en plusieurs endroits de son Royaume : il y en a entre Paris & Versailles.

Chemin percé, est celui qui est taillé dans le roc & qui reste vouté. Il y a des chemins percés dans le Royaume de Naples : on en voit un entre Bayes & Cumes, qu’on nomme la grotte de Virgile : il y en a un de Pouzol à Naples, qui a environ demi-lieue de longueur sur quinze piés de large, & autant de haut. Ce Chemin qui fut fait autrefois par un certain Coccius, a été élargi par Alphonse Roi d’Arragon & de Naples, & réduit à la ligne par les Vicerois.

Chemin couvert, en termes de Guerre, est le corridor qui est sur la contrescarpe, & qui est couvert de son parapet, qui règne tout autour du fossé de la place du côté de la campagne. Operta via. Sa largeur est de trois à quatre toises. Il a une banquette, & le glacis lui sert de parapet : les palissades le séparent du glacis. ☞ Il sert à défendre l’approche de la place, à rassembler les troupes nécessaires pour les sorties, & à en faciliter la retraite. Le Soldat y est à couvert du feu des assiégeans.

Chemin des rondes, est le chemin qui est sur la muraille, entre le parapet & le rempart, & qu’on laisse pour le passage des rondes. Via lustrandis vigiliis comparata. On ne s’en sert presque plus, à cause que n’ayant qu’un parapet d’un pié d’épaisseur, il est d’abord renversé par le canon des assiégeans.

On appelle aussi chemin des carrières, l’ouverture qu’on fait dans une carrière, pour en tirer la pierre, & le puits qu’on fait dans une carrière pour la fouiller. Via subterranea. Ainsi on dit, ouvrir les chemins ; pour dire, percer les carrières.

Chemin, dans les Verreries, est une voûte de figure longue, dans laquelle on met le bois pour échauffer le four.

Les Courtiers & Tonneliers, qui sont commis pour décharger le vin sur les ports de Paris, appellent chemin, une suite de chantiers ou de grosses solives sur lesquelles ils roulent les tonneaux du bateau jusqu’à terre ; car ils n’osent se servir de celui qu’on fait les Planchéeurs pour entrer dans les bateaux.

Chemin, en Bâtiment, est sur un plafond ou sur un ravallement, une disposition de règles que les ouvriers posent pour trainer les moulures.

☞ C’est aussi un enduit de plâtre dressé à la règle, & suivant lequel ils conduisent leur calibre. Encyc.

Chemin, en termes de Chorégraphie, sont des lignes qui, tracées sur un papier, représentent la figure que les danseurs décrivent sur le plancher pendant tout le cours d’une danse.

Chemin de Saint Jacques, est un nom que le peuple a donné à une trace blanche qui paroît dans le ciel, que les Anciens appeloient la Voie lactée, ou le Chemin-des-Dieux, & qu’on a découvert être un nombre infini de petites étoiles qu’on n’apperçoit qu’avec les lunettes. Elles font une sombre lueur qui cause cette apparence. Via lactea.

Chemin se prend dans un sens figuré pour les différens moyens qu’on emploie pour parvenir à quelque but. Faire son chemin dans le monde. On dit le chemin & la voie du ciel. Les souffrances sont la voie du ciel. On ne dit pas la route du ciel ; peut-être parce que le mot de route renferme dans son idée quelque chose de battu & de fréquenté.

☞ La bonne route, dit M. l’Abbé Girard, conduit surement au but ; la bonne voie y mène avec honneur ; le bon chemin y mène facilement. On ne va guère à la gloire que par le chemin de la vertu. Nous vivrions mieux, s’il nous étoit permis de faire deux fois le même chemin. Rochef. Le chemin du ciel n’est pas le chemin des honneurs ; & une timide piété est presque toujours malheureuse. Flech. Tous les peuples de la terre marchent avec une égale confiance dans les divers chemins qu’ils ont choisis pour arriver au salut. Le chemin de la vertu est hérissé de ronces & d’épines. S. Evr. L’amour propre voudroit que le chemin du salut fût si bien tracé & si bien marqué, qu’il fût impossible de s’y égarer. Port-R. Moliere dit des hypocrites, qu’on les voit

D’une ardeur non commune,
Par le chemin du ciel courir à leur fortune. Mol.

Soutiendrai-je ces yeux, dont la douce langueur
Sait si bien découvrir les chemins de mon cœur ?

Racine.

On dit figurément couper chemin à une maladie, à un procès ; pour dire, la prévenir, ou en empêcher le cours. On dit en ce sens, qu’on a mis un homme en beau chemin, qu’on lui a aplani le chemin ; pour dire, qu’on lui a levé les obstacles, les difficultés : qu’il s’est arrêté, qu’il est demeuré en beau chemin ; pour dire, qu’il abandonne un dessin, lorsque les principaux obstacles sont levés. On dit, qu’une affaire est en bon chemin ; pour dire, qu’elle est en bon train. On dit encore, en ce même sens, qu’un homme est dans le bon chemin, dans le chemin du salut, quand il est vertueux ; & au contraire, qu’il est dans le chemin de perdition, dans le chemin de la Grève, qu’il prend le chemin de l’hôpital ; pour dire, qu’il est vicieux, qu’il se fera pendre, qu’il se ruine. On dit aussi montrer le chemin à quelqu’un, donner exemple.

On appelle chemin de velours, un chemin sur une pelouse. via herbosa, cespititia. On dit figurément chemin de velours, pour dire, une voie facile, agréable. Il est arrivé à la fortune par un chemin de velours. Façon de parler familière.

On dit figurément. Chemin faisant ; pour dire, par occasion, ☞ en même-temps. Obiter, eodem tempore. En nous détaillant cette affaire, il nous dit, chemin faisant, les observations qu’il avoit faites.

Chemin, se dit proverbialement en plusieurs phrases. On dit d’une chose longue & étroite, que c’est le chemin de Ville-Juifve, long-boyau. Ce nom lui vient d’une maison seule qui est sur le grand chemin, où loge la poste, qu’on appelle Long-boyau. On dit qu’un homme est toujours par voie & par chemin, lorsqu’il n’est jamais au logis, qu’on le fait aller ça & là. On appelle le grand chemin des vaches, les chemins où on va par terre. Le grand chemin des vaches, dans un sens figuré, est l’usage commun, ordinaire. On dit aussi, bonne terre, méchant chemin ; parce que dans les bonnes terres qui sont grasses, les chemins sont mauvais. On dit qu’en tout pays il y a une lieue de méchant chemin ; pour dire, qu’il n’y a point d’affaire où l’on ne trouve des difficultés. On dit aussi, à chemin battu il ne croît point d’herbe ; pour dire, qu’il n’y a pas grand profit à faire dans un trafic connu de tout le monde. On dit aussi, il n’en faut point aller par quatre chemins ; pour dire, il en faut passer par là. On dit, bien dépenser & peu gagner, c’est le chemin de l’hôpital. On dit aussi, tous chemins vont à Rome, ou tous chemins vont à la ville, ☞ ce qui signifie au propre, qu’on peut arriver au même endroit par divers chemins ; & au figuré, que divers moyens conduisent au même but. On dit aussi en menaçant, je le menerai par un chemin où il n’y aura point de pierres ; pour dire, je le ferai marcher droit, le lui donnerai bien de l’exercice. On dit aussi en menaçant, il me trouvera toujours en son chemin ; pour dire, je lui susciterai toujours des obstacles dans toutes les affaires qu’il entreprendra. On appelle le chemin de Paradis, un chemin étroit, un défilé où l’on ne va qu’un à un. On dit, qu’un homme va son grand chemin, va son droit chemin, pour dire, qu’il agit franchement, & sans user d’aucune finesse ni supercherie.

De grand Seigneur, grand fleuve & grand chemin,
Fuis, si tu peux, d’être voisin.