Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHARON

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 466-467).
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CHARON. s. m. Prononcez Caron. C’est dans la Fable le nom du Nautonnier des Enfers. Charon. Quelques-uns en font un Dieu fils de l’Erèbe & de la Nuit : Hesiode n’en parle point dans sa Théogonie, dans laquelle, v. 124, il ne donne que deux enfans à l’Erèbe & à la Nuit, qui sont l’Æther & le Jour. Les Poëtes feignoient que les ames des morts se rendoient sur les bords du Styx ; que là Charon passoit celles qui le payoient ; & qui avoient eu les honneurs de la sépulture, & laissoit les autres errer cent ans sur les bords du lac, après quoi il les passoit aussi. ☞ Ce droit de péage qu’on payoit à Charon étoit taxé à une obole. On mettoit cette pièce dans la bouche des morts. Elle s’appeloit naulé, & ce tribut dinaque. Naulum. Cette coutume étoit générale chez les Grecs & chez les Romains. On y ajoutoit quelquefois un certificat de vie & de mœurs, qui étoit délivré par le Prêtre du lieu. Pontifex. On le dépeint comme un vieillard mal propre, fort grossier & fort rude. Voyez les élégantes descriptions qu’en ont fait Virgile, Enéide, liv. VI, v. 298 ; Senèque, dans son Hercule furieux, Act. III, II, v. 763. Euripide en parle aussi dans son Alceste, mais il ne le décrit point. Diodore de Sicile, Liv. I, ch. 92, dit qu’Orphée ayant remarqué qu’en Egypte il y avoit une ville où l’on passoit les corps morts dans une barque sur un grand lac pour les aller enterrer de l’autre côté du lac, il fit de cela la fable de Charon, qu’il débita en Grèce. Peut-être que cette fable ne vient que de Memphis, où l’on passoit les corps morts sur le Nil, pour aller les enterrer du côté où sont les pyramides. Diodore ajoûte que Charon signifioit en égyptien, Nautonnier ou Batelier. D’autres disent qu’il fut appelé Charon par antiphrase de χαίρω, gaudeo, je me réjouis, pour ἀχάρων, facheux, désagréable, triste. Vigenère traite de cette fable sur Tite-Live, Tom. I, pag. 850 & 851. Dans le 4e, le 10e, le 23e dialogue des Morts de Lucien, & dans celui qui est intitulé Charon, sive Contemplantes, Charon joue de plaisans rôles. La Scène de Charon dans le quatrième acte de l’Alceste de Quinault, est fort belle.

La pitié n’est point ici bas,
Et Charon ne fait point de grace. Quinault.

Il m’importe peu que l’on crie,
Helas ! Charon, helas ! helas !
Il faut encore payer au-delà du trépas Id.

Vossius, De Idolol. Lib. II, cap. 57, à la fin croit que Charon est le même Dieu que le Mercure infernal ; & que ce nom Charon, vient de l’hébreu חרון, colère ; qu’il lui fut donné, parce qu’il étoit le Ministre de la colère divine. De sorte que Charon signifie proprement un mauvais Ange, dont l’office est de conduire les ames criminelles au lieu du supplice.

Charon, est aussi un nom d’homme que deux anciens Historiens ont porté, l’un de Lampsaque, & l’autre de Carthage.