Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CANNELLE ou CANELE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 213-214).

CANNELLE ou CANELE, s. f. seconde Ecorce d’un arbre qui croît dans les Îles de Céylan & de Java, & en Malabar. Casia, cinnamum, cinnamomum. Il vient naturellement & sans culture dans les bois, comme les autres arbres. Les Indiens n’en font pas plus de cas : ils l’appellent corunda gauhah. Cette écorce est la même chose que le cinnamome des Anciens. Le bois de cet arbre n’a ni odeur ni goût. Sa principale vertu est dans son écorce, laquelle étant récente semble être double : elle est a sa superficie grisâtre, & le dedans de couleur ordinaire de la cannelle. On la pouroit alors diviser en deux écorces de différente couleur, mais étant séchées ensemble, elles sont inséparables, & passent pour la même écorce, la couleur grisâtre de la superficie, se changeant en la couleur ordinaire, à mesure qu’elle sèche. La cannelle séparée fraîchement de l’arbre est plate, peu colorée, presque sans goût & sans odeur ; mais elle se roule en séchant & prend la figure d’une canne, dont elle porte en partie le nom, & par l’exaltation de son humidité superflue, elle acquiert une odeur douce & pénétrante, un goût aigu & piquant. Plusieurs rapportent que cet arbre dépouillé de son écorce demeure trois ans à en reformer une nouvelle, qui se trouve aussi bonne que la précédente ; mais cela paroît fort suspect. La cannelle, pour être bonne, doit être d’un goût fort piquant & fort agréable, & avoir une couleur rousse & assez vive. Ses qualités sont d’échauffer, de dess&cher, de hâter les menstrues & les accouchemens ; de fortifier les esprits, & d’aider à la digestion. Ce mot peut venir dû Latin canna, parce qu’on nous apporte la cannelle en forme de canne. Mais le plus sûr est de tirer ce mot de l’Hébreu, cane, qui signifie la même chose que calamus aromaticus parmi les Latins. Voyez Ceilan. Voici une description plus détaillée de la Cannelle.

La cannelle est l’écorce d’un arbre qu’on peut appeler Cannelier, Elle est longue ; mince, roulée, d’une couleur rouge brun, d’un goût piquant aromatique & fort agréable ; La cannelle fine nous vient de l’Île de Ceylan ; & elle est mince ; peu haute en couleur, & comme brûlante au goût. Le grabot de cannelle, qui a peu de goût, se nomme escavisson chez les Epiciers, La cannelle est du nombre des drogues qu’on appelle épices. Les cuisiniers la font entrer dans plusieurs de leurs ragoûts, & dans quelques-unes de leurs sauces. Les Confiseurs en lardent les fruits qu’ils mettent est compotte. Les Parfumeurs l’emploient dans leurs pâtes ; dans leurs pastilles, & dans leurs poudres de senteurs. Les Medecins l’ordonnent dans les dévoimens ; dans les foiblesses d’estomac. L’eau de cannelle se tire par la distillation que l’on fait de cette écorce infusée dans l’eau d’orge ; dans l’eau-de-vie où dans le vin blanc. On appelle eau de cannelle orgée ; celle qui est tirée avec l’eau d’orge. L’huile de cannelle nous est apportée de Céylan ; & c’est une espèce tres-précieûse, quand elle n’est point falsifiée. Quelques gouttes de cette essence peuvent aromatiser des liqueurs & des compositions, auxquelles la cannelle en substance, ou en teinture, ne donneroit pas une odeur, un goût aussi agréables.

Outre la canelle de Céylan, nous avons deux écorces qu’on tire de deux autres espèces de Canneliers. La première de ces écorces a conférée son nom latin de cassia lignea, & n’est guère employée que dans certaine composition de Pharmacie. Elle est fort semblable à la cannelle fine, & on ne la distingue sûr-tout, que parce qu’elle est fort visqueuse dans la bouche, & qu’elle n’a point ce sec & ce piquant de la cannelle ; d’ailleurs elle est ordinairement un peu plus grossière, & d’une couleur un peu plus brune. À juger du Cinnamomum, & du Cassia lignea, que Gallien & Dioscoride ont décrit, on n’y voit point un rapport entier avec notre cannelle, ni avec notre Cassia lignea. La plupart des nouveaux Naturalistes nient que la Cassia lignea, soit la seconde écorce du vrai Cannelier. La seconde écorce qui approche de la cannelle par sa couleur & par son goût, — mais qui est cependant plus foible, est appelée Cannella de Matte, en latin Cannella minus aromatica. Elle nous vient en morceaux plats, beaucoup plus épais que la cannelle ordinaire. L’arbre d’où elle est tirée, se nomme Katoukarva par les Malabarois. Cette dernière écorce n’est guère d’usage en Europe, où l’on ne fait cas que de la cannelle fine.

Il y a encore quelques autres écorces auxquelles nous donnons improprement le nom de cannelle ; telles sont la cannelle giroflée, & la cannelle blanche, écorces de deux arbres qui n’ont point le caractère de Cannelier. La première, qu’on nomme communément cannelle giroflée, où cassia caryophillata, (non pas qu’elle vienne de l’arbre du girofle, mais plutôt parce qu’elle a le goût du clou) est fort mince, fort cassante, d’un rouge tirant sur le violet, roulée l’une sur l’autre, & d’un goût piquant & aromatique. Flacourt dit que l’arbre qui donne cette écorce se nomme Ravendsara dans l’Île de Madagascar, où il est commun, & qu’il ressemble au laurier franc. Ses fruits sont gros comme de petites noix vertes ; ils sont arrondis, terminés par un petit nombril, divisés en plusieurs cellules, & ont un goût & une odeur agréable, aromatique, & qui participe du clou. Cet arbre croît aussi dans le Brésil, & les Portugais nomment son écorce, Cravo de Marenhan, d’où vient le nom françois, bois de Crabe ou Capelet. Cette écorce s’emploie au défaut du girofle, elle en a la force, lorsqu’elle est nouvelle, & qu’elle n’est point moisie. À l’égard de la cannelle blanche, c’est l’écorce d’un arbre qui croît en Amérique, à la Jamaïque & à S. Domingue. Du Tertre fait mention de cet arbre sous le nom de bois d’Inde, ou de laurier aromatique. Il ressemble en quelque manière au laurier franc, par ses feuilles qui sont plus souples, plus longues, moins pointues par leur extrémité, toujours opposées deux à deux, & d’un goût piquant, aromatique, tenant de la cannelle & du girofle, accompagné d’une astriction & d’une amertume qui n’est pas désagréable. Ses fleurs naissent par bouquets à l’extrémité des branches ; elles sont blanches, petites, composées de cinq pétales arrondies. Ses étamines sont blanches, & entourent un pistil. À ces fleurs succèdent des baies grosses comme des pois, divisées en deux cellules qui renferment chacune une ou deux semences taillées en forme de rein. Cette baie a un goût piquant comme le girofle, & on la nomme par cette raison tête de clou, ou poire de la Jamaïque, en latin Pimenta, Piper Jamaicense. L’usage que l’on fait a présent de ce fruit est assez considérable, parce qu’il est d’un goût agréable dans les sauces, & les Epiciers en composent leur poivre assorti, La première écorce de cet arbre est mince, fort lisse & jaunâtre ; la seconde est plus épaisse, blanchâtre, & d’un goût de cannelle, de muscade & de girofle mêlés ensemble. C’est cette seconde écorce qu’on nous envoie en bâtons plus courts que ceux de la cannelle fine, roulés cependant tout de même, ce qui arrive à cette écorce lors qu’elle séche. Elle est assez fine, & les taches qui paroissent sur sa surface extérieure sont des vestiges des queues des feuilles. Elle est épaisse ordinairement d’une demi-ligne, ou d’une ligne au plus, jaunâtre en dedans, & d’un goût aromatique. On la nomme cannelle blanche, costus en écorce, Canella alba, costus corticosus, & on l’a toujours fait passer pour le Corte Wicelteranus. L’aubier du tronc de cet arbre est couleur de chair, & le cœur, ou la partie ligneuse, est violet, & devient noir d’ébène en vieillissant ; il est très-dur, & prend un beau poli. Cet arbre vient quelquefois aussi gros que nos noyers. Voyez Plumier, Du Tertre, Pison, Pomet, Dale, Herman.

Il y a une autre sorte de cannelle dans les Indes Occidentales, qui vient dans une provin ce qu’on appelle Sumaca, située fous l’Equateur. C’est un arbre de moyenne grandeur, toujours chargé de feuilles, comme les autres arbres des Indes. Ces feuilles sont semblables à celles du laurier. Son fruit est de la forme & de la figure d’un chapeau, & de la largeur d’une pièce de huit réales d’Espagne. Il est au-dedans & au-dehors d’une couleur de pourpre tirant sur le noir, uni & poli par-dedans, rude par-dehors, d’un goût & d’une odeur aussi agréables que la cannelle de Céylan, Son écorce est fort épaisse:elle n’a aucune saveur ni odeur de cannelle. Sa principale force est dans le fruit, ce qui est le contraire de la cannelle d’Orient. Ce fruit est fort utile à plusieurs choses; étant mis en poudre il fortifie l’estomac, dissipe les vents, corrige la puanteur de la bouche : il est aussi cardiaque, & donne bonne couleur. On en met dans les sauces & dans les ragoûts comme la cannelle.

Cannelle, se dit aussi d’un robinet qu’on met à un tonneau pour en tirer le vin, en tournant la clef qui y tient, & qui sert à ouvrir ou à boucher le passage. Fistula.

☞ C’est encore un morceau de bois creusé qu’on met à une cuve de vendange, pour en faire sortir le vin, après qu’on a foulé les raisins. Emissarium.

Cannelle ou Canellé, se dit encore de cette petite cavité, ou cannelure, qui se voit de chaque côté du plat de la tête des aiguilles à coudre ou à travailler en tapisserie. On l’appelle aussi la railette de l’aiguille.

Cannelle, se dit aussi d’un petit couteau dont la lame est dentelée comme une scie, servant à faire une petite rainure sur un morceau de bois, dans laquelle on tient l’aiguille avec des tenailles pour l’y ébaucher.