Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/AUNE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 649-650).
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AUNE. s. m. Alnus. Arbre d’une grosseur & grandeur considérable, & qui croît le long des ruisseaux & aux bords des rivières. Son tronc qui est plus ou moins gros suivant son âge, est recouvert d’une écorce raboteuse & brune ; & le bois en est tendre & un peu roussâtre. Il donne plusieurs branches, qui sont fort cassantes, couvertes d’écorce d’un brun cendré, tâchée, & jaunâtre en dedans. Elle est très-désagréable au goût, amère & astringente. Le bois des jeunes branches est blanc. Ses feuilles sont alternes, assez semblables à celles du Coudrier, mais un peu plus arondies, crénelées sur leurs bords, relevées par des nervures qui parcourent toute leur surface, vertes, luisantes, & gluantes au toucher. Ses fleurs, qui naissent aux extrémités des branches, sont des chatons grêles, long d’un pouce, verts d’abord, qui s’alongent ensuite, & deviennent de couleur de la rouille de fer, sur-tout lorsque les fleurs sont épanouies. Chaque chaton est un composé de plusieurs petits pelotons de fleurs attachées à un filet commun. Chaque fleur est taillée en quatre quartiers, & garnie de beaucoup d’étamines. Les fruits qui naissent sur le même pied, mais dans des endroits séparés, paroissent en même temps que les chatons. Chaque fruit n’est d’abord guère plus gros qu’un pois, conique, écailleux, & rempli entre ses écailles d’embryons terminés par deux cornes. Le fruit grossit peu à peu, s’arrondit, devient noir & gros comme une olive, & s’ouvre de la même manière que les pommes de pin. Entre chaque écaille on trouve une petite semence aplatie, rougeâtre, presqu’insipide ; au lieu que les chatons & les feuilles des fruits sont fort astringens, & un peu amers.

On se sert du tan d’aune pour préparer les cuirs. Son écorce est aussi employée par les Teinturiers pour faire le noir. On prétend que son bois ne pourrit point dans l’eau : on croit au contraire qu’il y durcit de telle manière qu’il s’y pétrifie. Les feuilles d’aune appliquées sur les vieux ulcères les desséchent : ces mêmes feuilles ramassées dans un sac s’échauffent, & font beaucoup transpirer les parties du corps qui en sont ensuite enveloppées. C’est un remède dont on se sert quelquefois pour des rhumatismes opiniâtres.

L’aune devient extrêmement haut, pourvu que la plupart de ses racines baignent dans l’eau. Il a la feuille comme le coudrier, & comme lui il jette de souche. Chom. On nomme Verne cet arbre dans quelques Provinces.

Ce mot aune pourroit bien venir de l’hébreu אלון : c’est la conjecture du P. Thomassin, qui rapporte à la langue hébraïque l’origine de tous les mots dont il parle.

Aune noir. Alnus nigra, ou Frangula, est un arbre qui donne dès sa racine plusieurs jets gros comme le doigt, branchus, & garnis de feuilles assez semblables à celles du cerisier, mais plus petites, opposées. D’entre leurs aisselles naissent des fleurs à cinq pétales blanchâtres, qui sortent des échancrures de leur calice, au fond duquel s’élève un pistil qui devient une baie verte d’abord, ensuite rougeâtre, molle, qui renferme deux semences arrondies ; qui devient enfin noire, & qui est d’un goût désagréable. L’écorce moyenne de ses branches purge les sérofités, & fait vomir lorsqu’elle est fraîche. On trouve l’aune noir dans plusieurs bois à la campagne.

Aune. s. f. Bâton d’une certaine longueur qui sert à mesurer les étoffes, toiles, rubans, &c. Ulna. Il se dit aussi de la chose mesurée. Une aune de drap, de toile. Aune courante, c’est une mesure d’étoffe ou de tapisserie qui s’étend sur les longueurs, sans considérer la largeur, ou la hauteur. Tous les Marchands doivent avoir une aune marquée & étalonnée, & ferrée par les deux bouts. Les aunes sont différentes selon les lieux.

L’aune d’Amsterdam a deux pieds un pouce, & deux lignes du pied de France, appelé Pied de Roi.

L’aune d’Anvers est longue de deux pieds, un pouce, & six signes du pied de France.

L’aune de Bergue & de Dronthem, en Norwége, est un peu plus courte que celle d’Amsterdam, de sorte que dix aunes d’Amsterdam en font onze de Bergue & de Dronthem.

L’aune de Berne & de Bâle en Suisse est comptée égale à celle de Hambourg.

L’aune de Breslau est tenue égale à celle de Hambourg, & l’aune d’Osnabruk à celle de Paris.

L’aune de Cologne est égale à celle de Hambourg, Léipsic, &c.

L’aune de Dantzick a de longueur un pied, dix pouces, quatre lignes & demie du pied de France.

L’aune de France, ou de Paris, contient trois pieds sept pouces, c’est du pied de Roi dont il s’agit.

L’aune de Francfort sur le Mein est égale à celle de Hambourg.

Il y a deux aunes en usage à Saint-Gel, l’une pour les toiles, l’autre pour les étoffes ; elles sont toutes deux plus courtes que l’aune d’Amsterdam. L’aune de Saint-Gal qui sert à mesurer les toiles, faut une aune moins un sixième d’Amsterdam : celle qui sert à mesurer les draps est encore plus courte que l’autre, & elle est plus courte que celle d’Amsterdam d’un peu plus d’un dixième.

L’aune de Hambourg a de longueur un pied, neuf pouces du pied de France.

L’aune de Londres passe pour égale à celle de Paris.

L’aune de Lubeck est plus courte d’un seizième que celle de Hambourg.

L’aune de Lyon est un peu plus courte que celle de Paris, il y a sur cent aune une aune de différence.

L’aune de Nuremberg est tenue égale à celle d’Amsterdam, & l’aune de Léipsic, de Naumbourg & de Hall, est égale à celle de Francfort & de Hambourg.

Les aunes de Riga, de Konigsberg, & de Revel, sont un peu plus longues que celle de Dantzick.

L’aune de Rouen, de Bourdeaux, de la Rochelle, de Nantes, se rapporte à celle de Paris.

L’aune de Suède, ou de Stockolm est plus courte que celle d’Amsterdam, & sept aunes de Suède en font six d’Amsterdam.

Il y a une dix-septième de différence entre l’aune de Paris & celle de Genève, desorte que dix-sept aunes de Paris n’en font que seize de Genève.

Samuël Ricard a ainsi réduit les aunes dans son Traité du Commerce. Cent aunes d’Amsterdam en font quatre-vingt-dix-huit & trois quarts de Brabant, Anvers, Bruxelles ; cent vingt de Hambourg, Francfort, Léipsic, Cologne ; cent vingt cinq de Breslau, en Silésie ; cent douze & demie de Dantzick ; cent dix de Bergue & de Dronthem ; cent dix-sept de Sockolm ; de Saint-Gal pour les toiles quatre-vingt-six, & cent douze pour les draps.

Matthis Dogen, & Casimir, Polonois, ont fait des réductions de toutes les aunes des plus fameuses villes de l’Europe au pied Rhenan ; & le Pere Mersene au pied du Capitole. Servius dit que l’aune est l’espace qui est contenu entre les deux mains étendues ; mais Suétone veut que ce ne soit qu’une coudée. Chez les étrangers, au lieu de ce nom l’on se sert de celui de Cannes, Varres, Verges, Brasses, Palmes, &c.

Aune, s’emploie populairement & dans la conversation, pour marquer une grandeur démésurée par rapport à la chose dont on parle. Ôtez-moi ce fuseau, il est long d’une aune : j’en veux un plus petit.

Suis-moi donc. Mais je vois sur ce début de prône,
Que ta bouche déjà s’ouvre large d’une aune.

Boil
.

Aune, se dit proverbialement en ces phrases : cet homme mesure tout le monde à son aune ; pour dire, qu’il croit que tous les autres sont faits comme lui. On dit, qu’il ne faut par mesurer les hommes à l’aune ; pour dire, qu’il y a de petits hommes qui ont autant de cœur & d’esprit que les grands : qu’un homme sait ce qu’en vaut l’aune ; pour dire, qu’il a déjà eu de pareilles affaires : qu’il en aura tout le long de l’aune ; pour dire, qu’on lui fera tout le mal qu’on pourra. Tout le long de l’aune, signifie aussi beaucoup, tout-à-fait, avec excès.

Et c’est justement la tour de Babylone ;
Car chacun y babille, & tout le long de l’aune.

Mol

On dit aussi, au bout de l’aune faut le drap ; pour dire, qu’on verra avec le temps la fin d’une affaire. On dit d’un grand mangeur, qu’il a toujours dix aunes de boyaux vides pour festoyer ses bon amis. Ce mot vient, selon Icquez, du vieux mot saxon eln ou elne.