Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BAISE-MAIN

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 710-711).
◄  BAIS
BAISEMENT  ►

BAISE-MAIN. s. m. Offrande qu’on fait à un Curé en allant baiser la paix. Donarium. Les Curés de Paris n’on que le baise-main, qui vaut mieux que les dîmes des Curés de la campagne. Cette expression vient de ce qu’autrefois, en se présentant à l’offrande, on baisoit la main du Célébrant. C’est en cette seule occasion, que le mot de baise-main a un singulier. Vaug.

L’Académie dit que ce terme n’a présentement d’usage au singulier qu’en matière féodale, & qu’il se dit de l’hommage que le vassal rend au Seigneur de fief, en lui baisant la main. Il ne doit que le baise-main.

☞ BAISE-MAINS, au pluriel, se dit pour complimens, recommandation. Officiosa verba. Faire ses baise-mains à quelque’un. Mes baise-mains à un tel, s’il vous plaît. Salutem à me dic plurimam. Vos baise-mains ont été bien reçus, agréés.

On a aussi appelé baise-mains, certains deniers d’entrée qu’on donnoit au Seigneur foncier, quand il faisoit quelque arrentement : ce qu’on appelle aujourd’hui Pot de vin.

On appelle encore baise-main à Constantinople, l’audience que le Grand-Seigneur donne aux Ambassadeurs ; parce qu’autrefois les Ambassadeurs baisoient la main à ce Prince avant qu’un Croate, à ce que rapporte Busbequius dans sa première lettre ; sous prétexte de vouloir parler, eût tué Amurar, pour venger la mort d’un Despote de Servie, nommé Maro, qui étoit son Maître ; depuis on ne lui baisoit plus qu’une longue manche de sa veste faite exprès ; & MM. de Césy & De Marcheville ont encore eu cet honneur ; mais aujourd’hui les Ambassadeurs ne lui dont la révérence que de loin, comme les autres de leur suite. Du Loir, pag. 88. Busbequius, dans sa première lettre, ne dit pas que l’attentat de ce Croate ait été cause de ce qu’on ne baise plus la main du Grand-Seigneur, mais que ce que les Tchaoux tiennent l’Ambassadeur par le bras.

On dit proverbialement au féminin, qu’un homme est venu à belle baise-mains faire ou demander quelque chose ; pour dire, qu’il a été contraint par la nécessité de venir faire des soumissions pour l’obtenir. Cette façon de parler est du style simple & familier ; il n’y a qu’en cette phrase consacrée, que le mot de baise-main est féminin.

On dit encore proverbialement, jamais tant de baise-mains & si peu d’offrandes. Voici ce que Pierre de S. Julien dit de ce proverbe, dans ses Ant. des Bourguignons, p. 132. Depuis que les Rois ont permis être appelés Majestés servis à tête nue, & à baise-mains : non tant seulement les Princes, mais aussi les Gentilshommes à simple semelle, les Nobles de bas alloi, les Dames mal damnées, & Damoiselles de trois leçons, ont voulus être servis à la royale. Donc est advenu que nous autres pauvres gens d’Eglise avons appris à dire, qu’on ne vied jamais tant de baise-mains & si peu d’offrandes.

Guevara blâme l’usage es baise-mains, estimant qu’il est contre la bienséance de baiser une chose qui est quelquefois employée à de si sales usages. Cette pensée est bien extraordinaire. L’usage décide contre cet Auteur, & la coutume des baise-mains est autorisée par tous les Anciens, qui ont toujours regardé le baiser des mains comme une marque de respect & de profonde vénération. C’est même dans l’Ecriture une marque d’adoration ; & Job, 'XXXI, 27, pour dire qu’il n’a point adoré le soleil & la lune, dit qu’il n’a point baisé sa main en les voyant, ce qui est, ajoute-t-il, un très-grand crime, & la même chose que de nier le Dieu très-haut, c’est-à-dire, que ce seroit en reconnoître & adorer d’autres que lui.

☞ Dans l’Eglise même, les Evêques & les Officians donnent leur main à baiser aux autres Ministres qui les servent à l’Autel.

☞ Dans la société, l’action de baiser la main, a toujours été regardée comme une marque de vénération, de respect pour ses supérieurs.