Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BOSPHORE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 973-974).
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BOSPHORE. s. m. Espace de mer entre deux terres, qui sert de communication à deux mers. Bosphorus. Properce dit aussi Bosphorum, Liv. III, Eleg. 10. On n’a donné ce nom qu’à deux détroits de la mer méditerranéenne, le Bosphore de Thrace, & le Bosphore Cimmérien. Le Bosphore de Thrace est celui que nous appelons aujourd’hui Détroit de Constantinople, ou Canal de la mer noire, par lequel cette mer, nommée Pont-Euxin, communique à la mer de Marmora. Il sépare la Thrace de l’Asie mineure ; & c’est par cette raison qu’on l’a nommé Bosphore de Thrace, Bosphorus Thracius. Le Bosphore de Thrace a plus de 10 milles de long, & par-tout il n’a qu’un mille de large au plus, jusqu’aux Châteaux, qui sont éloignés de douze milles de Constantinople, & qui sont bâtis de part & d’autre pour servir de porte à cette ville de ce côté, aussi-bien que les Dardanelles du côté de l’Hellespont. Il y a sur le rivage des sérails & des villages, & sur les collines & dans les vallées il y a des jardins & des villes, Plusieurs petits ruisseaux viennent de part & d’autre se décharger dedans. Plus de quarante vallons disputent aux collines la beauté de leur verdure, & un vaisseau, quelque grand & quelque chargé qu’il soit, peut prendre port en trente endroits différens. Du Loir, p. 73. Petr. Gyllius a fait une description exacte de ce Bosphore, & de toutes ses appartenances, en trois livres. P. Gyllu de Bosphoro Thracio, lib. III. Le calme du Bosphore est si grand, qu’on le passe sur des permez. Du Loir, p. 68. On remarque très-peu de ruines de l’Antiquité tout le long du Bosphore, & hormis quelques fondemens de grosses murailles qui sont sur le rivage de l’Europe, où il y a apparence que Mandrocles, Samien, fit un pont, pour faire passer Darius & son armée qui alloit contre les Scythes, il n’y a point d’autres bâtimens que des modernes. Il n’y reste plus rien de ces temples que les Argonautes y bâtirent, ni des palais de Phineus & d’Amicus. Du Loir, p. 72. Au-delà des châteaux, les rivages du Bosphore n’étant pas si agréables, sont aussi moins habités & moins cultivés. Au sortir de son embouchure, il y a un rocher dans la mer proche du bord de l’Europe, sur lequel est plantée une colonne de marbre blanc, haute d’environ douze pieds, qu’ils appellent la colonne de Pompée. Mais je ne sais pour quelle raison elle porte ce nom : l’histoire ne fait point mention que cet illustre Romain ait fait dresser de si petites marques de sa gloire, & ce ne sauroit être, à mon avis, un reste des trophées de la victoire du Pont. Busbequius dit que si la mémoire ne le trompe, le nom d’un certain Octavien Romain, étoit gravé sur la base de cette colonne ; mais il n’y a point d’autres inscriptions maintenant que les noms de quelques-uns de ceux qui ont été la voir. Tout le long du rivage de la mer, proche de cette colonne, il se trouve dans le sable des coquillages merveilleux pour leur petitesse & pour la variété de leurs couleurs ; & dans le lit d’un petit fleuve qui se décharge auprès, on rencontre parmi son gravier des pierres si fines & si polies, qu’elles ne sont guère moins précieuses que des onix & des sardoines. Au bord de l’Europe il y a un petit village qu’on appelle Phare, qui sert de fanal à ceux qui navigent de nuit, pour leur faciliter l’entrée du Bosphore, & plus avant dans la terre (vers un village appelé Zékéré, où je crois que naissent les meilleurs & les plus gros melons de ce pays) on voit les aqueducs de Constantinople si magnifiquement bâtis, que quelques-uns ont trois étages de 60 arcades de long chacun. Du Loir, p. 73, 74.

Le Bosphore Cimmérien, Bosphorus Cimmerius, est ce que nous appelons aujourd’hui détroit de Kapha, ou de Kiderleri, du nom de deux villes qui sont dessus. On le nomma Cimmérien à cause des Cimmériens, peuples qui n’en étoient pas loin, ainsi que l’assure Denis le Géographe, v. 167 & suiv. Il séparoit la Chersonnèse Taurique du côté d’Europe, & de la Sarmatie du côté d’Asie, c’est-à-dire, qu’il étoit entre ce que nous appelons aujourd’hui Tartarie d’un côté, & Circassie de l’autre. Il joignoit le Pont-Euxin au Palus Méotides. Voy. Pompon. Mela, L. I, C. 1. Hésychius l’appelle Bosphore Scythique. Le Bosphore Cimmérien, appelé autrement la Chersonnèse Taurique, reçut pour Roi, de la part d’Auguste, Polémon Roi du Pont. Till.

Le mot Bosphore est grec, formé, selon quelques-uns, de βοῦς, bœuf & φερω, je porte, ou, selon d’autres, de βοῦς, bœuf & πόρος, passage ; d’où vient que, selon ceux-ci, il faudroit dire Bospore. Et il n’est point extraordinaire qu’un π se change en φ, c’est-à-dire, un p en ph. Si l’on convient de l’étymologie de ce nom, on ne convient pas de la raison pour laquelle il a été donné au Bosphore de Thrace. Les uns disent qu’Io, fille d’Inachus, ayant été changée en vache par Junon, passa ce détroit, qui de-là fut nommé Bosphore. C’est le sentiment d’Apollodore, L. II ; de l’Interprète d’Apollonius, de Pline, L. II, c. 1 ; de Denis le Géographe, v. 140 ; d’Eschyle dans son Promethée ; de Valer. Flaccus, L. IV, v. 344 ; de Nonnus, L. III ; de Callimaque, de Polybe, de l’alæphatus dans Ion, de Tzerzès, Chil. I, hist. 31 ; d’Amm. Marcellin, L. XXII ; & de cent autres, sur-tout parmi les Poëtes. Arrien dit que les Phrygiens ayant reçu une réponse de l’oracle qui leur ordonnoit de suivre la route que leur marqueroit un bœuf, ils en agiterent un qui se jeta à la mer pour éviter leurs poursuites, & passa ce détroit à la nage. Denis de Byzance dit qu’un bœuf tourmenté d’un taon se jeta dans le détroit & le passa. D’autres disent que tout détroit étoit autrefois appelé Bosphore. D’autres disent que quand les habitans des côtes vouloient le passer, ils joignoient des bateaux ensemble, & y atteloient des bœufs. Nymphius raconte, sur le témoignage d’Accarion, que les Phrygiens voulant passer ce détroit, construisirent un navire, à la proue duquel il y avoit une figure de tête de bœuf, & qui apparement pour cela fut appelé βοῦς, bœuf. Jean d’Antioche dit que Byzas, fondateur de Byzance, jeta un bœuf dans ce détroit, & qu’il le passa à la nage. Ephorus dit que ce nom vient du taureau, que le Roi de Phénicie envoya à Inachus pour Io, que les Phéniciens avoient ravie. Quelques-uns même, au rapport de Lloyd & d’Hoffman, ont cru que ce nom venoit du vaisseau qui porta Phryxus dans la Colchide, & qui se nommoit belier, & non pas bœuf. Pline dit qu’on appelle Bosphore cet espace de mer, parce qu’il est si étroit, que des bœufs peuvent aisément le passer : en effet on entend d’un bord de la mer à l’autre les hommes parler, les oiseaux chanter, les chiens aboyer. P. Gyllius a composé trois livres du Bosphore de Thrace.

Je ne trouve rien sur l’origine du nom de Bosphore Cimmérien : peut être n’a-t-il été ainsi appelé qu’à cause de la ressemblance au Bosphore de Thrace, c’est-à-dire, parce que c’est un canal fort étroit. De ce Bosphore le port de Constantinople fut appelé βοσφόριον, & puis par corruption, φωσφόριον, & προσφόριον, Voyez Lambecius sur Codin, n. 119.