Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CARYBDES et CARYBDIS, ou CHARYBDE et CHARYBDIS

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 295).
◄  CARYATIS
CARYE  ►

CARYBDES & CARYBDIS, ou CHARYBDE & CHARYBDIS. Nom d’un gouffre du détroit de Messine, vis-à-vis du rocher appelé Scylla. Cluvier le décrit, Sicil. Ant. p. 64 & suiv. Ce lieu s’appelle aujourd’hui Capi di faro, ou Capo faro, à cause d’un phare qu’on a placé là. Les Poëtes feignent que Carybde étoit une femme, grande laronnesse, qui déroba les bœufs d’Hercule, & que Jupiter en punition de ce larcin frapa de la foudre, & changea en ce gouffre, qui attire encore & qui engloutit tout. Les eaux de ce gouffre tantôt bouillent comme les eaux sur le feu ; tantôt elles sont agitées violemment en tourbillon, & alors elles absorbent infailliblement les vaisseaux qui y passent. On s’en tire plus aisément quand elles ne font que bouillonner. Une longue expérience a appris que jamais les bouillonnemens ne sont plus violens que lorsque le nord-est souffle. Alors le gouffre pousse les eaux avec violence en l’air, & en forme de colonne. Frédéric, Roi de Sicile, fit descendre dans ce gouffre un fameux plongeur, que l’on nommoit Nicolas Pescecola ou poisson à cause de son habileté à nager & à plonger. Il rapporta 1° Qu’il avoit senti l’eau sortir du fond avec tant d’impétuosité, qu’il n’étoit pas possible à un homme d’y résister ; qu’ainsi il avoit été obligé de prendre des détours pour y arriver. 2°. Qu’il y avoit trouvé un grand nombre de rochers. 3°. Des Euripes ou des courans très-violens contraires les uns aux autres, & très-dangereux. 4°. De très-grands troupeaux de poissons appelés Polipes, plus grands que des hommes, & qui avoient de longs cheveux ou filamens dont ils auroient infailliblement tué un homme qu’ils en eussent entouré. 5°. Une infinité de grands chiens marins, carchariæ, qui avoient trois rangs de dents très-afilées qui les rendoient terribles. Ce Plongeur étant retourné une seconde fois dans ce gouffre, par l’espérance de la récompense que le Roi lui promit, il y périt, & ne reparut plus. Voyez le P. Kirker, Mundus subt. L. II, c. 15 & 16.

Les Poëtes ont beaucoup parlé de Scylla & de Carybdis ; & on dit en latin qu’un homme est tombé de Carybde en Scylla ; pour dire, qu’en voulant éviter un danger, il est tombé dans un plus grand.

Incidit in Scyllam cupiens vitare Carybdim.

C’est ainsi que le plus souvent,
Quand on pense sortir d’une mauvaise affaire,
On s’enfonce plus avant :
Témoin ce couple, & son salaire.
La Vielle au lieu du coq les fit tomber par là,
de Carybde en Scylla.

La Font. Fab. 6, liv. 5.

Bochart, dans son Chanaan, ou Liv. II de la Géographie sacrée, tire son origine de l’hébreu, ou phénicien, חור אבדן, hhor obdan ; c’est-à-dire, foramen perditionis, Trou ou gouffre de perdition, & veut par conséquent que ce soient les Phéniciens qui aient donné ce nom à cet endroit du détroit de Messine.