Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CARACTÈRE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 250-252).

CARACTÈRE. s. m. Certaine figure qu’on trace sur le papier, sur l’airain, sur le marbre, ou sur d’autres matières avec la plume, le burin, le ciseau, ou autres instrumens, pour signifier ou marquer quelque chose. Caracter, nota, signum.

Caractère. Lettre de l’alphabet. Littera. Les lettres sont des caractères qui servent à marquer nos pensées. Les Egyptiens avoient des caractères hiéroglyphiques. Les Chinois ont quatre-vingt mille caractères différens. Le caractère hébreu n’a subsisté dans l’usage ordinaire, que jusqu’à la captivité de Babylone. Après le retour de la captivité, le peuple n’écrivit plus que le caractère assyrien, dont l’usage s’étoit introduit pendant la captivité. C’est l’hébreu carré, dont on se sert encore aujourd’hui. L’ancien caractère hébreu est celui qui se voit sur les médailles hébraïques, appelées communément médailles samaritaines. Plusieurs Protestans ne sauroient souffrir ce changement de caractère dans l’écriture, malgré le témoignage de toute l’antiquité ; mais ils ne disent rien de solide pour le réfuter. Voyez la Dissertation du P. E. Souciet, sur les médailles hébraïques, &c. Le caractère dont on se sert aujourd’hui communément en Europe, est le caractère latin des Anciens. Le caractère latin venoit du grec ; le grec s’étoit formé du phénicien, que Cadmus apporta en Grèce. Le phénicien étoit le même que l’ancien & le vrai caractère hébreu. Le caractère chaldéen, le syriaque & l’arabe, ont aussi été formés de l’hébreu, comme plusieurs Savans l’ont démontré, & entr’autres Postel dans son Alphabet de douze langues, & Bibliander, De Ratione Cornmuni Ling. &c. mais on peut le prouver encore mieux qu’ils n’ont fait. Grégoire de Tours, Hist. Franc. L. V. c. 44. écrit que Chilperic Roi de Soissons ajouta quatre caractères à l’alphabet françois, Ο, ψ, Ζ & Π. Les François furent les premiers qui, avec le chant Romain & l’Office Latin de S. Grégoire, reçurent la forme des caractères latins. Favyn. L’an 1091 dans un Concile provincial tenu en la ville de Léon, où présida Régnier, Moine de Cluni, Prêtre Cardinal, & Légat du Pape Urbain II en Espagne, l’usage des caractères gothiques inventés par Ulfilas fut aboli, avec défenses aux Notaires d’en user à l’avenir dans leurs écritures & actes publics ; & il fut ordonné qu’on écriroit en caractères françois. Voyez Rodrigue Ximenès, L. VI. c. 30, & après lui Mariana. Favyn, Hist. de Nav. p. 159.

Ce mot vient du grec χαρακτὴρ, qui vient du verbe χαράσσειν, insculpere, imprimer, graver.

Les Médaillistes ont observé que le caractère grec composé de lettres majuscules, s’est conservé uniforme sur toutes les Médailles, sans aucune altération, & sans aucun changement dans la conformation des caractères, quoiqu’il y en ait eu dans l’usage & dans la prononciation. Ce caractère s’est conservé jusqu’à Galien, depuis lequel temps il paroît moins rond & plus affamé. Depuis le règne du Grand Constantin jusqu’à Michel ; c’est-à-dire, pendant 500 ans, on ne trouve que des caractères latins. Après Michel on retrouve des caractères grecs, qui commencèrent à s’altérer aussi-bien que la langue, qui n’étoit plus qu’un mélange de grec & de latin. Les Médailles latines ont mieux conservé leur langue & leur caractère jusqu’à la barbarie de Constantinople. Vers le temps de Décius, le caractère commença à s’altérer, & à perdre de sa rondeur & de sa netteté ; mais quelque temps après il se rétablit, & demeura assez beau jusqu’à Justin, & alors il tomba dans la dernière barbarie, où on le voit sous Michel dont on vient de parler. Ce fut encore pis dans la suite. Le caractère latin dégénéra en gothique. Ainsi, quand le caractère est rond & bien formé, c’est une marque d’antiquité. P. Joe.

Les Imprimeurs appellent caractères, les lettres qui leur servent à imprimer. Litterarum typi. En voici les dégrés. Gros double Canon, gros Canon, Trismegiste ou Canon approché, petit Canon, gros Parangon, petit Parangon, gros Romain, S. Augustin, Cicero, Philosophie, petit Romain, petit Texte, Mignone, Nompareille, Sedanoise ou Parisienne. Presque toutes ces lettres ont leurs italiques, & leurs grandes & petites capitales.

☞ On fait un usage particulier de plusieurs caractères différens dans les mathématiques, en algèbre, en géométrie ; en trigonométrie, en astronomie, de même qu’en médecine, en chimie, en musique, &c.

Caractère en Chimie, sont les signes dont les Chimistes se servent pour désigner en abrégé les substances sur lesquelles ils opèrent, &c. On connoît assez les caractères dont on se sert dans les Sciences dont on vient de parler.

Caractère se dit aussi de la manière d’écrire. Caracter. Ce Scribe a un fort bon caractère, fort lisible. Je connois son caractère, son écriture. J’ai été content en voyant seulement votre caractère. Voit.

Caractère se dit aussi de certaines marques & empreintes que les anciens mettoient sur le front de leurs esclaves ou des criminels pour les reconnoître, ou pour les noter. Signum, nota. Peut-être qu’on doit ainsi expliquer le signe que Dieu mit sur le front de Caïn, pour empêcher qu’il ne fût tué dans son exil volontaire ; & les marques de ceux des Tribus d’Israël dont il est fait mention dans l’Apocalypse.

☞ Ce mot dans un sens figuré & métaphorique, a plusieurs significations, qui ont toutes un rapport plus ou moins éloigné, un sens propre, qui désigne une empreinte, une marque,

Caractère, en morale, est la disposition habituelle de l’ame, par laquelle on est plus porté à faire & l’on fait en effet plus souvent des actions d’un certain genre, que des actions du genre opposé. Un homme d’un caractère vindicatif ne pardonne jamais, ou pardonne rarement. Un homme sans caractère est alternativement honnête homme ou fripon, sans qu’on puisse jamais le deviner.

Caractère général des nations. Il consiste dans une certaine disposition, de l’ame plus commune chez un peuple que chez un autre. Les peuples qui subsistent depuis long-temps conservent un certain fonds de caractère qui ne change point. La forme du gouvernement, & plus encore le climat, peuvent influer sur le caractère général des nations.

☞ Mais à mesure que les races se mêlent & que les peuples se confondent, on voit peu-à-peu disparoître ces différences nationales qui frapoient jadis au premier coup d’œil. Autrefois chaque nation ressort plus renfermée en elle-même ; il y avoit moins de communication, moins de voyages, moins d’intérêts communs ou contraires, moins de liaisons politiques & civiles de peuple à peuple, point tant de tracasseries royales appelées négociations, point d’Ambassadeurs ordinaires ou résidens continuellement, moins de grandes navigations, peu de commerce éloigné ; encore étoit-il fait par des gens qui ne donnoient le ton à personne.

☞ Le mot caractère, pris dans cette acception pour un assemblage des qualités qui résulte de plusieurs marques particulières, & qui distingue tellement une chose d’une autre, qu’on la puisse reconnoître aisément, forma alicujus & naturalis nota, indoles, se dit de l’esprit, des mœurs, du discours, du style, & des actions. Il n’y a point d’ame qui ne se sente élevée par l’impression que fait sur elle le caractère d’Achille. S. Evr. La grandeur d’ame est le caractère des Romains. P. Rap. Le Prince avoit un air noble, & toutes ses actions avoient un caractère touchant. Vill. Ciceron avoit un caractère de politesse qui manquoit à Démosthène. P. Rap. Celui qui s’accoutume à dire des plaisanteries a un mauvais caractère d’esprit. Pasc. Il n’y a point de passion qui n’ait son caractère particulier. Les caractères violens donnent plus d’éclat aux actions qu’ils animent : au contraire, les caractères doux sont souvent sans gloire, quoiqu’ils aient le solide de la vertu. La Bruy. Quand on sort de son caractère, on est toujours ridicule. Bell. Pour bien écrire l’histoire, il faut non-seulement former le caractère général du héros, mais encore former le caractère particulier de ses vertus & de ses vices. S. Evr. La simplicité & l’unité de caractère dans les personnages est l’essence du Poëme Epique. P. Le Boss. L’égalité de caractère consiste à ne point donner au héros des sentimens incompatibles, & à le représenter tellement animé du même esprit, qu’on le reconnoisse toujours par son caractère principal & dominant. Le caractère du héros doit être uniforme & supérieur ; ensorte que le caractère des autres personnages soit toujours soumis à celui du premier personnage. Id. C’est le défaut de Claudien : vous y voyez tant de caractères dominans, qu’on ne reconnoît plus le principal.

Caractère d’un ouvrage, c’est la différence spécifique qui le distingue d’un autre ouvrage de même genre. Les différens Poëmes ont leurs principes, leurs régles, leur ton ; & c’est ce qu’on appelle caractère.

Caractère d’un Auteur, est la manière de traiter un sujet qui lui est propre, & qui le distingue de ceux qui l’ont traité avant lui.

Caractère se dit aussi figurément d’une certaine qualité qui imprime du respect à ceux qui la connoissent. Species, nota, caracter. Dieu a empreint sur le front de l’homme un caractère, une image de la Divinité. La majesté des Rois leur donne un caractère qui leur attire le respect des peuples.

Faut-il que sur le front d’un profane adultère,
Brille de la vertu le sacré caractère ? Rac.

Caractère se dit encore des qualités visibles qu’on respecte en ceux qui sont revêtus de charges & de dignités. Dignitas muneris vel personæ cui redditur honor debitus, ou seulement Dignitas. Il faut qu’un Evêque soutienne son caractère par son savoir & par sa vertu, plutôt que par l’éclat & par la vanité mondaine. Les Prêtres, en perdant eux-mêmes le respect qu’ils doivent à la sainteté de leur caractère, sont les premiers coupables du mépris que l’on a pour eux. Flech. Le droit des gens met le caractère des Ambassadeurs à couvert de toute insulte, Wicq. Ce qui rend les Savans moins propres en conversation, c’est qu’ils croiroient mal soutenir le caractère de Savans, s’ils s’abaissoient à parler de bagatelles. Bell. On ne conçoit que de l’horreur pour un Ecclésiastique qui abuse de la dignité de son caractère. Vill. En se moquant des Prêtres, on cherche aux dépens de leur caractère le ridicule de leur personne. Flech. On dit, cet homme soutient bien son caractère ; c’est-à-dire, il est constant à faire la même chose ; il ne se dément point.

On dit d’un homme qui n’a point de mission, d’autorité, ni de pouvoir pour faire quelque chose, que c’est un homme qui n’a point de caractère, qui parle sans caractère. Acad. Fr.

Caractère en Théologie, se dit d’une marque qui ne s’efface point, & que quelques Sacremens laissent dans l’ame de ceux qui les reçoivent. Caracter. Il n’y a presque point de Théologiens qui ne disent que le caractère des Sacremens est quelque chose de physique. Les Sacremens qui impriment un caractère sont le Baptême, la Confirmation & l’Ordre. Les Sacremens qui impriment un caractère, ne se réitèrent point. Le caractère est un effet que les Sacremens produisent toujours dès qu’ils sont valides, lors même qu’ils ne produisent pas la grâce à cause des mauvaises dispositions du sujet. Ainsi par exemple, lorsqu’un adulte reçoit en péché mortel la Confirmation ou l’Ordre, il ne reçoit pas la grâce, mais il reçoit le caractère.

Caractère se dit aussi de certains billets que donnent des Charlatans ou Sorciers, qui sont marqués de quelques figures talismaniques, ou de simples cachets. Caracter magicus. Ils font accroire au sot peuple qu’ils ont la vertu de faire des choses merveilleuses & incroyables, comme de faire cent lieues en trois heures, d’être invulnérables à l’armée, &c. Quand on raconte quelqu’un de ces prétendus effets, on dit qu’il faut que cet homme ait un caractère, qu’il ait fait un pacte avec le Diable.

Caractère se dit aussi des plantes. C’est ce qui les distingue si bien les unes d’avec les autres, qu’on ne sauroit les confondre, quand on fait attention à leurs marques essentielles.

☞ On appelle caractère générique, celui qui convient à tout un genre, & spécifique, celui qui ne convient qu’à une espèce. Linnæus distingue quatre espèces de caractère. Caracter essentialis, factitius, habitualis & naturalis.

Caractère, en Peinture, se dit des ☞ qualités qui constituent l’essence d’une chose & qui la distinguent des autres. Caractère des objets, caractère des passions. La pierre, les eaux, les arbres, le poil, la plume & enfin tous les animaux, demandent des touches différentes pour conserver l’esprit de leur caractère. De Piles.

Caractère se dit aussi des talens & du génie que le Peintre fait paroître, dans ses ouvrages, & de la manière dont il les traite. Le caractère de l’esprit s’annonce par la noblesse & l’élévation dans les idées, par la beauté & la magnificence dans l’invention, par le bon sens & l’intelligence dans la disposition. Le caractère de la main s’annonce par l’exécution & le coloris. Ce dernier caractère est ce qu’on appelle manière.