Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CANONISATION

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 221-222).

CANONISATION. s. f. Déclaration du Pape, par laquelle après plusieurs enquêtes & solennités, il met au Catalogue des Saints un homme qui a mené une vie sainte & exemplaire, & qui a fait quelques miracles. Alicujus in numerum Sanctorum relatio, abscriptio, canonisatio. Du Cange dit que d’abord la canonisation n’étoit autre chose qu’un ordre du Pape par lequel il commandoit que le nom de ceux qui s’étoient fait remarquer par leur sainteté fussent insérés dans le Canon de la Mésse. Pour honorer quelqu’un d’un culte public comme Saint, les miracles qu’il fait ne suffisent pas, il faut un décret de canonisation.

Pour être pleinement instruit de la manière dont on procède à Rome à la béatification & à la canonisation des Saints, de la sagesse avec laquelle on s’y conduit, & des précautions infinies, que l’on y prend, il faut lire sur cette matière l’excellent ouvrage du Cardinal Lambertini, mort souverain Pontife, sous le nom de Benoît XIV. Il est en quatre volumes in-fol. intitulé De Beatificatione Servorum Dei, & Canonizatione Beatorum.

Le P. Mabillon, dans la Préface du Ve sièclee des Acta SS. Bened. n. 88, remarque très-bien que le terme de canonisation n’est pas si ancien que la chose même, puisque ce mot ne se trouve point avant le XIIe siècle. Le premier qui s’en soit servi est Udalric, ou Oudry, Evêque de Constance, dans sa Lettre à Calixte II, pour la canonisation de l’Evêque Conrad. Ensuite Alexandre III, dans la Bulle de canonisation de S. Edouard, Roi d’Angleterre en 1161, & 11 ans après, dans celle de la canonisation de S. Thomas de Cantorberi ; puis Pierre de Celles & plusieurs autres s’en sont aussi servis.

Le P. Mabillon distingue une canonisation générale, & Une particulière. La première est celle qui se faisoit par un Concile général, ou par le Pape ; la seconde celle qui se faisoit par un Evêque, par une Eglise particulière, ou par un Concile particulier. Il y a quelques exemples de canonisations, ou d’une espèce de canonisation, qui semblent faites par un Abbé. Ainsi Ste Viborade tuée par les Barbares le 2e jour de Mai 925, ayant fait beaucoup de miracles à son tombeau, le jour de l’anniversaire étant venu, l’Abbé Engilbert, après en avoir délibéré avec ses Moines, ordonna d’en faire l’Office, & d’en dire la Messe comme d’une Vierge. Voyez le P. Mabillon præf. 5 sæc. 1, n. 91. M. l’Abbé Fleury ajoute que c’étoit avec l’autorité de l’Evêque.

Les premiers Saints que l’Eglise a canonisés sont les Martyrs : elle a commencé plus tard à canoniser les Confesseurs.

Le premier exemple d’un Acte de canonisation faite par le Pape, & qui soit sur, est, non pas celui de canonisation de S. Hugues faite par Innocent II, dans le XIIe siècle ; mais celui de la canonisation de S. Uldric, ou Udalric Evêque d’Ausbourg, faite par le Pape Jean XV le 11 Juin, l’an 983 de J. C. & le 8e de son pontificat. Cette canonisation fut faite vingt ans après la mort du saint : elle est signée du Pape, de cinq Evêques des environs de Rome, & de neuf Prêtres & trois Diacres Cardinaux. Le terme de canonisation n’étoit pas cependant encore en usage. Cet Acte est dans Baronius, dans la Collection des Conciles du P. Labbe, Tome IX, p. 741, & dans le Propylœum ad Acta SS. Maii. Voyez aussi Acta SS. Ben. sæc. V, Prœf n. XCIX, & p. 471.

La canonisation consistoit autrefois à mettre le nom du Saint dans les sacrés Diptyques, ou dans le Canon, c’est-à-dire, le Catalogue des Saints ; à ériger sous leur invocation des Eglises, ou des Oratoires, avec des Autels pour y offrir le saint sacrifice ; à tirer leur corps de leur premier sépulcre, & autres choses semblables : & ces manières de canoniser sont très-anciennes. Le Pape n’étoit pas le seul qui eût le droit de faire des canonisations ; les Ordinaires, sur-tout les Métropolitains, & les Primats l’avoient aussi en faisant leurs visites, ou bien dans un Concile de leur Province. On ne sait point quand le droit de canoniser a commencé à être réservé au Pape. Quelques-uns croient qu’Alexandre III est l’Auteur de cette réserve. Ils se fondent sur ce que dans le IIIe Liv. des Décrétales, ramassé par Boniface VIII. Tit. 45 de Reliquiis & Venerat. Sanct. Cap. Audivimus, on lit ces paroles, Ne liceat aliquem pro Sancto absque auctoritate Romanæ Ecclesiæ venerari. Mais ces paroles ne sont pas exactement citées, & Alexandre ne fait point mention de ce réglement ; il le suppose fait, car il y condamne un abus énorme de quelques gens qui honoroient comme un Saint, un homme qui avoit été tué dans l’ivresse, & il leur défend de lui rendre aucun culte ; vû que quand même, ajoute-t-il, il feroit des miracles, il ne seroit pas permis, de l’honorer comme Saint sans l’autorité de l’Eglise Romaine. Cùm etiamsi per eum miracula fierent, non licet ipsum pro Sancto, absque auctoritate Romanæ Ecclesiæ, venerari. Paroles qui montrent évidemment que la réserve dont nous parlons étoit déjà en usage, & qu’Alexandre la suppose & ne la fait point. Les Jésuites d’Anvers, dans leur savant Propylœum ad Acta Sanctorum Maii p. 173. B, C, conjecturent qu’elle s’étoit établie depuis deux ou trois siècles, par une coutume qui avoit passé en loi, mais qui dans les Xe & XIe siècles n’étoit point encore généralement reçue. Le P. Mabillon, Acta Sanctorum Ben. sœc. V. Præf. § VI, la rapporte aussi au Xe siècle. Il est confiant qu’elle étoit reçue absolument & généralement avant Alexandre III ; car l’Archevêque de Vienne en France, & ses suffragans, le reconnoissent authentiquement l’an 1231 dans la lettre qu’ils écrivent à Grégoire IX, pour lui demander la canonisation d’Etienne Evêque de Die, mort en 1208, Quia nemo, disent-ils quantalibet meritorum prærogativâ polleat, ab Ecclesiâ Dei pro Sancto habendus aut venerandus est, nisi prius per Sectem Apostolicam ejus sanctitas fuerit approbata.

Les cérémonies de la canonisation n’ont point été instituées toutes ensemble, & en même temps : elles ont été ajoutées peu-à-peu, & les unes après les autres à l’acte juridique que faisoit l’Eglise. La première & la plus ancienne est la sentence par laquelle le Pape déclaroit qu’il vouloit qu’on mît un tel au nombre des Saints, & qu’on célébrât sa fête le jour de sa mort. Cette sentence se prononçoit ordinairement dans un Concile. Quelquefois cependant le Pape la prononçoit seul, comme celle de la canonisation de S. Edouard, Roi d’Angleterre, faite en 1161, par Alexandre III. Quelquefois dans une grande assemblée de peuple, comme celle de S. François d’Assise. D’abord cette sentence se lisoit dans la salle du Concile ; ensuite on établit qu’elle seroit lue dans une Eglise, ou dans la place qui seroit devant l’Eglise. Pour rendre encore la cérémonie plus célèbre, Honorius III, y ajouta quelques jours d’indulgences en 1225, Grégoire IX, & d’autres ensuite en augmentèrent le nombre, & enfin Adrien VI, accorda une indulgence plénière l’an 1523, à la canonisation de S. Bennon. Un ancien cérémonial, qui avoit succédé à l’Ordre Romain, & qui a été en usage jusqu’à Léon X, sous le Pontificat duquel Marcel, élu à l’Archevêché de Corcyre, imprima le Nouveau Cérémonial, est le premier livre où l’on trouve les cérémonies de la canonisation. Ce Cérémonial est du Pontificat de Clément VI. vers l’an 1348. Elles n’avoient point été mises dans l’Ordre Romain, parce qu’elles ne se faisoient pas alors dans l’Eglise pendant la célébration des saints mystères, mais dans la salle du Concile. C’est, à ce que l’on croit, Alexandre III, qui fit le premier la canonisation de S. Thomas de Cantorberi en célébrant la Messe. Baronius dans ses Notes sur le Martyrologe, &c après lui Phœbæus, remarque qu’à la canonisation de S. Roch, faite au Concile de Constance en 1414, on porta pour la première fois l’image du Saint en procession par toute la ville ; & Phœbæus croit que c’est là l’origine des Bannières du Saint canonisé, & de la procession qui se fait à la canonisation. Voyez les Bollandistes, Propyl. ad Act. SS. Maii Dissert. XX, p. 171 & seq. & la Préface des Acta Sanct. Bened. sæc, V, § VI.

Une manière de canoniser les Saints en usage dans les Xe & XIe siècles étoit d’élever, avec la permission du S. Siège, un autel sur leurs corps. Ainsi S. Romuald, mort en 1027 le 19 Juin, faisant beaucoup de miracles à son tombeau, cinq ans après les Camaldules obtinrent du S. Siége la permission d’élever un autel sur son corps, comme il est remarqué dans la Préface des Acta SS. Ben. Sæc. V, n. XCVIII.

Canonisation, se dit aussi de la Fête qui se fait en plusieurs Eglises, ou le nouveau Saint est honoré, en témoignage de réjouissance de cette déclaration. Festivitas ob relatum recens aliquem Sanctorum in numerum, canonisationis festivitas.