Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHAOS

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 437-438).

CHAOS, On prononce Caos. s. m. Masse informe, grossière ; mélange confus de tous les élémens. Chaos. Les Poëtes ont feint qu’il a servi de matière première à la production du monde, & qu’il subsistoit avant que toutes les choses fussent rangées dans l’ordre où elles sont. Comment la matiere s’est-elle trouvée dans le degré de mouvement nécessaire pour former un monde, plutôt qu’un chaos ? Vall. La terre est sortie d’un chaos noir, ténébreux & indigeste ; & le monde s’est développé de cette masse informe & confuse. S. Evr.

Chaos, dans l’Ecriture, est appelé un espace immense & impénétrable, tel que celui qui est entre le lieu des bienheureux & l’enfer. Luc, XVI, 26. Le Port-Royal a traduit un grand abyme. Le P. Bouhours un gouffre très-vaste. Il y a un gouffre très-vaste entre vous & nous. Le P. Simon l’a suivi. Il y a de plus un grand gouffre entre vous & nous. Les Grecs anciens entendoient l’air par le chaos. Vossius, De Idolol. L. II, c. 25.

Ce mot est purement grec, χάος, qui vient de χαίνω, dehisco.

Le chaos des Poëtes n’est autre chose que l’état où toutes choses étoient dans l’instant de la création, avant que Dieu les eût arrangées dans l’ordre où elles sont. Voyez les notes de Grotius sur son premier livre de la Vérité de la Religion Chrétienne. Hésiode, dans la Théogonie, v. 116 & suiv. & Ovide au commencement de ses Métamorphoses, ont décrit le chaos. Jean André d’Anguillara a traduit la Description d’Ovide en vers italiens. Gasparo Murtola le décrit dans le premier chant de son Poëme della Creatione del Mondo, n. 23 & suiv. De Bartas l’a aussi décrit dans Le premier Jour de la première Semaine, & il commence ainsi :

Ce premier monde étoit une forme sans forme,
Une pile confuse ; un mélange difforme,
D’abymes un abyme, un corps mal compassé,
Un chaos de chaos, un tas mal entassé, &c.

D’Assouci décrit ainsi le chaos en vers burlesques :

Alors il n’était point de monde,
Point de miroir ni de rotonde,

D’heures, de jour, de mois, ni d’an,
Point d’horloge, ni de cadran.
............
............
La, le chaud puissant Margajat
Chassoit le froid pauvre Goujat,
Et le froid l’aggrippant aux quilles,
Lui faisoit aussi faire gilles.
Ici le mol choquant le dur
Se cassoit le nez contre un mur ;
Là, le sec, comme un autre Alcide,
Combattant la puissance humide,
Ne s’épargnait ni prou, ni peu,
La terre & l’air crioient au feu ;
Et le feu dessous Amphitrite,
Comme au cul de notre marmite,
Surmonté par son propre essort,
Crioit à son tour, je suis mort.

Les Poëtes firent un Dieu du Chaos, qui fut le premier, le plus ancien, & le père des tous les autres. Voyez Hésiode, cité.

Chaos, se dit figurément de ce qui est confus & brouillé. Rerum confusio. Les affaires de cette maison sont si brouillées, & il y a tant de procès, que c’est un chaos ; on n’y voit goûte. Qui peut débrouiller cette confusion & ce chaos ? Arn. Son discours est pour moi un chaos impénétrable. S. Evr. La Comédie demeura dans son premier chaos, pendant que la Tragédie fit de grands progrès. Dac.