Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CAMÉLÉON

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 188-189).
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CAMÉLÉON. s. m. Quelques-uns écrivent CHAMÉ-LION C’est un petit animal fait comme un lézard, excepté qu’il a la tête plus grosse & plus large. Chamæleon. Cet animal habite dans les rochers. Il a quatre pieds, trois doigts à chacun, la queue longue, avec laquelle il s’attache aux branches des arbres, aussi bien qu’avec les pieds. Il a le mouvement lent comme la tortue, mais fort grave. Il y en a en Egypte qui ont jusqu’à onze & douze pouces de long, y compris la queue. Ceux d’Arabie & du Mexique ont six pouces seulement. Sa queue est plate, le museau long. Il a le dos aigu, la peau plissée & hérissée comme une scie depuis le cou jusqu’au dernier nœud de la queue, & une forme de crête sur la tête. Il a la tête sans cou comme les poissons. Il fait des œufs comme les lézards. Son museau est fait en pointe obtuse. Il a deux petites ouvertures dans la tête qui lui servent de narines. Ses deux mâchoires sont jointes par une ligne presque imperceptible. Ses yeux sont gros, & ont plus de cinq lignes de diamètre, dont l’iris est isabelle bordé d’un cercle d’or, quoique Jonston dise qu’elle lui manque. Il n’a point d’oreilles, & ne reçoit ni ne produit aucun son. Sa langue est longue de dix lignes, & large de trois, faite de chair blanche, ronde & aplatie par le bout, où elle est creuse & ouverte, semblable en quelque façon à la trompe d’un éléphant : aussi quelques-uns l’appellent-ils trompe. Il la darde promptement sur les mouches, qui s’y trouvent attrapées comme sur la glu. Elle s’allonge & se retire comme un bas de soie sur la jambe. L’expérience n’a pas confirmé ce que plusieurs Auteurs veulent faire croire, que le Caméléon vit d’air. On a souvent vu celui qui a été apporté à Paris avaler des mouches ; on en a remarqué quantité dans ses excrémens ; & son ventre & ses intestins ont été trouvés remplis quand on l’a disséqué. Il a 18 côtes, & son épine a 74 vertèbres, y compris les 50 de sa queue. On trouve dans son ventre des pierres qu’il vide avec ses excrémens. Il devient quelquefois si maigre, qu’on lui compte les côtes, de sorte que Tertullien l’appelle une peau vivante. Elien, Gesner & Aldrovandus disent qu’il se défend du serpent par un fétu qu’il tient dans sa gueule.

Sa couleur ordinaire, quand il est en repos & à l’ombre, est d’un gris bleuâtre. Aristote dit que sa couleur naturelle est le noir. Il y en a aussi de jaunes, & d’autres verts, qui sont plus petits. Quand il est exposé au soleil, ce gris se change en un gris plus brun tirant sur le minime, & ses parties moins éclairées prennent diverses couleurs qui forment des taches de la grandeur de la moitié du doigt, dont il y en a quelques-unes de couleur isabelle. Les grains de sa peau non-éclairés ressemblent aux draps mêlés de plusieurs couleurs. Quelquefois quand on le manie, il paroît marqueté de taches brunes qui tirent sur le vert. Si on l’enveloppe dans du linge, après y avoir été deux ou trois minutes, on l’en retire blanchâtre ; mais cela ne lui arrive pas toujours : il ne prend point la couleur des autres étoffes dans lesquelles on l’enveloppe ; & sa couleur ne change seulement qu’en quelques parties de son corps. Ainsi ce que Théophraste & Plutarque ont dit, qu’il prend toutes les couleurs dont on l’approche, hormis le blanc, ne s’accorde pas avec l’expérience. Monconys dit avoir observé que le Caméléon étant au soleil, paroît vert, quoiqu’il soit en un lieu où il n’y a point d’herbe ; qu’à la chandelle il paroît noir, quoiqu’on le mette sur du papier blanc ; & qu’étant enfermé dans une boîte, il devient jaune & vert : & il soutient qu’il ne prend jamais que ces quatre couleurs. Les uns disent que ce changement de couleur se fait par suffusion, comme Sénèque, d’autres par réflexion, comme Solin ; d’autres par la disposition des particules qui composent sa peau, comme les Cartésiens. Ce que l’on vient de dire est tiré presque entièrement des Mémoires de M. Perrault, qui en a fait des dissections.

Mlle Scudery, dans une Relation qu’elle a publiée de deux Caméléons qui lui furent apportés d’Afrique, assure qu’elle les conserva dix mois, & que pendant tout ce temps-là ils ne prirent rien du tout. On les mettoit au soleil, & à l’air, qui paroît être leur unique aliment : ils changeoient souvent de couleur, sans prendre celle des choses sur lesquelles on les mettoit. On remarquoit seulement quand ils étoient variés, que la couleur sur laquelle ils étoient se mêloit avec les autres, qui par leurs fréquens changemens faisoient un effet agréable. Elle ajoute que c’est un petit animal paresseux, triste & muet, & qui de ses yeux en tient l’un immobile, ou vers le ciel, & l’autre vers la terre.

Ce que la plupart des Auteurs ont dit du Caméléon n’est pas véritable. Pline le fait de la grandeur d’un Crocodile : Panarolus lui arme le dos de pointes pour se défendre de ses ennemis ; & Solin, comme pour le rendre plus effroyable & plus terrible, dit qu’il a toujours la gueule ouverte. Cependant un Caméléon qu’on a disséqué à Paris n’étoit pas en tout plus long d’un pied, quoiqu’il fût des plus grands ; il n’avoit sur le dos aucune apparence de pointes, les apophyses épineuses de ses vertèbres étant même carrées ; & bien loin d’avoir incessamment la gueule ouverte, il l’avoit toujours si bien fermée, pendant qu’il a été vivant, qu’on avoit de la peine à remarquer la séparation de ses lèvres. Marmol, qui dit qu’il en a vu plusieurs, assure que leur queue ressemble à celle d’une taupe ; mais elle n’est pas moins grande que celle d’un rat ou d’une vipère, & elle égale en grandeur presque tout le reste du corps.

Pour ce qui est des parties intérieures de cet animal, Gesner dit qu’il n’y a que les poumons qui soient visibles ; mais il faut qu’il les ait considérées avec bien peu de soin ; car dans le Caméléon qui fut disséqué à Paris, on remarqua distinctement le foie, le cœur, le ventricule, les intestins, qui avoient plus de sept pouces de longueur. Aristote, qui a pris plaisir à décrire le Caméléon, assure qu’il n’a de la chair qu’aux mâchoires & au commencement de la queue ; néanmoins on en remarque encore sur l’épine du dos, sur les jambes de devant, & sur celles de derrière. Il prétend aussi qu’il n’a de sang qu’autour du cœur & des yeux, & cependant on en trouva beaucoup dans la langue, & dans tout le reste du corps. La description Anatomique de celui qui fut disséqué à Paris à la Bibliothèque du Roi, dit que ce Caméléon ne changeoit pas moins de figure, que de couleur ; que quelquefois il paroissoit fort gras, & une heure après si décharné, qu’il sembloit n’avoir que la peau ; que ses poumons n’étoient qu’un amas de membranes déliées, & qui ayant été enflées en soufflant dans l’âpre artère, jetèrent de côté & d’autre plusieurs productions d’inégales grandeurs, & presque de la figure de branches de corail ; qu’une des pierres qui s’engendrent dans ses intestins ayant été cassée, on trouva dedans la tête d’une mouche ; que ses yeux ont le mouvement singulier, dont parle Mademoiselle de Scudery.

On dit figurément qu’un homme est un caméléon, quand il change d’avis ou de résolution, ou de parti ; à cause qu’on a cru faussement jusqu’ici que le caméléon changeoit de couleur à tout moment. Un Ministre d’Etat est un caméléon, un Prothée, qui feint toutes sortes de caractères selon ses vues, & ses intérêts. La Bruy. La Fontaine dit des gens de Cour, Peuple caméléon, peuple singe du maître. On dit aussi de celui qui n’a pas de quoi vivre, que c’est un caméléon ; qu’il vit de vent, à cause de la vieille erreur où l’on étoit que le caméléon en vivoit.

Le caméléon est la matière d’une sérieuse méditation que fait Tertullien sur la fausse apparence, & il le propose comme le symbole des trompeurs & des fanfarons.

Ce mot signifie petit lion, ou chameau-lion, chez les Grecs, selon l’étymologie d’Isidore. Licetus croit que ce nom lui a été donné, à cause que comme le lion chasse aux autres bêtes, de même le caméléon chasse aux mouches : par la même raison qu’un certain ver qui chasse, & prend les fourmis, qu’Albert le grand a décrit, est appelé formica-leo ; & qu’une petite écrevisse de mer est nommée lion, parce qu’elle est de la couleur du lion, à ce que disent Pline & Athénée. À cause de son extrême maigreur les Italiens appellent cet animal une peau vivante. On voit sur quelques tapisseries des Gobelins des caméléons représentés fort au naturel.

Matthiole rapporte plusieurs superstitions des Anciens touchant le caméléon. Ils ont dit que sa langue qu’on lui avoit arrachée étant en vie, servoit à faire gagner le procès de celui qui la portois ; qu’on faisoit tonner & pleuvoir, si on brûloit sa tête & son gosier avec du bois de chêne, ou si on rotissoit son foie sur une tuile rouge ; que si on lui arrachoit l’œil droit étant en vie, cet œil mis dans du lait de chèvie ôtoit les taies ; que sa langue liée sur une femme enceinte, la faisoit accoucher sans danger ; que sa mâchoire droite otoit toute peur & frayeur, étant portée sur soi, & que sa queue arrêtoit des rivières : ce qui montre que les Naturalistes ont dit des choses aussi fabuleuses que les Poëtes. Pline dit que Démocrite avoit fait un livre entier de ces superstitions. Et Solin dit, qu’il y a une telle antipathie entre le corbeau & le caméléon, que celui-là meurt incontinent après qu’il a mangé de sa chair : ce qui est faux, quoique quelques Modernes assurent que le caméléon, pour éviter les serpens, monte sur les arbres, & que de-là il les épie pour les faire mourir par sa bave qu’il laisse tomber sur eux. Pline s’est aussi fort trompé, quand il a dit qu’il y avoit des caméléons qui étoient aussi grands que des crocodiles.

Caméléon, en Astronomie, est l’une des douze constellations Australes, qui ont été observées par les modernes depuis les grandes navigations. Elle n’est pas visible sur notre horison.