Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BONNET

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 963-965).
BONNETADE  ►

BONNET. s. m. Habillement qui sert à couvrir la tête, & qui en a quelquefois la figure. Pileus, pileum. Bonnet d’enfant. Bonnet à l’Angloise. Bonnet de femme. Il y a des bonnets de plume, des bonnets ronds, des bonnets de fer, ou salades. On voit fur diverses médailles des bonnets à la Phrygienne.

C’est dans l’entrée de Charles VII à Rouen, le 10 de Novembre 1449, ou du moins sous ce règne, qu’on commença à voir en France l’usage des chapeaux, & des bonnets, qui s’y introduisit depuis peu-à-peu à la place des chaperons, desquels on s’étoit fervi de tout temps. P. Dan. Tom. II, p. 1204. M. Le Gendre, dans les Mœurs & Coût. des Fr. page 234, remonte plus haut. On commença, dit-il, sous Charles V, à abattre sur les épaules l’aumusse & le chaperon, & à se couvrir d’un bonnet ; si ce bonnet étoit de velours, on l’appeloit mortier ; s’il n’étoit que de laine, on le nommoit simplement bonnet. L’un étoit galonné, l’autre n’avoit pour ornement que des cornes peu élevées, par l’une desquelles on le prenoit. Il n’y avoit que le Roi, les Princes & les Chevaliers qui se servissent de mortier : le bonnet étoit la coiffure du Clergé & des Gradués : le mortier fut peu à la mode : les bonnets y ont toujours été, avec cette différence, qu’autrefois ils étoient de laine, & que depuis environ cent ans, on ne les fait plus que de carte, que l’on couvre de drap ou de serge.

Ménage dérive ce mot de l’anglois bonnet, ou de l’allemand bonnit. Le P. Pezron prétend que bonnet est un mot celtique. Pasquier dit qu’il est venu par corruption de bourrelet, parce que les chaperons, qui étoient autrefois la couverture de la tête, que les gens de robe ont quitté les derniers, étoient environnés d’un bourrelet rond qui couvroit la tête ; & le surplus pendoit d’un côté & d’autre : & comme il étoit inutile, on l’a retranché pour en faire des bonnets ronds, que depuis on a changés en bonnets carrés, de l’invention d’un nommé Patrouillet. Ils furent aussi appelés bonnets à quatre brayettes. On appeloit aussi Bifurcati Canonici les Chanoines qui portoient des bonnets carrés. Il dit aussi, que quand on a donné le bonnet dans les Universités aux écoliers, c’étoit pour montrer qu’ils avoient acquis toute liberté, & n’étoient plus sujets à la verge des Supérieurs, à l’imitation des Romains, qui donnoient un bonnet à leurs esclaves, quand ils les vouloient affranchir. C’est aussi pour cela qu’on les appelle maîtres.

Le bonnet sur les médailles est le symbole de la liberté. Elle le tient de la main droite, par la pointe, & il a la forme de ceux que portent nos matelots. Voyez les Antiq. de Nismes, de Paradin, p. 177. Les esclaves, à qui l’on donnoit la liberté, prenoient ce bonnet ; d’où venoit le proverbe, vocare servos ad pileum. Voyez Erasme, Adag. Cent. I, n. 27. Aulu-Gelle, L. VII, c. 4, & Budé sur la dernière Loi, ff. De Orig. Jurisdict.

Quoiqu’on ait mis dans la définition de bonnet, qu’il a à peu près la figure de la tête, cela n’empêche pas qu’on ne donne ce nom à des habillemens de tête qui n’en ont guère la figure. Tel est celui des Chinois. Ils n’ont point l’usage du chapeau comme nous, mais ils portent un bonnet, que la civilité leur défend d’ôter. Ce bonnet est différent, selon les différentes saisons de l’année ; celui dont on use en été a la forme d’un cône, c’est-à-dire, qu’il est rond & large par le bas, mais court & étroit par le haut, où il se termine tout-à-fait en pointe. Le dedans est doublé d’un beau satin, & le dessus couvert d’une natte très-fine, & très-estimée dans le pays. Outre cela on y ajoute un gros flocon de soie rouge qui tombe tout à l’entour, & qui se répand jusques sur les bords ; de sorte que quand on marche, cette soie flotte irrégulièrement de tous côtés, & le mouvement continuel de la tête lui donne un agrément particulier. Quelquefois au lieu de soie, on porte une espèce de crain d’un rouge vif & éclattant, que la pluie n’efface point ; & qui est sur-tout en usage parmi les cavaliers. En hiver on porte un bonnet de peluche, bordé de zibeline, ou de peau de renard ; le reste est d’un beau satin noir, ou violet, couvert d’un gros flocon de soie rouge comme celui d’été. Il n’y a rien de plus propre que ces bonnets ; on les vend quelquefois huit & dix écus ; mais ils sont si courts, que les oreilles paroissent toujours découvertes, ce qui est très-incommode au soleil & dans les voyages. Quand les Mandarins se trouvent en cérémonie, le haut du bonnet est terminé par un diamant, ou par quelqu’autre pierre de riz assez mal taillée, mais enchâssée dans un bouton d’or très-bien travaillé. Les autres ont un gros bouton d’étoffe, de cristal, d’agate, ou de quelque autre matière que ce soit. P. le Comte.

Bonnet, est quelquefois un ornement, une marque de quelque caractère. Un bonnet rouge est un chapeau de Cardinal. Un bonnet de Docteur, est un bonnet qu’on donne à ceux qui reçoivent le Doctorat. Les Docteurs vont toujours en robe & en bonnet aux cérémonies.

On dit, prendre le bonnet de Docteur. Et absolument ; prendre le bonnet, pour dire, se faire recevoir Docteur. Et donner le bonnet à quelqu’un, pour dire, lui mettre le bonnet de Docteur sur la tête. Acad. Fr.

Bonnet Quarré, ou Carré, est le bonnet que portent les gens d’Eglise, les gens de Justice, & les gens de Collège, qui sont Gradués. Pileus quadratus, où si l’on veut se servir de l’expression de Wiclef, pileus bifurcatus ; car cet Hérésiarque, dans son Trialogue, art. 10, appelle les Chanoines bifurcati, à cause de leurs bonnets carrés. Pasquier & du Vair racontent le changement qui est arrivé dans la forme de ces bonnets. Il dit qu’on les appeloit bonnets ronds de son temps, quoiqu’ils fussent carrés. Ils disent qu’à ces bonnets, qui étoient ronds, on commença de donner je ne sais quelle forme de quadrature grossière & lourde, qui fut cause qu’on les appeloit bonnets à quatre brayettes ; que le premier qui y donna la façon fut un nommé Patrouillet, lequel se fit riche Bonnetier aux dépens de cette nouveauté.

Le P. Lobinaeau, dans l’Histoire de Bret. T. I, page 845, prétend qu’au XIIIe siècle, & même plus de deux cens ans auparavant, l’usage étoit en Bretagne parmi les Ecclésiastiques, sur-tout parmi les Chanoines, de porter de certains chapeaux, qui étoient comme des bonnets, & que c’est de-là que sont venus les bonnets carrés des Ecclésiastiques, qui, ajoute-t-il, tout de même que les mitres, ont crû peu-à-peu jusqu’à l’énorme figure qu’on leur donne à présent.

Les bonnets étoient en usage dans le Clergé dès le neuvième siècle. Ce n’étoit d’abord qu’un petit bonnet en forme de calotte, que l’on portoit sur le capuchon de la chappe, ou autre habillement de tête. On les fit ensuite plus larges en haut qu’en bas. La coutume vint après de les faire encore plus amples, mais ronds & plats, presqu’en la manière de ceux que portent aujourd’hui les Novices des Jésuites, & qu’ils appellent birettes. On leur donna, il y a près de 300 ans, la figure carrée, & ils étoient tissus de laine, & avoient quatre espèces de cornes, qui paroissoient néanmoins fort peu au-dessus. Ceux qui sont de carte couverte d’étoffe, & tous carrés, comme on les porte aujourd’hui, sont d’une invention assez moderne. P. Hélyot, T. III, p. 25.

Bonnet, est quelquefois une marque d’infamie. Le bonnet jaune est la marque des Juifs en Italie : à Luques ils le portent orangé. Le bonnet vert étoit la marque de ceux qui avoient fait cession.

Et que d’un bonnet vert le salutaire affront
Flétrisse les lauriers qui lui couvrent le front.

Boileau.

Autrefois ceux qui avoient fait cession de leurs biens, étoient obligés de porter un bonnet vert, pour être connus de tout le monde, afin qu’on ne pût être trompé dans le commerce que l’on avoit avec eux. Il y a un Arrêt du Parlement de Rouen, du 15 Mars 1584, & un du Parlement de Paris, du 26 Juin 1682, par lesquels il est jugé que ceux qui seront reçus au bénéfice de cession, après avoir justifié la perte de leurs biens dans fraude, seroient tenus de porter le bonnet vert, & que s’ils étoient trouvés ne l’ayant pas, ils seroient déboutés du bénéfice de cession, permis à leurs créanciers de les emprisonner, en leur fournissant un bonnet par an à leurs dépens. Par Arrêt du 10 Mai 1622 un Gentilhomme qui a fait cession de biens, doit porter le bonnet vert. Par un Arrêt du 1 Décembre 1628, un cessionnaire de biens fut condamné à porter le bonnet vert continuellement, sans distinction de jours de fêtes, mais aujourd’hui cela n’est pas exécuté. Bruneau.

☞ Il y a pourtant encore des endroits dans le Royaume, à Bordeaux par exemple, où suivant l’ancien usage, un cessionnaire est obligé de porter le bonnet vert sur la tête en tout temps. Dans presque tous les autres endroits, suivant l’usage qui s’est introduit, il suffit qu’ils le portent sur eux, en sorte qu’ils puissent le montrer & le mettre sur leur tête, en cas qu’ils en soient requis par quelqu’un de leurs créanciers. Ferr.

Cet usage du bonnet vert n’a été introduit en France par aucunes Ordonnances, mais par les Arrêts des Cours Supérieures. Ragueau.

Etienne Guichard dit que de βουνὸς, colline, bonnet a été formé en françois, pileus nocturnus ; comme aussi, continue-t-il, turban a été dit à turbinis figurâ, & plusieurs semblables mots, qui retiennent le nom de leur figure.

On dit figurément, qu’une question passe du bonnet, qu’on opine du bonnet, lorsque tout le monde est de même avis, ou qu’on opine sans raisonner, & selon le sentiment de ceux qui ont déjà opiné.

Bonnet, se dit généralement dans les Arts, de ce qui couvre la partie supérieure & sphérique d’un instrument, d’une machine.

Bonnet de Turquie. Terme de Pâtissier. On donne ce nom à une pièce de pâtisserie qui a la figure d’un turban.

Bonnet à la Polonoise. C’est un bonnet fort long, & presque de même largeur depuis l’ouverture jusqu’au bout : ce bout est émoussé & tant soit peu courbé. Quelques Bontanistes se servent de ce terme pour exprimer la figure de la partie supérieure de la fleur de l’aconit appelé Tue-loup.

Bonnet à Prêtre, en terme de guerre, est un dehors ou piece détachée qui a deux angles rentrans, & trois saillans, qui est presque comme une double tenaille ; si ce n’est que ces côtés sont en queue d’aronde, au lieu d’être parallèles, & occupent moins de terrain en dedans, c’est-à-dire, vers la gorge, qu’ils n’en occupent du côté de la campagne.

Bonnet de Prêtre, se dit en Botanique d’une plante qui porte un petit fruit rouge, carré, & en forme de bonnet de Prêtre. On l’appelle autrement fusain. Voyez ce mot.

Bonnet de Neptune. Terme d’Histoire Naturelle. Espèce de champignon de mer. Neptuni pileus. Ce champignon a cinq pouces & demi de hauteur, sur spt pouces de large à sa base, qui s’éleve insensiblement, & s’arrondit enfin en manière de calotte ou de dôme feuilleté en dehors par bouquets, dont les lames sont coupées en crête de coq, & qui représente en quelque manière une tête naissante & moutonnée. Sa structure intérieure est différente : il est cannelé légérement, & parsemé de petits grains, & de quelques pointes obtuses, dont la plus longue n’a pas plus d’une igne de long. Tournefort, Acad. 1700, Mém. pag. 31. On trouve quelques bonnets de Neptune, mais rarement, qui ont un petit pédicule qui les soutient. Ce pédicule est fort cassant ; cependant il est à croire que dans leur naissance ils étoient attachés au fond de la mer par quelque chose de semblable, & suivant toutes les apparences, lorsquils n’ont plus de pédicules, ils se nourrissent par le secours de quelque suc que l’eau de la mer où ils trempent, laisse insinuer dans leurs pores. Id. p. 32.

Bonnet, est aussi le nom du second ventricule du bœuf, & des autres animaux qui ruminent, qu’on appelle autrement réseau. Reticulum. C’est où les aliments tombent quand ils ont ruminé, pour y faire une seconde digestion, & de-là passer dans le troisième ventricule ; qu’on appelle le millet. Il a été nommé bonnet, parce qu’il ressemble au bonnet de lacis, dans lequel les femmes autrefois enfermoient leurs cheveux.

Bonnet d’Hippocrate. Terme de Chirurgie. Espèce de bandage pour la tête, ou de capeline à deux chefs pour les écartemens des futures. Voyez le Dict. de M. Col de Villars.

Bonnet. Terme de filoux au jeu. Les filoux ont donné ce nom à la somme qu’ils gagnent à ceux qu’ils dupent. Ils disent : j’ai donné un bonnet de 400 pistoles à ce Provincial ; c’est-à-dire, qu’ils lui ont filouté 400 pistoles. Ce terme vient du mot de Bonneteur, qui signifie filou au jeu, à la différence des autres filoux qui fouillent dans les poches.

Bonnet. Terme de Perruquier. On appelle ainsi une perruque courte qui descend à peine jusqu’aux épaules, & telle à-peu-près que les Abbés les portent. Les bonnets sont fort à la mode aujourd’hui, é il y a lieu de croire que cette mode durera, à cause de sa grande commodité.

On dit proverbialement, triste comme un bonnet de nuit sans coiffe, à cause qu’un bonnet en cet état est sans ornemens & sans propreté. On dit, mettre la main au bonnet ; pour dire, saluer quelqu’un, à cause que les enfans qui ont leur bonnet qui est attaché, saluent ainsi. On dit aussi de trois personnes liées de grande amitié, & qui sont toujours de même sentiment, que ce sont trois têtes dans un bonnet. On dit aussi, que Janvier a trois bonnets ; pour dire, qu’il se faut bien couvrir la tête durant le froid. On dit qu’un homme a mis son bonnet de travers, pour dire, qu’il a pris de l’humeur, & qu’il querelle tout le monde. On dit encore, bonnet blanc, ou blanc bonnet ; pour dire, que deux choses sont égales, & qu’on peut prendre indifféremment l’une pour l’autre. On dit qu’un homme a la tête près du bonnet, pour dire, qu’il est aisé à mettre en colère, à s’emporter. On dit, j’y mettrois mon bonnet ; pour dire, je gagerois ce que j’ai de plus précieux, ce qui m’est le plus nécessaire. On dit encore, qu’un homme a pris une chose sous son bonnet ; pour dire, que c’est une chose qu’il a imaginée, & qui n’a point de fondement.

On dit : il y a plus sous son bonnet qu’il ne paroît ; pour dire, qu’une personne a plus d’esprit ou de malice qu’elle ne paroît en avoir.