Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BOITEUX

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 951).
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BOITEUX, EUSE. adj. qu’on emploie aussi substantivement. Celui ou celle qui boite. Claudus. Il est presque guéri de sa goutte, il n’est plus qu’un peu boiteux. Lorsqu’on présenta à un Picard un fille qui demandoit à l’épouser pour le tirer de la potence, s’étant apperçu qu’elle étoit boiteuse, il dit au bourreau, fais ton devoir. Mont. Rochef. C’est un boiteux, une boiteuse.

Boiteux, se dit aussi figurément d’un esprit mal fait, qui juge de travers. Ingenium distortum. C’est une esprit boiteux. Pasc.

En termes de Manege, on appelle un cheval boiteux de l’oreille, ou de la bride, quand par ses mouvemens de tête il marque tous les pas qu’il fait en boitant.

En musique, contrepoint boiteux, ou à la boiteuse, se dit, parce que comme on est obligé de mettre toujours & dans chaque mesure contre le sujet donné une blanche entre deux noires ; quand on vient à exécuter ce contrepoint, il semble que ces fréquentes syncopes faisant sautiller la voix, la fassent marcher en chancellant & en boitant. Brossard.

Boiteux, chez les Rubaniers-Tissutiers, se dit lorsqu’un dernier retour n’a pas autant de marches que les autres. On appelle celui-ci ruban boiteux. Encyc.

☞ Ils appellent aussi ruban boiteux, ce qui se trouve d’une couleur à un bord, & d’une autre couleur à l’autre bord.

Le boiteux, dans la science hermétique, signifie Vulcain, le feu ou la chaleur de la nature.

On dit proverbialement en matière de nouvelles, qu’il faut attendre le boiteux ; pour dire, qu’il en faut attendre la confirmation, avant que de les croire. Cette expression, il faut attendre le boiteux, vient de ce que le temps semble être boiteux, & marcher lentement à tous ceux qui sont dans l’attente de quelque chose. ☞ Attendre le boiteux : ancienne façon de parler, dit Voltaire, dans ses remarques sur la suite du menteur, qui signifie le temps ; parce que les anciens figuroient le temps sous l’emblème d’un vieillard boiteux qui avoit des ailes, pour faire voir que le mal arrive trop vîte, & le bien trop lentement. On dit, qu’il ne faut pas clocher devant les boiteux ; pour dire, qu’il ne faut pas se moquer des défauts naturels de son prochain. On dit aussi que les boiteux sont de bons mâles & vigoureux en amour. Ce proverbe vient d’une réponse que firent les Amazones pour se moquer des Scythes, qui leur vouloient persuader de se rendre à eux, en leur disant qu’elles ne seroient plus caressées par des boiteux, comme étoient tous les mâles de ce pays-là, à cause qu’elles leur tordoient les jambes en naissant, afin de demeurer toujours les maîtresses. Cette réponse passa d’abord en proverbe chez les Grecs & chez les autres nations. On dit que les boiteux sont marqués au B. Voyez B.

Etienne Guichard dérive ce mot de l’hébreu לבט, labat, qui signifie, selon lui, perverti, impingere, offendi, ruere cædere, festinare, accelerare, claudicare ; & selon ces significations, dit-il, de labat, labor peut être formé en latin, & omettant la première radicale, de bat, boiteux en françois. Il est vrai que R. David Kimhhi, dans son Dictionnaire hébraïque, rapporte que son père R. Joseph Kimhhi, dans son Commentaire sur les Proverbes, l’interprétoit festinare, se hâter, & claudicare, boiter ; interprétations qu’il tiroit de la langue arabique, où nous trouvons en effet des vestiges des deux significations. Ainsi les Maures pourroient nous avoir apporté ce nom ; mais cela est bien incertain.