Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BÂTARD

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 793-794).
◄  BATANOMES
BÂTARDEAU  ►

BÂTARD, ARDE, adj. m. & f. Dans le genre, c’est un enfant qui n’est pas provenu d’un légitime mariage : dans l’espèce, en ce qu’il differe de l’adultérin & de l’incestueux, c’est celui qui est né de la conjonction illicite de deux personnes libres. Nothus filius.

☞ Les bâtards adultérins sont ceux dont le pere & la mere, ou tous les deux ensemble étoient engagés dans le mariage, ainsi que les enfans des prêtres & des religieuses.

☞ Les Bâtards incestueux sont ceux dont le pere & la mere étoient parens à un degré auquel le mariage est prohibé par les Canons. Les bâtards des Rois lorsqu’ils sont reconnus, sont Princes ; ceux des Princes & des Grands Seigneurs sont Gentilshommes : & ceux des simples Gentilshommes ne sont que roturiers, & payent la taille. Les bâtards sont quelquefois légitimés.

Les Bâtards non légitimés ne succèdent point, & on ne leur succède point, excepté leurs propres enfans sortis d’un mariage légitime. Autrement leur succession appartient au Roi. Par la Coutume d’Auvergne & de S. Omer, les bâtards succèdent. Par le Droit Romain, la mere succédoit à son fils bâtard, & le fils bâtard à sa mere. Cependant il y avoit une grande différence entre les enfans naturels & les bâtards, qu’on appeloit spurios. La Loi ne reconnoissoit point les derniers, & leur refusoit même les alimens, comme étant sortis d’une prostitution vague & incertaine : Is non habet patrem, cui pater est populus. Pour les autres qui étoient nés d’une concubine, & d’un commerce qui imitoit le mariage, ils succedoient à leur mere, & avoient droit de demander les alimens à leur pere naturel. On les regardoit comme des créanciers domestiques, qu’il faut traiter d’autant plus favorablement, qu’ils sont les fruits innocens du crime de leur pere ; & que c’est assez qu’ils portent sur le front les marques du vice, dont ils sont la production, sans qu’on leur refuse encore les secours de l’humanité.

Solon vouloit que les pères fussent privés de l’autorité paternelle sur les bâtards parce que n’étant devenus pères que par volupté, le plaisir devoit être leur unique récompense. Aristophane fait mention de cette Loi de Solon dans la Comédie intitulée des oiseaux. Démosthène en parle aussi dans son Oraison pour Macartatus, & après lui Harpocration & Pollux : Suidas ajoute que le pere ne pouvoit laisser à son bâtard plus de cinq mines, qui, selon la supputation de Budée, font cinquante écus. Anciennement à Rome les enfans naturels étoient entièrement exclus de la succession de leur pere ab intestat. Mais ils pouvoient être institués héritiers universels. Les Empereurs Arcadius & Honorius y apportèrent cette restriction : c’est que s’il y avoit des enfans légitimes, les bâtards ne pouvoient être institués que pour un douzième, qu’ils partageoient avec leur mere. Justinien ordonna depuis qu’ils pourroient être institués pour la moitié, & succéder ab intestat pour un sixième, quand il y avoit des enfans légitimes, Novelle quatre-vingt. Les batards peuvent être légitimés par le mariage subséquent, ou par les lettres du Prince. C’est le Roi seul en France qui peut leur donner le droit de légitimation, & les rendre capables de succéder. L’Empereur Anastase avoit permis aux pères de légitimer leurs bâtards par la seule adoption. Justin & Justinien, Novelle 74, abolirent cette légitimation, pour ne pas autoriser le concubinage par cette indulgence & cette facilité. Le Pape a quelquefois légitimé des bâtards. Philippe Auguste, craignant que l’état des deux enfans qu’il avoit eus d’Agnese Méranie, ne fût contesté, s’adressa à Innocent III, pour les faire légitimer, ce que le Pape lui accorda par une Bulle du deuxième Novembre 1201.

Les Bâtards non légitimés, peuvent disposer de leurs biens par donation entre vifs, ou par testament. Mais leurs parens ne leur succèdent point, & ils ne succèdent point à leurs parens ab intestat. Les bâtards légitimes par mariage subséquent, sont de même condition, & entrent dans les mêmes droits que ceux qui sont nés pendant le mariage. Mais pour ceux qui sont légitimés par lettres du Roi, ils ne sont réputés légitimes, & habiles à succéder, qu’à l’égard de ceux de leurs parens qui ont consenti à leur légitimation. Le Pape Clément VII, par sa Bulle de l’an 1535, défend qu’un Prêtre puisse résigner son Bénéfice à son bâtard.

On ne connoissoit point de bâtards en Egypte ; & les enfans qu’un homme avoit d’un esclave, étoient réputés légitimes, de même que ceux qui étoient nés de quelqu’une de ses femmes. Diodore de Sicile, Lib. I.

Les armes des bâtards doivent être traversées d’une barre, filet ou traverse de la gauche à la droite. Du Tillet en ses Mémoires, p. 322, dit que les bâtards ne portoient point autrefois les armes de celui qui étoit crû leur pere ; ils s’en forgeoient à leur mode, & cela s’observoit même parmi les bâtards des Rois. Rochef. Je ne trouve point cela dans les Mémoires de du Tillet. L’édition que j’ai de Rouen 1578, n’a pas même 300 pages. A la page 184 il dit, la Maison de France rejetant les bâtards, ne leur endure son armoirie tant fut-elle barée. Cependant à la page 165, il dit que Charles VII permit à Mademoiselle de Valois sa fille naturelle & à ses successeurs, de porter les armes de France, à la différence de la bande que les enfans naturels ont accoutumé de porter.

Les bâtards ne peuvent être admis aux Bénéfices simples, & aux moindres Ordres, sans dispense de l’Evêque ; ou du Pape, pour les Ordres sacrés & pour les bénéfices qui ne font pas simples ; ni aux charges sans lettres du Prince. Ils prennent des Lettres de légitimation quoad honores.

Ménage & de Hauteserre, de Ducib. & Comit. Prov. C. 9. dérive ce mot de l’allemand bastard, qui signifie la même chose, qui est composé de boes & de hard, qui signifient, mauvaise naissance. Mais il est certain que c’est un vieux mot celtique, qu’on dit encore en basse-Bretagne sans aucune altération. Le P. Pezron croit que c’est un mot celtique Bas-tard, comme si l’on disoit d’une origine basse & méprisable. Du Cange, après Boxhornius, dit aussi que c’est un vieux mot françois & breton, & qu’on appeloit un fils illégitime, bâtard, du mot composé de bas & de tardol, qui signifioit germer & sortir : d’où vient que quelques Auteurs les ont appelés fils de bas, comme qui diroit, sortis de femmes publiques & de basse condition. Selon Port-Royal ce mot vient de βάμαρα, une prostituée, une perdue.

Le Cardinal Gabriel Poléota a fait un savant Livre touchant les bâtards, de liberis Spuriis ac Nothis, que Pontus Heuterus a compilé dans son traité sur le même sujet, intitulé, Tractatus de libera hominis nativitate, seu liberis naturalibus, dans lequel il a prétendu ramasser tout ce que les Jurisconsultes ont dit avant lui sur ce sujet, mais qu’il établit sur des principes bien mauvais & bien contraires à l’Evangile, à la raison, & au sentiment de tous les Docteurs.

Bâtard. Ce mot se dit d’une espèce de faction, ou de bande de brigands qui s’éleva en Guyenne vers le commencement du XIV siècle sous Charles le Bel. Certaines troupes de Gascons, que nos Annales nomment Bâtards, je ne sais pourquoi, se mirent à courir cette Province, & mêlant avec eux des compagnies angloises, allèrent brûler la ville de Saintes. Mezer. Ces Bâtards à mon avis, devoient être ceux des Seigneurs de Guyenne ; car j’ai remarqué que les Bâtards depuis qu’on les eut exclus de la succession de leurs pères, afin de maintenir l’état de leur naissance, aussi bien que les légitimes, se faisoient chefs de routiers, brigands, & troupes de pillards, & s’entretenoient de vols & de ravages. Id.

Bâtard, se dit en termes de Médecine, pour signifier qui n’est pas vrai. C’est une pleurésie bâtarde, c’est-à-dire, fausse pleurésie.

Bâtard, se dit encore en termes de Jardinier, pour signifier sauvage, qui n’est pas franc, qui n’est pas cultivé. Adulterinus. Arbres bâtards. Plantes bâtardes. Silvestris planta.

☞ On appelle encore bâtard tout ce qui n’est pas parfait dans son espèce, comme quand on dit de la reinette bâtarde ; pour dire, que c’est une mauvaise espèce.

Bâtard, en termes de Fauconnerie, se dit de l’oiseau qui tient de deux espèces, comme de sacre & de lanier.

Bâtard, se dit aussi de ce qui n’a point de nom certain, qui participe de deux natures différentes. Bâtard de dogue, chien né d’un dogue d’Angleterre, & d’une chienne d’un autre pays. Lévrier bâtard, chien né d’un lévrier & d’une chienne d’une autre espèce. Une pièce de canon bâtarde, de moyenne grandeur. Une porte bâtarde, est une moyenne porte entre la porte cochère & la bourgeoise. Une écriture bâtarde est celle qui est moyenne entre la françoise & l’italienne.

Bâtard, en termes de Marine, est le nom d’une corde qui assemble les racages, & qui les amarre sur le mât proche la vergue.

Il y a aussi une espèce de Galère qu’on appelle Galère bâtarde.

Bâtarde, est la plus grande des voiles d’une Galère, qui se porte quand il y a peu de vent. Area.

Bâtard, en Musique, se dit de deux modes de la Musique : l’une est l’Hyper-Eolien ; il a sa finale en B, fa si, & conséquemment la 5e au dessus fausse, ou diminuée diatoniquement ; & par cette raison rejeté du nombre des modes authentiques. L’autre est l’Hyper-Phrygien ; il a sa finale en F ut fa, & la 4e au-dessus superflue, & pour cela rejeté du nombre des modes plagaux. Brossart.

On appelle dans le métier de Boulanger, particulièrement parmi les Boulangers qui font le biscuit de mer, de la pâte bâtarde, celle qui n’est ni trop molle ni trop forte.

Il y a une laine bâtarde de vigogne, qu’on appelle encore laine Carmeline. C’est la seconde espèce de laine, de celles qui se coupent de dessus la peau du vigogne. Il se dit aussi des laines communes du Levant.

Chez les Manufacturiers de draperies, on se sert de l’adjectif féminin bâtarde, pour signifier une fausse largeur d’étoffe, une largeur extraordinaire, qui n’a nulle conformité aux Règlemens.

Bâtards, en Raffinerie de sucre, sont les sucres produits des sirops qui sont émanés des matières fines. Encyc.

☞ On nomme aussi bâtarde, une grosse forme qu’on emplit de sirops recuits qui produisent le sucre que l’on appelle bâtard.

En termes d’Horloger, bâtarde se dit d’une lime dont la taille n’est ni douce, ni rude. Demi-bâtarde, celle qui tient le milieu entre la bâtarde & la douce.

On dit proverbialement que l’hiver n’est pas bâtard, & qu’il vient tôt ou tard.

On dit aussi en quelques endroits de Normandie, bâtard de Caux ; pour dire, un pauvre cadet qui n’a point de bien. Avant que la Coutume de Normandie fût réformée, les cadets du pays de Caux n’entroient point en partage avec leurs aînés : on leur donnoit seulement quelque chose en argent, comme on fait encore présentement en Angleterre. Aujourd’hui même les cadets de Caux parmi les roturiers n’ont tous ensemble que le tiers du bien ; l’ainé a les deux tiers avec le préciput dans les biens situés à la campagne, & c’est ce qui fait qu’on nomme les cadets de ce pays-là bâtards de Caux.