Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CAEN

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 145-146).
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CAEN. Ville de Basse-Normandie, dont elle est capitale. Ce mot est monosyllable, prononcez Can, Cadomum. Caen est sur l’Orne, à trois lieues de la mer. Caen n’est pas une ville ancienne ; mais elle est belle, grande, & bien peuplée. M. Huet a fait les Antiquités de Caen, où il montre que Caen n’est point l’Otlinga ou Autlinga, dont il est fait mention dans les Capitulaires de Charles le Chauve, & dans la vie d’Aldric, Evêque du Mans, parce que l’Otlinga Saxonia est appelée pagus & pagellus, c’est-à-dire, un pays, un petit pays, & que Caen n’étoit guères alors qu’un village. Quelques Poëtes ont donné à Caen des Fondateurs illustres, comme Cadmus, Caius César, qui, à ce que l’on a prétendu, l’appeloit en raillant Caii domum, d’où s’est fait Cadomum ; ou bien un autre Caius, Maître d’Hôtel du Roi Arrus. C’est le sentiment de Guill. le Breton. Paul Emille & quelques autres Historiens ont débité ces fables comme des vérités. Le Président Fauchet a cru que Quentovicum où Charles le Chauve permet la fabrique de la monnoie dans ses Capitulaires, est Caen ; il ne savoit pas que c’étoit une ville de l’Artois à l’embouchure de la Quanche. M. de Bras veut que Caen soit le Corocotinum de Ptolomée ; mais c’étoit un port de mer, & immédiatement après avoir marqué Corocotinum, il met à l’embouchure de l’Orne. M. Huet dit que Caen paroît avoir été ville sous les premiers Normands qui s’établirent en Normandie vers le commencement du Xe siècle ; mais que l’on ignore quand elle a commencé de l’être, & qu’elle semble avoit été l’ouvrage du hazard, comme beaucoup d’autres villes, dont la situation & d’autres avantages ont obligé des hommes à s’y établir. Il croit au reste qu’il faut remonter au temps de Saxons, qui vers le VIe siècle occupèrent presque toute la côte Septentrionale des Gaules, peut-être jusqu’aux Romains ou même jusqu’aux Gaulois. Car qui peut savoir, dit-il, quand la première maison, la première hutte été bâtie à Caen ? Quoi qu’il en soit, Caen n’a eu aucune réputation avant les premiers Ducs de Normandie ; mais dès-lors ce fut une ville importante, & selon Guillaume le Breton, qui a vécu vers le milieu du XIIIe siècle, Caen étoit alors une ville si peuplée & si bien bâtie, qu’elle pouvoit presque aller de pair avec Paris.

Caen a une Université. Elle fut fondée d’abord par Henri VI, Roi d’Angleterre, en 1431, confirmée par Eugène IV en 1437, & érigée en second lieu par Charles VII, Roi de France, en 1450, quand il eut chassé les Anglois de Normandie. Il y a aussi une Académie de belles-lettres & de Physique commencée en 1652, par M. Brieux, continuée par M. Segrais, & après sa mort, érigée par lettres-patentes du Roi en compagnie réglée l’an 1705 par les soins de M. Foucault, alors Intendant de Caen. Il y a aussi à Caen une Vicomté, un Bailliage, un Presidial, un Bureau des Finances, une Election, un Grenier à sel, une Amirauté, & une Chambre des Monnoies.

Selon Messieurs de l’Académie des Sciences, Caen est au 17° 15′ de longitude, & au 49° 11′ de latitude septentrionale. Selon les astronomiques de M. Cassini, la latitude de cette ville est 49° 10′ 50″, sa longitude 17° 6′ 20″, ayant pour différence de la longitude de Paris 2° 45′ 0″ occidentale. Caen portoit autrefois de gueules au château donjonné d’or, & j’ai vu des sceaux portant ces armes. C’est visiblement une peinture de Caen, lorsque Charles VII reprit cette ville sur les Anglois, pour reconnoître sa fidélité, il changea ses armes, & lui fit porter coupé d’azur & de gueules aux trois fleurs de lys d’or ; apparemment pour être le symbole de la fortune de Caen, qui avoit été long-temps sujette aux Anglois ; car le rouge est la couleur de leur écu ; mais la ville retournant sous la domination françoise, l’azur & les fleurs de lys avoient repris le dessus. Huet. Voyez les recherches & antiquités de Caen par De Bras in-4°, à Caen 1688, ou plutôt celles de l’illustre M. Huet, qui sont beaucoup plus exactes & plus savantes. Du Chesne parle aussi de Caen dans ses antiquités des villes de France, Liv. VII, ch. 10.

Le nom ancien de Caen étoit Cathim. Il est ainsi nommé dans la charte de donation de Richard III, Duc de Normandie, datée de l’an 1026. M. Valois a cru qu’il falloit lire Cathem ; mais Cathim, Catheim, Cathem & Cathom, sont différentes prononciations d’un même mot. Cathim & Cathem étant donc la même chose, de Cathem s’est formé Cahem ; le t & le th souffrant souvent élision dans le milieu des mots, comme dans ceux de pere, mere, frere, qui sont formés de patre, matre, fratre, & comme du mot ἐσθλὸς (esthlos), les Doriens faisoient ἐσλὸς ; de Cahem s’est fait celui de Caen, le mot Cahem, se trouvant écrit dans les augmentations faites à Sigebert par Robert de Torigni, Abbé du Mont S. Michel, & imprimées par D. Luc d’Achery. Cela se prouve encore par l’ancienne prononciation du mot de Caen, qui n’étoit pas monosyllabe, comme maintenant, mais qui étoit un mot de deux syllabes, où les deux voyelles a & e étoient marquées par une prononciation distincte, comme les vers du Poëte Waice, qui vivoit vers le milieu du XIIe siècle, & les vigiles de Charles VI en font foi.

De Cathom, on a fait Cadom, le t s’étant changé en d, comme de Θεὸς, on a fait Deus. Je crois même que dans le temps qu’on a dit Cathom, d’autres, & peut-être le plus grand nombre, prononçoient Cadum ; car il se trouve dans la chartre de fondation de l’Abbaye de la Trinité, dans la vie de S. Lanfranc, & dans la chronique du Bec. De Cadom, le mot Caen a pu se former dans la suite, aussi bien que de Cathem, par une analogie fort ordinaire dans notre langue, comme de Laudunum, s’est fait Laon, de Lugdunum, Lyon, d’Audomarus, Omer, & d’Audoenus, Ouen.

M. Bochart croit que Cadom, en vieux gaulois, signifie demeure de guerre. Il est vrai que ca en bas breton signifie guerre ; mais hom, qui signifie demeure, est un mot d’origine allemande, comme il le reconnoît lui-même : ce mot, selon les divers dialectes de cette langue, se prononce hom, comme en plusieurs lieux de Normandie. Car les villages nommés le homme, suhomme, robéhomme, le hommet, le hommel, viennent du Saxon hom ; comme hameau, & hamel viennent de ham. De sorte que M. Bochart fait ce mot hybride, moitié gaulois, moitié Saxon. Pour moi, j’estime qu’il faut rapporter ce nom à celui de Cadetes, peuples célébrés par César, & situés apparemment vers le lieu où Caen est situé, & que Cadom, signifie demeure des Cadetes ; de même que Cabourg, petit bourg assez voisin de Caen, appelé dans les vieux titres Cateburgum, & Cadburgum, signifie bourg des Cadetes. Du reste, ces Cadetes, peuples Gaulois, peuvent bien avoir pris leur nom, de Cad, mot gaulois, qui signifie guerre. Ainsi Cadetes signifie Belliqueus. Huet.

D’autres ont formé le nom Cadomum, Caen, de Cadmus, comme si ce Prince Phénicien, en cherchant sa sœur par le monde, eût jeté les fondemens de Caen. Les autres de Caii domus ; comme nous avons dit ci-dessus. D’autres de Campodomus, comme ayant pris ce nom de sa situation entre deux campagnes. Quelques-uns de Quentovicum, comme si ce nom, qui appartient à une ville d’Artois, étoit celui de Caen. Les autres du grec Καινὸς δόμος, nouvelle demeure ; & quelques-uns de Cademoth, ville de la Terre-Sainte. M. de Bras de Crociatonum}, ou Cassiatonum, ou Caradinan, ou Casta domus. D’autres à canitie. Toutes ces étymologies sont fausses.