Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BIÈRE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 896-897).
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BIERE. s. f. Cercueil, espèce de coffre de bois où l’on met un corps mort. Feretrum, sandapila, capulus. La bière est un séjour par trop mélancolique. Moliere.

Ce mot vient de l’Allemand baer, ou baar, signifiant la même chose, d’où les Italiens ont fait bara, & les Anglois beer. Ménage.

BIÈRE. s. f. Espèce de boisson faite d’orge, de froment, d’avoine, ou d’une autre sorte de blé. Cervisia, ou cerevisia. On y ajoute du houblon, pour lui donner le goût du vin ; c’est-à-dire, que lorsque l’orge & le froment ont bouilli, on tire la liqueur de la chaudière, & qu’on le fait passer sur le houblon, qui est dans une espèce de canal à part ; là on laisser pendant un temps la liqueur prendre le goût du houblon. Cette boisson enivre comme le vin, & cette ivresse dure même plus long-temps, à cause que la bière étant plus matérielle, à cause que la bière étant plus matérielle, est plus difficile à digérer que le vin. Marthiole croit que le Zythum & le Curmi des Anciens n’étoient autre chose que la bière dont on use en Allemagne, en Flandre, en France, & en plusieurs autres endroits de l’Europe, & qu’il n’y avoit pas plus de différence entre le Zythum & le Curmi, qu’entre la manière de la faire, qui augmentoit ou diminuoit la propriété de ces breuvages. En effet, ajoute-t-il, quoique toutes les bières se fassent d’orge, ou de froment, ou d’avoine, elles ont pourtant différens goûts, selon qu’elles sont différemment brassées. Les unes sont douces & agréables à boire, & il y en a d’autres qui sont âpres & amères. Les unes sont troubles, & les autres claires. Pour faire la bière, il faut que les Brasseurs donnent au grain un commencement de germination, & qu’ils concentrent ensuite dans le même grain la disposition qu’il avoit à germer, en le séchant. On y ajoute trois fois autant d’autre grain non germé, qui sont ensemble moulus grossièrement. On jette sur le tout de l’eau à demi bouillante, & ensuite de la froide ; & après avoir agité le tout, on le laisse quatre ou cinq jours dans un vaisseau couvert jusqu’à une parfaite fermentation. Quelques-uns y ajoutent de l’ivroie pour irriter davantage le goût. Il faut que la bière soit bien cuite, bien épurée, & qu’elle ne soit point récente & nouvelle lorsqu’on la boit ; autrement elle fermente dans l’estomac, & elle excite des bouillonnemens dans le corps qui nuisent à la santé. Les Anglois, pour la faire plus agréable, jettent dans les tonneaux, après qu’elle est brassée, du sucre, de la cannelle, & des clous de girofle ; les Flamands, du miel & des épices. Dioscoride dit que la vieille bière engendre enfin la lèpre. On sophistique la bière en y jetant de la chaux, pour lui donner plus de force, en y mêlant de la suie au lieu de houblon.

Les anciens Statuts des Brasseurs de Paris de l’an 1292, l’appellent cervoise, & portent que nul n’en peut faire, sinon d’eau, & de grain, c’est à savoir, d’orge de méteil ou de dragée ; c’est-à-dire, de seigne & d’avoine mêlés ensemble, & non point de baie, piment ou poix de résine ; que telles choses ne sont mie bonnes ne loyaux à mettre en cervoise ; car elles sont mauvaises au chief & au corps, aux malades & aux sains. Ils défendent encore de vendre de la bière aigre ou tournée. Les Règlemens de 1630 défendent d’y mettre ivroie, sarasin, ni autre mauvaises matières : les houblons ne doivent point être mouillés, échauffés, moisis ni gâtés.

Levure de bière, est l’écume de la bière qui sort par le bondon. Dans une grande dispute qu’il y eut à Paris en 1668, sur la levure de bière dont se servoient les Boulangers pour levain, Messieurs Pasin, Brayer, Blondel, & Courtois, parlent ainsi de la bière. La bière, dit Cornelius Tacitus, de Morib. Germ. cette triste boisson faite de houblon, d’orge ou de froment corrompu, & d’eau gâtée, souvent même tirée des marres, n’a pas été plutôt inventée, qu’elle a été condamnée par Dioscoride, Galie, & les autres Médecins, & par les hommes les plus éclairés. Tous l’accusent de nuire à la tête, aux nerfs & aux parties membraneuses, d’engendrer un très-mauvais suc, de causer une ivresse plus longue & plus fâcheuse que celle du vin, & tantôt la difficulté, la suppression d’urine, quelquefois aussi la ladrerie. D’autres Médecins la défendirent, & entr’autres Messieurs Perrault & Raissant, qui disent, entr’autres choses dans leurs avis : le bruit que la bière a d’être faite avec de l’arsenic, n’est fondé que sur une équivoque de la langue Flamande, dans laquelle Batten Bruick signifie tout ensemble la nourriture & le poison des rats ; c’est-à-dire, le grain dont on fait la bière, que les rats aiment, & l’arsenic qui les tue. Le houblon aussi n’est point une plante malfaisante ; au contraire, tous les Médecins le louent de la propriété qu’il a de purifier le sang, & d’ôter les obstructions ; c’est pourquoi il a été ajouté à la bière, pour corriger les vices dont on accusoit celle des anciens, qui étoit différente de la nôtre, parce qu’elle étoit sans houblon.

Dans les Coutumes de Flandre, on appelle ban de bière, un impôt qu’on leve sur la bière, ou bierbank, qui signifie aussi taverne.

Bière. On appelle bière de Mars, la bière brassée dans le mois de Mars. Acad. Fr.

On dit proverbialement d’un portail mal fait ou ridicule, que c’est une enseigne à bière. Les ivrognes disent aussi qu’ils ne veulent point mettre leurs corps en bière ; pour dire, boire de la bière au lieu de vin.

Ce mot vient de l’allemand bier, signifiant la même chose, que Vossius dérive du latin bibere. Plusieurs autres le dérivent de l’hébreu bar, qui signifie blé dont on le fait ; d’autre de bion, dont Pline fait mention en parlant de breuvage. Le P. Pezron dit que bière, est un mot celtique, dont vient l’allemand berie ou berrie, non pas bier.