Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BUCÉPHALE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 102-103).
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BUCÉPHALE. s. m. qui signifie tête de bœuf, du grec βοὺς, bœuf & ϰεφαλὴ, tête. C’étoit la coutume autrefois d’imprimer quelques marques aux chevaux. Les plus communes étoient un Σ, sigma, un Κ, Kappa, & une tête de bœuf. Ceux qui étoient marqués du Σ s’appeloient Συμφόραι ; ceux qui avoient le Κ, Κοππατίαι ; & l’on donnoit le nom de Bucéphales, Βουϰέφαλοι à ceux auxquels on imprimoit une tête de bœuf. Cette tête de bœuf se mettoit sur la croupe du cheval, & sur ses armes ou son harnois. C’est le Scholiaste d’Aristophane dans les Nuées, Act. 1 Sc. 1, & Hésychius au mot Βουϰέφαλος, qui nous apprennent ceci. Voy. Saumaise sur Solin, pag. 893 & suiv.

Bucéphale, fut en particulier le nom du cheval d’Alexandre, ainsi nommé, si l’on en croit le Scholiaste d’Aristophane, parce qu’il étoit marqué de la tête d’un bœuf. D’autres disent parce qu’il avoit le front large, ou un regard farouche ; mais le Scholiaste d’Aristophane, à l’endroit que j’ai cité, dit qu’on n’appeloit point ainsi les chevaux à cause de leur forme ou figure, mais seulement à cause de la marque qu’on leur imprimoit.

Freinshemius dit que Philippe ayant fait consulter l’Oracle de Delphes, pour savoir qui seroit son successeur, l’Oracle répondit que ce seroit celui qui monteroit Bucéphale ; que ce Bucéphale étoit un très-beau cheval, bien tourné, mais très-farouche, qu’un certain Philonicus de Thessalie avoit vendu à Philippe 12 talens ; c’est-à-dire 13000 livres selon la supputation de Budé, qui met le petit talent à 1000 livres ; ou 17329 livres si c’étoit de grands talens, que Budé évalue à 1333 livres de notre monnoie. Aulu-Gelle dit qu’il fut vendu 13 talens, & donné à Philippe, ce qui revient selon lui à 312 sesterces monnoie Romaine, & selon le P. Proust, dans le Commentaire d’Aulu-Gelle, ad usim Delphini, à 13650 livres de notre monnoie. Quoi qu’il en soit, Philippe l’ayant fait enfermer long-temps, & enfin ayant ordonné qu’on le laissât aller à l’abandon, parce que personne ne le pouvoit monter ; Alexandre s’écria, Quel cheval leur ignorance ou leur délicatesse leur fait perdre ! Et l’ayant flaté quelque temps, il eut l’adresse de le monter, & enfin de le domter. Quand il en descendit, Philippe l’embrassant, cherchez, lui dit-il, mon fils, un Royaume digne de vous. La Macedoine ne vous suffit pas. Depuis ce temps-là Alexandre monta Bucéphale ; & s’en servit dans tous ses combats. Onésicrite & Arrien, Liv. V, chap. 3. disent qu’il mourut de vieillesse, après avoir vécu 30 ans, selon le premier de ces Auteurs. Plutarque assure qu’il mourut quelque temps après la bataille de Porus des blessures qu’il y reçut. C’est dit Hoffman, le sentiment commun. Voyez Bucéphalie. Quand Bucéphale étoit sellé & armé pour le combat, il ne souffroit point que personne le montât qu’Alexandre.

On emploie quelquefois ce nom pour signifier dans le discours familier, ou burlesque, un beau cheval, grand, vigoureux, un cheval de parade. Il parut monté sur un Bucéphale.

On dit aussi quelquefois en badinant des chevaux ordinaires, ou mêmes des rosses, ou mauvais chevaux : J’étoit sur mon Bucéphale, qui alloit assez bon train ; pour dire, sur mon cheval. Ah quel Bucéphale vous avez là ! pour dire, quel mauvais cheval ! par ironie.