Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BAILLI ou BAILLIF

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 706-707).
◄  BAILLEUR
BAILLIAGE  ►

BAILLI, ou BAILLIF. s. m. L’usage est déclaré pour le premier, & c’est le seul que l’Académie a adopté. En termes de Guerre, c’est le Chef de la Noblesse de la Province, & celui qui la commande quand on convoque l’arrière-ban. Nobiliatis Princeps ac Præfectus. Le Bailli, le Sénéchal & le Prévôt, sont des noms qu’on donne en divers lieux pour les mêmes fonctions.

Bailli, terme de Palais, signifioit Gardien dans le vieux langage. C’est un Officier qui rend la Justice dans un certain ressort, ou territoire. Prætor peregrinus, ou Balivius. Pasquier prétend qu’originairement les Baillis étoient des Commissaires que les Rois envoyoient dans les Provinces, pour examiner si la Justice étoit bien rendue par les Comtes, qui étoient alors les Juges ordinaires. Ces Baillis, ou Juges delégués, s’informoient dans le territoire qui leur étoit assigné, de la conduite des Comtes, & recevoient les plaintes des particuliers. De-là vient qu’on les appela Baillis, parce que l’exercice de la Justice leur étoit confié, & que par-là ils devenoient les gardiens & les conservateurs des droits du peuple, dont ils empêchoient l’oppression. Toutes les Provinces ayant demandé de ces Commissaires Royaux pour les défendre de l’oppression des Seigneurs, elles furent écoutées. Mais les Seigneurs se plaignirent de cette inspection qui les rappeloit à leur devoir. Il fallut encore céder au temps, & nos Rois se contentèrent d’en fixer quatre ordinaires, sous le titre de Baillis, qui eurent leurs siéges à Vermande, aujourd’hui Saint Quentin, à Sens, à Mâcon, & à S. Pierre le Moustier. Voyez M. de la Mare dans son Traité de la Police, L. I., T. V, p. 30, 31. Philippe Auguste en mit dans toutes les villes principales de ses Domaines en 1190.

Loiseau rapporte l’établissement des Baillis à l’usurpation de la puissance royale par les grands Seigneurs de France, sous les derniers Rois de la seconde race. Au commencement ces Seigneurs rendoient eux-mêmes la Justice ; mais dans la suite ennuyés de tenir leurs assises, ils commirent en leur place des Officiers qu’ils appelerent Baillis. Quoi qu’il en soit, le Bailli est aujourd’hui dépouillé de toute sa fonction, & toute l’autorité de cette charge a été transférée à son Lieutenant.

Les Baillis eurent d’abord toute l’intendance des Armes, de la Justice & des Finances de leurs Provinces. Quoique ce ne fût qu’une simple commission pour un temps assez court, cette triple autorité les rendoit néanmoins trop puissans. Ils ne furent pas long-temps sans en abuser. Les Ordonnances de S. Louis, de Décembre 1254, & de Philippe le Bel du mois de Mai 1302, font assez connoître en combien de manières ils s’étoient déjà écartés de leur devoir. L’administration des Finances fut celle où il parut de plus grands abus. Ce fut la première qu’on leur ôta. On fit des baux. Quelques-uns de ces Magistrats en furent adjudicataires. Les Baillis devinrent Fermiers, & la Noblesse, à qui ces charges avoient été destinées, méprisa des Magistratures qui se donnoient à ferme, sans distinction de naissance, ni de mérite. Les Magistrats Fermiers ne penserent qu’à leur profit particulier. Tout le reste fut négligé. C’est pourquoi pour pourvoir à la sûreté des frontières, on y envoya des Commandans d’armes, sous le titre de Capitaines, qui dans la suite furent qualifiés Gouverneurs. Ainsi les armes furent insensiblement retirées de l’Office des Baillis. Il ne leur reste plus que la convocation & la conduite de l’arrière-ban. Quant à l’administration de la Justice, elle fut compatible avec les armes, tant qu’il n’y eut que très-peu de lois en France, qui ne consistoient qu’en quelques usages locaux, ou quelques coutumes non écrites. Mais lorsqu’après l’an 1300, on eut adopté le Droit Romain, ou comme des Lois en plusieurs endroits, ou du moins en d’autres, comme préceptes de la droite raison, & comme les opinions des plus grands Jurisconsultes de l’antiquité, il fut difficile à des gens d’épée d’en être assez instruits. Cela donna lieu à Charles VI, par son Ordonnance du 27 Mai 1413, de leur permettre de se choisir des Lieutenans. Chaque Bailli s’en donna plusieurs. Charles VIII, par son Ordonnance du mois de Juillet 1493, en fixa le nombre à deux, l’un général, & l’autre particulier. L’étude du Droit Civil croissant toujours, Louis XII ordonna au mois de Mars 1498, qu’à l’avenir les Baillis seroient gradués ; & il défendit aux Baillis de les changer à leur volonté. Enfin, aux Etats d’Orléans, Charles IX, par une Ordonnance de Janvier 1560, régla qu’à l’avenir tous les Baillis & Sénéchaux seroient de Robe-Courte. C’est ainsi que l’administration de la Justice passa aux Lieutenans Généraux.

Il est néanmoins resté aux Baillis & Sénéchaux plusieurs prérogatives & fonctions considérables. Personne ne peut être reçu en leur Office, qu’il ne soit Gentilhomme de nom & d’armes : ils sont toujours les chefs de leur Juridiction : c’est en leur nom que la Justice y est rendue, & que les contrats & autres actes sont intitulés. La convocation & la conduite de l’arrière-ban leur appartient. Ils peuvent, s’ils veulent, présider à tous les jugemens qui se rendent en leur Siége, en s’abstenant d’y opiner. Ils doivent résider en leur Province, la visiter quatre fois l’année, &c. Outre les Ordonnances que nous avons citées, voyez celle de Moulins du mois de Février 1566, & celle de Blois du moi de Mai 1579, & M. de la Mare, Traité de la Police, Liv. I, Tit. V, C. 3, & M. le Président Valbonnay, Hist. De Dauph. p. 105.

On a appelé ordinairement Baillis, les Juges ordinaires, qui rendoient la Justice sous les Sénéchaux. Mais on a aussi appelé de ce même nom les Sénéchaux des Provinces, & on appelle encore présentement le Sénéchal de Touraine, le Bailli de Touraine. M. Du Cange a remarqué dans son Glossaire, qu’on appela Sénéchaux des Provinces, les Sénéchaux des Provinces qui appartenoient à des Seigneurs particuliers ; & Baillis des Provinces, les Sénéchaux des Provinces, qui appartenoient directement au Roi. Je trouve néanmoins que contre cette règle, Antoine d’Aubusson, Sénéchal d’Anjou, se trouve qualifié Bailli d’Anjour. Ménage. Hist. de Sablé, p. 213.

Il y a aussi des Baillis de robe, qui ne sont point Lieutenans de Baillis nobles, ou de Robe-Courte, & qui sont juges dans des Siéges subalternes, ou dans les Hautes-Justices appartenantes aux Seigneurs particuliers, comme le Bailli de S. Germain des Prez, le Bailli du Temple, &c. Ainsi le nom de Bailli dans son institution, ne devoit être donné qu’aux premiers Magistrats des Provinces, qui remplissent les Tribunaux supérieurs, que les Ducs & les Comtes avoient autrefois occupés. Quelques Seigneurs dans ces temps de troubles firent aussi prendre ce nom de Bailli aux Juges de leurs petites villes, bourgs & villages ; & il leur est resté jusqu’à présent. Ce n’est plus même qu’à ces Juges qu’on le donne dans l’usage ordinaire du monde & hors du barreau. De-là viennent les grands Baillis, & les petits Baillis, ou les Baillis supérieurs & inférieurs, que l’on trouve dans les anciennes Ordonnances. Baliviimajores, minores, superiores, inferiores. Voyez M. de la Mare, Traité de la Police, T. I, p. 31. Un Prévôt, ou autre Juge subalterne, écrivant au Bailli, ou Sénéchal de la Province, le qualifioit de Haut & Puissant Seigneur, pendant que celui-ci ne lui donnoit d’autres titres, en lui écrivant que celui d’honorable homme, & cela étoit encore en usage, selon l’Auteur de la Somme rurale, tit. 34, sur la fin du 14e siècle.

Il y a aussi un Bailli du Palais, dont la Juridiction est renfermée dans l’enclos du Palais, c’est-à-dire, la salle, les galeries & les cours du Palais. Cette juridiction fut instituée par Charles Duc de Normandie, Régent du Royaume pendant l’absence du roi Jean son pere, par Lettres-Patentes du mois de Janvier 1358, enregistrées seulement au Châtelet. Les Marchands s’y étant opposés, le Parlement maintint les Officiers du Châtelet contre cette nouvelle érection. Charles VI la confirma néanmoins en 1413, au mois de Mars. Les lettres durent enregistrées à la Chambre des Comptes. Les Marchands & Artisans s’étant encore opposés aux visites que ce nouveau Magistrat vouloit faire chez eux, le Parlement, par Arrêt du 7 Septembre 1463, ordonna que les Jurés des métiers feroient leurs visites dans l’enclos du Palais par le congé du Bailli, qu’il ne pourroit leur refuser, & qu’ils feroient leurs rapports des contraventions devant le Prévôt de Paris. Louis XI donna cette charge à Jacques Coitier son Premier Médecin, & les lettres furent registrées au Parlement pour la première fois, quoiqu’avec peine, le 10 Janvier 1482. Tels sont les titres du Bailli du Palais, qui d’abord fut appelé Concierge, & n’étoit en effet que le Concierge du Palais du Roi ; ensuite sous Charles VI, il prit le titre de Capitaine, ou Gouverneur. Juvénal des Ursins, Chancelier de Guyenne, & homme de qualité, ayant été pourvu de cette charge en 1413, par Charles VI, méprisa ce titre, & fut le premier qui prit de lui-même celui de Bailli du Palais, qui se trouve dans l’arrêt du Parlement de 1463, & qui sous Louis XI, en 1482, n’étoit pas cependant encore bien établi ; puisque ce Prince joint les deux noms de Concierge & de Bailli dans les Lettres-Patentes données à son premier Médecin. Dès l’érection, Charles Régent attribua à cet office toute Seigneurie, Justice, Juridiction moyenne & basse, dans l’enclos du Palais ; mais on lui ôta les cas capitaux en matière criminelle. Depuis long-temps il est constamment en possession de toute la Juridiction civile, même dans les cas qui sont de la haute Justice. Voyez la Mare, Traité de la Police, L. I, T. IX. C. 5. Il traite fort exactement & fort au long du Bailli du Palais.

Il y a une Ordonnance de S. Louis qui défend aux Baillis de se marier, ni de faire des acquisitions dans l’étendue de leurs Bailliages, ou Baillies, pendant l’exercice de leur charge, ni pour eux, ni pour autrui, sans permission du Roi ; & comme ils n’etoient point constitués en titre d’Office à perpétuité, & qu’ils n’exerçoient leur charge que par commission, ils étoient obligés de demeurer 40 jours sur les lieux après avoir fini leur exercice, pour répondre aux plaintes que l’on voudroit faire contre eux.

Bailli Châtelain, dans la coutume de Senlis, est le Juge des causes d’appel en la Seigneurie & Justice subalterne. De Laurière.

Baillis Conventuels, dans l’Ordre de Malte, sont les Chefs des huit Langues, qui résident dans le Couvent de la Religion de Malte. Les Baillis Capitulaires sont ceux qui possèdent les Bailliages de l’Ordre.

On appelle aussi dans l’Ordre de Malte, Baillis, les principaux Chefs, Conseillers, & Commandeurs de l’Ordre.

Grand Bailli. s. m. C’est une des grandes Dignités de l’Ordre de Malte. La charge de Grand Bailli est unique & attachée à la Langue d’Allemagne, dont il est le Chef. Sa Juridiction s’étend sur la Cité Vieille, ancienne capitale de l’île & du château de Goze, lorsqu’il appartient à l’Ordre, & du château de S. Pierre dans la Carie. Vertot.

Bailli de l’Empire. C’étoit autrefois le Gouverneur ou Régent de l’Empire, comme il paroît dans une Lettre de Henri de Flandre à Innocent III, où il dit, les Princes, les Barons & les soldats m’ont élu Bailli de l’Empire.

Bailli Errant, c’est en Angleterre un Officier de Justice que le Shérif envoie dans les lieux de la Juridiction signifier ses ordres. Harris. C’est ce que nous appelons un Huissier, un Sergent.

On dit aussi Bajuli Abbatum ; pour dire, Officiers domestiques.

Borel dérive le mot de Bailli du grec βουλὴ, qui signifie conseil. On n’a commencé d’user de ce nom que du temps du Roi Jean. Cambden, Scot. p. 693, prétend que Bailli est un terme du bas Empire né en Grèce, qui de là a passé en Sicile & en France, & qu’il signifie Conservateur. Il est certain que l’on trouve Bajulus pour un Juge, Prætor ; que l’on trouve ensuite Bailus, dans le même sens ; que de là il est aisé qu’on ait fait balivus, en transposant l’i, Voyez Act. Sanct. Maii, T. I, p. 391. D. 64. E. Dadin de Hauteserre, après avoir montré qu’on avoit appelé les Précepteurs & Gouverneurs des Princes, & même à ce qu’il prétend, des particuliers, Bajules, Bajuli, dit que sous la troisième race de nos Rois, ce nom passa de l’école dans le Barreau, & qu’on le donna aux Juges, parce qu’ils sont les Gouverneurs du Peuple. De Ducib. & Comit. Prov. c. 23, p. 282.

Bailli, est aussi un nom de quelques lieux, dont les diminutifs sont Bailleul & Baillolet. Ce mot vient du celtique Bali, qui signifie une avenue d’arbres. Descript. Géograph. & Hist. de la Haute-Norm. T. I, p. 308.