Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BOIRE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 941-942).
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BOIRE. v. act. Avaler quelque liquer pour étancher sa soif, pour se rafraîchir, pour se purger, ou pour le simple plaisir. Bibere. Ainsi on dit, boire à sa soif ; ne boire que quand on en a effectivement besoin. Boire frais, boire à la glace, boire pour se raffraîchir. Boire, avaler une médecine. Boire à l’allemande. Boire à tire larigot. Voyez Larigot. Boire d’autant. Boire copieusement. Boire tout pur. Boire comme un trou. Boire à longs traits, des rasades, des rouges bords ; pour dire, boire en débauché, & pour s’enivrer. Il y a des animaux qui sont long-temps sans boire, comme le chameau. L’Auteur de l’Histoire des Antilles, assure que les cochons des Caraïbes boivent peu, ou point du tout ; que les chèvres ne boivent qu’une fois la semaine ; les civette qu’une fois le mois; & que les vaches sont six mois sans boire. Montague dit dans ses Essais, Liv. III, ch. 13, qu’un Gentilhomme de sa connoissance avoit fait le trajet de Madrid à Lisbonne en été, sans boire. Les Chinois tiennent pour un grand régal de boire chaud : & leur boisson qui est le thé, & le vin de ris, est toujours sur le feu dans quelque vaisseau proche la table.

On dit absolument dans ce sens, qu’un homme est sujet à boire, ou qu’il boit ; pour dire, qu’il est sujet à s’enivrer : & qu’il boit bien, pour dire, qu’il porte bien son vin : qu’il boit sec, qu’il boit jusqu’à la dernière goutte. Charlemagne, Liv. III, ch. 33 de ses Ordonn. fait défense aux soldats de boire les uns aux autres, à cause des querelles qui naissent de la débauche. Boire à la santé, est une cérémonie de buveur, qui se fait en saluant quelqu’un, lorsqu’on veut boire pour lui faire honneur : & porter une santé, inviter un autre d’en faire autant. Propinare alicui. On trouve dans une gazette : les santés de leurs Majestés furent bues & répondues. Boire à la ronde, c’est boire la santé de toute la compagnie l’un après l’autre. Boire les inclinations, c’est recommencer à boire les santés des mêmes personnes. Crier le Roi boit, cérémonie qui est en usage dans toute l’Europe, ☞ cri de réjouissance parmi ceux qui mangent ensemble le jour des Rois, après avoir fait un Roi d ela fève. On crie le Roi boit, la Reine boit, toutes les fois que le Roi ou la Reine de la fève boivent.

Boire ensemble, est aussi un témoignage d’amitié, qui se fait en se donnant l’un à l’autre quelque repas. Compotare. Il l’est aussi de réconciliation : car quand on veut raccommoder des gens brouillés, on dit qu’on les fera boire ensemble. Dès le dixième siècle boire ensemble, étoit en Bretagne une clause des contrats & des traités entre particuliers. Lobineau.

Boire le vin du marché, est aussi une coutume pratiquée parmi le peuple, & sur-tout à la campagne, de ne faire aucun marché sans aller boire ensuite en signe de bonne foi & de réjouissance : & on dit aussi des petits présens qu’on donne aux valets & aux artisans qui ont rendu quelque service, que c’est pour boire, pour se réjouir. Boire bouteille, ou vider bouteille. Voyez Bouteille.

Boire à la régalade ou au galet, c’est verser une liqueur dans la bouche, la tête étant renversée. voyez M. Petit, Mem de l’Acad. des Sc. 1715. Les Indiens boivent à la régalade.

On dit aussi, principalement en Poësie, ceux qui boivent le Gange, le Thermodon ; pour dire, les peuples qui habitent sur les rives de ces fleuves.

On dit de même, que la terre boit, que le papier boit ; & de toutes les autres matières seches & spongieuses, qu’elles boivent, quand elles sont pénétrées de quelque liqueur. Anacréon dit plaisamment, dans sa dix-neuvième ode, la terre boit, les plantes boivent la terre, c’est-à-dire, la suçent, la mer boit l’air, le Soleil boit la mer, la lune boit le soleil ; pourquoi, compagnons, voulez-vous dont m’empêcher de boire ? On dit en Chimie, que les alcalis boivent les acides ; pour dire, qu’ils s’en imbibent, & qu’ils entrent l’un dans l’autre pour faire un corps nouveau.

Boire le calice, se dit aussi figurément, pour dire, souffrir avec patience quelque infortune qu’on ne peut éviter ; faire quelque chose par une force majeure. Haurire calicem. En ce même sens on dit, boire un affront, une injure. Il fallut boire la raillerie, de peur de l’accroître en la défendant. Ablanc. Malheureux que je suis, faut-il que je boive cet affront ? Mol. Le supporter, sans marquer de ressentiment.

☞ On dit poëtiquement, boire le nectar, être assis à la table des Dieux. Boire le Styx, le Cocyte, être mort. Ce verbe est aussi employé dans un sens moral, mais en poësie seulement.

O toi, qui libre enfin d’une pénible course,
Possède du vrai bien l’inépuisable source,

Qui dans un saint repos à jamais établi
Des peines d’ici bas bois l’éternel oubli.

Tout cela veut dire : toi qui est maintenant au ciel, où l’on jouit d’une parfaite félicité.

☞ On appelle chansons à boire, des chansons faites pour être chantées à table, & dans lesquelles on fait l’éloge du vin. Du vin prompt à boire, est du vin qu’on boit dans la primeur, & qui n’est pas de garde. Vinum fugax.

On dit en termes de Lingerie & de Couture, faire boire une étoffe, du linge, du passement ; pour dire, le coudre lâche, & un peu plissé.

On dit au manége, boire la bride, quand le mords remonte trop haut, & se déplace de dessus les barres où se fait l’appui. ☞ Boire dans son blanc, se dit d’un cheval bay, alzan, & qui a le nez tout blanc.

Faire boire, est aussi un terme de Tanneau, qui signifie, faire tremper. Faire boire une peau vingt-quatre heures dans la rivière.

On dit en termes des Eaux & Forêts, qu’une mare, un fossé, ou une chantepleure boit en rivière, quand elle a quelque communication avec elle : ce qui est défendu par l’Ordonnance.

Boire, se dit proverbialement en ces phrases. On ne sauroit si peu boire, qu’on ne s’en sente ; pour dire, que ceux qui boivent un peu trop, disent ou font ordinairement quelque sottise. On dit, à petit manger bien boire ; pour dire, qu’on se récompense sur le vin, quand on n’a pas beaucoup de mets. On dit, qu’on commence matines par tousser, & souper par boire. On dit, qui fait la folie la boit ; pour dire, que chacun doit porter la peine de sa faute. On dit encore, on ne sauroit faire boire un âne s’il n’a soif ; pour dire, qu’on ne peut pas obliger un homme à faire une chose malgré lui. On dit encore, puisqu’il est tiré, il le faut boire ; pour dire, qu’il faut poursuivre les affaires où l’on est engagé. On dit, qu’un homme a bien gagné à boire, tant sérieusement qu’ironiquement, quand il a fait quelque action utile, ou dommageable. On dit aussi, boire en âne, lorsqu’on laisse une partie du vin dans le verre. On dit encore, boire le petit doigt, le petit coup gaillard ; pour dire, faire une petite débauche entre honnêtes gens. On dit, boire comme un Templier, comme un trou ; ou boire en chantre & en sonneur ; pour dire, boire par excès. On dit aussi en voyant un homme ivre, il a plus bu que je ne lui en ai versé. On dit encore, qui bon l’achète, bon le boit ; ☞ ce qui signifie figurément, il ne faut point plaindre l’argent à de bonne marchandise. Boire à deux mains, comme un homme qui vend sa terre.

On dit proverbialement, après grâces Dieu bu, ce qu’on croit venir d’une Indulgence qui fut donnée aux Allemands qui boiroient un coup après avoir dit grâces, pour les obliger par ce moyen à les dire. On dit aussi, il a toute honte bue, il a passé par devant l’huis du Pâtissier, en parlant d’un homme sans honneur, qui se moque de tous les reproches qu’on peut lui faire. Ce proverbe vient de ce que les Pâtissiers tenoient autrefois cabaret sur le derrière de leur logis, où ceux qui avoient quelque pudeur entroient par une porte secrette ; & quand un débauché y entroit par la boutique, ou par le devant, on disoit qu’il avoit toute honte bue.

Boire, est aussi s. m. & signifie boisson, ce qui sert de boisson. Potus. Apprêter le boire & le manger de quelqu’un. On dit d’un homme extraordinairement appliqué à quelque chose, qu’il en perd, qu’il en quitte le boire & le manger.

☞ BU, UE. part. Les Vocabulistes vous apprendront qu’on ne dit pas du bu vin, mais du vin bu.