Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHAMPION

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 417-418).

☞ CHAMPION. s. m. Ce mot signifie en général celui qui combat en champ clos pour sa propre cause, ou pour la cause d’un autre ; & plus particulièrement celui qui se bat pour un autre. Pugnator. Les injures faites à l’honneur des Dames se vengeoient autrefois par le combat de deux champions. Ce Prince avoit plusieurs braves champions dans son armée.

Ménage dérive ce mot de campio, suivant les Gloses d’Isidore, qui campo decertant. En ce cas le mot de camp étoit pris pour le duel qui se faisoit dans un champ clos. Campion signifie aussi en allemand un homme qui se bat en duel, camp un duel, & campen, se battre en duel. Ces mots viennent de camp, qui signifie champ, le lieu où l’on se bat, du latin campus. C’est la remarque des Bollandistes, Mart. T. II, p. 494. D. Ce mot campio est très-ancien, quoiqu’il ne soit pas de la bonne latinité. Il se trouve dans Grégoire de Tours. Du Cange dérive champion de l’allemand kampff, qui signifie combat : & il remarque qu’on appeloit proprement, champions ceux qui se battoient pour d’autres, qui, étant obligés selon la coutume d’accepter le duel, avoient pourtant une juste excuse pour s’en dispenser ; s’ils étoient par exemple trop vieux, trop jeunes, ou infirmes, ou Ecclésiastiques. Dans tous ces cas, ils étoient obligés de donner des champions, qu’on appeloit aussi avoués. Il ajoûte que c’étoit le plus souvent des mercenaires qu’on louoit pour de l’argent, & qui passoient pour infâmes. Il y avoit aussi des vassaux, qui par leur foi & hommage étoient obligés envers leurs Seigneurs de se battre pour eux en cas de besoin. C’étoient seulement des combattans à pied armés d’un bâton & d’un bouclier. Il rapporte fort au long les cérémonies de ces combats, & les peines des vaincus.

Cette coutume de décider les différens qu’on avoit, par le combat, vint autrefois du Nord en Allemagne, en France, en Bourgogne, & passa insensiblement dans tout le reste de l’Europe. On choisissoit deux champions pour soutenir le pour & le contre. Avant que d’en venir aux mains, il falloit qu’il y eût sentence qui autorisât le combat. Quand le Juge avoit prononcé, l’accusé jetoit un gage (d’ordinaire c’étoit un gant.) Ce gage de bataille étoit relevé par le Juge & quelquefois par l’accusé avec la permission du Juge ; ensuite les deux combattans étoient envoyés en prison, ou mis à la garde de gens qui en répondoient. Celui des deux qui s’enfuyoit étoit déclaré infâme, & convaincu d’avoir commis le crime qu’on lui imputoit. Les gages reçus, l’accusé & l’accusateur ne pouvoient plus s’accommoder que du consentement du juge. Ils ne l’obtenoient qu’avec peine, & jamais sans payer l’amende que le Seigneur avoit droit de prendre sur la succession du vaincu. C’étoit le Juge ou le Seigneur qui fixoit le jour du combat. C’étoient eux qui étoient tenus de préparer le champ, & de fournir aux combattans des armes sortables. Si le combat se faisoit à pied, les champions ne pouvoient avoir qu’une épee & un bouclier ; s’il se faisoit à cheval on les armoit de toutes pièces. Ces armes étoient portées au son des fifres & des trompettes, par le Juge, au milieu du champ ; & là, bénites par un Prêtre avec de grandes cérémonies. Avant que de s’approcher, les combattans juroient qu’ils n’avoient sur eux aucun charme, & qu’ils se comportoient en loyaux & preux Chevaliers. Ensuite les parreins leur ceignoient l’épée, & d’autres gens leur présentoient, l’un le cheval, l’autre la lance. Enfin par un cri public les Hérauts défendoient au peuple de faire ni signe, ni bruit, ni de favoriser en quelque manière que ce fût l’un ou l’autre des combattans.

L’action commençoit par force démentis que se donnoient les champions ; puis les trompettes ayant sonné, ils en venoient aux mains. Après qu’ils s’étoient donné le nombre de coups de lance, d’épée ou de dague qui étoient marqués dans le cartel, les Juges du combat jetoient en l’air une baguette pour avertir les champions que le combat étoit fini. S’il duroit jusqu’à la nuit avec un succès égal, l’accusé étoit réputé vainqueur : la peine du vaincu étoit celle qu’eût mérité le crime dont on l’accusoit. Si le crime méritoit la mort, le vaincu étoit désarmé, traîné hors du champ, & exécuté aussi-tôt. Il n’y avoit que les Ecclésiastiques, les malades, les estropiés, les jeunes gens au-dessous de 20 ans, & les hommes au-dessus de 60 qui fussent dispensés du combat. Tous étoient obligés de combattre en personne, ou de mettre un homme en leur place. On nommoit proprement champions ces braves de profession, qui moyennant bien de l’argent entroient en lice pour un autre. Si le crime dont il s’agissoit méritoit une peine capitale, le champion qui succomboit étoit, sans forme de procès, mis à mort le moment d’après, avec l’accusateur ou l’accusé qui l’employoit. Le Gendre.

Champion du Roi, en Angleterre, est un Héraut qui, après Le couronnement du Roi, entre à cheval & armé de toutes pièces dans la salle du festin, jette le gant par terre, & présente un cartel à quiconque oseroit nier que le nouveau Prince soit légitime Roi d’Angleterre.

On dit figurément, que les Martyrs ont été de braves champions de la foi, parce qu’ils l’ont défendue au péril de leur vie. Et en général, il se dit de toutes sortes d’assaillans braves, généreux, illustres. Martin, Secréraire du Pape Félix V, a fait un Poëme en faveur des Dames, qu’il a intitulé, le Champion des Dames.

Une palme si vulgaire,
N’est pas pour un tel champion. Voit.

Champion ne se dit guère aujourd’hui que dans le style familier ou le style burlesque, & en riant. Tandis que les coups de poing alloient & que nos champions songeoient à se défendre. La Fontaine.

On dit par raillerie, d’un homme qu’on estime peu vaillant, que c’est un vaillant champion. Ac. Fr.

Champions. (Eau de deux) Voyez Eau.