Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BARDES

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 762-763).

BARDES. s. m. pl. Parmi les anciens Gaulois, c’étoient les Chantres, ou Musiciens & Poètes, ou faiseurs de romans, qui chantoient les louanges des Héros. Bardi. Leurs poësies servoient ou à enseigner la vertu, ou quelquefois à encourager, & quelquefois aussi à terminer le différent des armées au moment qu’elles alloient combattre. D’autres Savans qu’on appeloit Vates, nom que les Latins semblent avoir emprunté des Gaulois, étoient occupés des auspices des augures, & des autres espèces de divination. De Remy, Hist. litt. de la France. On a conservé dans la Bretagne beaucoup de mots anciens gaulois. On y appelle encore aujourd’hui Bardes, les joueurs de vièle & de violon, qui vont chanter par les villages. Merc. Dec. 1735. Barde, selon Festus, Hesychius & Strabon, est un chanteur en gaulois. Ils chantoient, dit Feftus, les louanges des grands hommes. M. le Gendre ajoute qu’ils les chantoient au son des musettes ; Strabon, qu’ils étoient aussi poëtes, Βάρδοι μὲν ὑμνηταὶ καὶ ποιηταὶ ; & Lucain dit que leurs vers transmettent la mémoire des grands hommes à la postérité.

Ces divins enchanteurs, de qui les puissans charmes
font revivre un héros abattu sous les armes,
Qui transmettent sa gloire à la postérité,
Et trouvent dans sa mort son immortalité :
Les Bardes entonnant leurs cantiques célèbres,
Rappellent leurs guerriers du milieu des ténèbres.

Brebeuf.

C’est de-là, dit M. le Gendre, dans les Mœurs & Cout. des Fr. p. 262, que venoit la Coutume, qui étoit encore en usage au commencement de la troisième race, de ne point donner de combat que dix ou douze grosses voix n’eussent chanté de toutes leurs forces la chanson dite de Rolland, afin d’animer les troupes par le récit des hauts faits d’armes de ce Héros. Chorier prétend que c’est la terre des Allobroges qui leur a été ouverte presque la première ; que c’est là où ils ont commencé à s’établir, et d’où enfin ils se sont répandus dans toutes les Gaules. Il le prouve, parce qu’encore aujourd’hui les peuples qui habitent à l’occident du Rhône, nomment Bardouz ceux qui habitent au-delà, le long de son rivage oriental qui leur est opposé. C’est croire bien légèrement, que de se rendre à cette preuve. Bardouz n’auroit-il point une origine moins avantageuse ? Il y avoit aussi des Bardes dans l’île de la Grande-Bretagne. Ils étoient, à ce que prétend Larrey, ce qu’étoient les Druides dans les Gaules ; c’est-à-dire, les Prêtres & les Docteurs des Celtes qui s’y établirent. Bodin, dans sa méthode, p. 365, remarque aussi qu’ils étoient Prêtres dans les Gaules ; sa raison est qu’en allemand Barde signifie Prêtre. Cependant les Bardes paroissent fort différens des Druides. Ceux-ci étoient les Prêtres & les Docteurs de la nation, & ceux-là en étoient seulement les Poëtes & les Ecrivains. Jamais les Anciens, qui en ont parlé, ne leur donnent d’autre qualité. On peut voir Posidonius dans Athénée, Liv. VI. Diodore de Sicile, Liv. V. Ammien Marcellin, Liv. XV, ch. 9. Feltus & Hésychius sur ce mot. La raison de Bodin est très-foible ; car sans que les Bardes fussent Prêtres, on a pu dans la suite donner leur nom aux Prêtres, parce que sans être sacrificateurs, ils étoient cependant ministres de la religion. Larrey ajoute, en copiant à son ordinaire les histoires fabuleuses, que les Bardes étoient comme les Druides, la postérité de Samothès fils de Japheth. D’autres les font venir de Bardus, Druide, Ve Roi des Celtes, que quelques-uns font fils de Dyris, & non pas Denys, comme a mis Larrey. Voyez Picard dans sa Celtopédie, p. 72, 73, où il dit que ce Barde l’ancien (car il y en eut un autre qui ne fut que le VIIe Roi des Gaulois) institua une Académie de Poëtes, de Musiciens, de Rhéteurs. On prétend avec plus de fondement que Larrey, que Druide étoit un nom général, qui comprenoit les Vaceres, ou Prêtres, les Eubages ou Augures, les Sarronides, qui étoient les Juges du peuple, & les instructeurs de la jeunesse, & les Bardes ou Poëtes. On croit que les Bardes demeuroient sur une montagne de l’Aunois en Bourgogne, appelée Mont-Bart, ou Montbarri, & que c’est d’eux qu’elle a pris ce nom.

Pasquier, qui écrit Bardées, sans qu’on en voie la raison, dit que des Bardées & des Druides, qui manioient & la théologie & la philosophie des Gaulois, la philosophie avoir pris sa première source & origine ; & les autres, que les Grecs même avoient emprunté d’eux leurs caractères. Il ajoute qu’une chose lui déplaît en eux, c’est qu’ils n’aient rien écrit, donnant leurs secrets de main seulement, dont, dit-il, les Grecs & puis les Romains surent fort bien faire leur profit à nos dépens.

Cluvier, Germ. Ant. Lib. I, pag. 199, donne encore aux Bardes le titre d’Orateurs, & il prétend que les anciens Germains avoient aussi leurs Druides & leurs Bardes, quoique les anciens n’en disent rien. Il se fonde sur ce que Tacite, De Morib. Germ. & Annal. II, parle de leurs poësies, & des chansons qui contenoient leurs histoires,

Bochart dit que ce mot vient de l’hébreu parat, qui signifie chanter. Chorier souscrit à cette étymologie de Bochard. Cambden dit en son Britannia, p. 14, que Barde signifie Chantre, comme nous l’apprend Festus, & que c’est un ancien mot breton tout pur. Picard, dans sa Celtopédie, p. 72, 73, prétend que cette étymologie est suspecte à quelques gens, qui croient que ce mot est grec ; qu’il est certain dans César, que les Gaulois ont parlé grec ; que βραδὺς, & par métathèse βαρδὺς, signifioit originairement un homme ingénieux, un sage ; & que c’est de-là que s’est formé Bardus ; qu’à la vérité ce mot dans la suite a pris une signification toute contraire, & s’est dit pour pesant, stupide ; mais que c’est un changement qui est arrivé à bien d’autres mots, & qui ne prouve pas que la première signification de ce mot n’a point été celle que ces Auteurs soutiennent. Mais il paroît qu’il vaut mieux s’en tenir à ce que disent Festus, Strabon & Hésychius. Il conjecture encore, p. 169, que l’habit des Bardes étoit le Bardocucullus, que tout le monde convient être un mot gaulois, & que quelques-uns disent avoir été un habillement de tête, qui avoit beaucoup de poil ; & d’autres, une robe ou habit dont les soldats & les gens de la campagne se servoient pendant la pluie.

Les chansons de ces Poëtes avoient aussi le nom de Bardes, comme les Poëtes mêmes, au rapport d’Athénée. Chorier. Selon le P. Pezron Barde est un mot pris des Celtes, qui disent bardd, pour signifier un Poëte : il veut dire aussi un devin. Barddoueg est chez eux la même chose que poesis, carmen, poësie, poëme.

Bardes, s’est dit aussi d’une compagnie de Banquiers Florentins établis autrefois en Dauphiné, sous le nom de la Compagnie des Bardes. Chorier, p. 815.