Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BOURREAU

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 17-18).
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BOURREAU. s. m. Le dernier des Officiers de Justice, qui exécute les criminels. Carnifex, tortot. Quand on scelle les lettres du bourreau, on les jete sous la table, pour marquer l’infamie du métier. Le bourreau ne se saisit de la personne condamnée, qu’après avoir oui la prononciation de la sentence, ou de l’arrêt qui la condamne. Arithène disoit, que les bourreaux étoient plus honnêtes que les Tyrans, parce qu’ils ne font mourir que des criminels, au lieu que les Tirans ôtent la vie à des innocens. On a comparé ceux qui font un trafic du métier de la guerre, & qui se louent pour aller tuer des hommes, à des bourreaux, qui sont d’autant plus détestables, qu’ils tuent des innocens sans raison : au lieu que les bourreaux tuent avec raison, & par ordre de la Justice. Cour. On dit qu’en quelques endroits d’Allemagne les bourreaux acquièrent le titre & les droits de noblesse, quand ils ont coupé un certain nombre de têtes porté par la coutume de ces pays. Les bourreaux sont les diables du corps, comme les diables sont les bourreaux des ames. La loi des censeurs les privoit de domicile. Rochef. Scaliger dit que de son temps un Gentilhomme Savoyard, irrité contre ses freres, s’alla faire bourreau à Genêve.

Chorier remarque que dans la Jugement de l’empoisonneur de Remond, Baron de Menillon, en 1323. les deux exécuteurs, car il y en eut autant, sont appelés simplement Commissaire & Spiculateurs : ce qui apprend, ajoute-t-il, que le mot de bourreau n’étoit pas encore en usage & que l’exécution des jugemens de mort n’attachoit pas de l’infamie à la personne qui la faisoit ; les noms de Commissaires & de Spiculateurs ne pouvant facilement devenir susceptibles de sens honteux & injurieux. Chez les Israelites Dieu avoit ordonné que ce fut ou tout le peuple, ou les parens d’un homme tué, ou quelques autres personnes semblables, selon les différens cas, qui exécutassent les sentence de mort ; & on se faisoit un honneur & un mérite de cette execution, loin qu’elle eut rien d’infamant. Dans la seconde cour du Serrail de Constantinople il y a une fontaine où l’on fait couper la tête à tous les Bachas que le Grand-Seigneur fait mourir publiquement, & où le bourreau crioit autrefois au Grand-Seigneur, qui voyoit l’exécution d’une fenêtre grillée : Mon Roi, le repentir d’une chose faite ne sert de rien ; mais Sultan Mourat a aboli cette coutume. Du Loir, pag. 44. 45.

Borel dérive ce mot de bourrée, qui signifie une poignée de verges de saule, comme Témoigne Monet, parce que les verges sont les premiers instrumens dont se sert le bourreau. Il peut venir aussi de burrus, qui signifie roux, parce qu’en plusieurs lieux les bourreaux doivent être habillés de rouge & de jaune. Ailleurs il le dérive du grec βορὸς, qui signifie carnassier. Mais il est vrai que c’est un mot celtique & ancien gaulois ; car les bas-Bretons se servent encore de ce mot sans y rien changer. M. Huet le dérive de boyereau, qui est un diminutif de boye. Autrefois on appeloit un bourreau boye, & les Italiens l’appellent boya. Selon Guichard, de כבר, cabar, en omettant la première radicale, se fait כר, bar, qui en chaldéen signifiant facultas, licentia, a fait birro en italien, pour signifier lictor ; & de birro, bourreau en françois pour signifier à-peu-près la même chose. Bourreau pourroit venir de birro ; mais que birro vienne de cabar, il n’y a pas d’apparence.

☞ On dit figurément que le remords de la conscience est un cruel bourreau, parce que les remords tourmentent sans cesse le coupable. Le criminel porte toujours avec lui son bourreau.

Chaque sens a son bourreau :
En vain dans sa soif brûlante,
Le damné qui se tourmente,
Implore un goutte d’eau.

Duché, Ode sur l’Enfer.

On appelle aussi un bourreau, celui qui est sanguinaire, cruel, sans pitié. Ce maître bat tous ses gens, c’est un vrai bourreau. Les Chirurgiens ignorans sont de vrais bourreaux. Le Démon artificieux procure quelquefois aux hommes d’heureux succès pour les entretenir dans l’illusion : ainsi l’ame se livre elle-même à son bourreau. Nic. Il est lui-même son impitoyable bourreau. Pat. Les envieux sont eux-mêmes leurs bourreaux. Vaug. en quelque lieu que se trouve un patricide, il rencontre un accusateur, un juge, & un bourreau. Le Mait. Vous ne savez pas en quel embarras je me trouve réduit, par les conseils de ce malheureux, qui est devenu mon bourreau. Port. R. Le vice est lui-même son cruel bourreau. Ablanc.

On dit proverbialement, qu’un homme est un vrai bourreau d’argent, prodigus æris ; pour dire qu’il le prodigue sans nécessité. On dit aussi, qu’un homme se fait payer en bourreau, pour dire, qu’il se fait payer d’avance. On dit aussi, qu’un homme est brave comme un bourreau qui fait ses pâques, quand il n’a pas coutume d’être bien vêtu.