Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/AUGURE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 638-639).
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AUGURE. s. m. Divination qu’on fait par l’observation du vol, du chant, & l’appétit des oiseaux, avec certaines cérémonies. Augurium, auspicium. L’observation des augures est fort ancienne. La coupe qui fut mise dans le sac de Benjamin, en Egypte, étoit celle dont Joseph se servoit pour lesaugures. Voyez Aldrovandus de Bologne, qui a expliqué assez amplement la manière dont se prenoient les augures, dans les Prolégomènes de son Ornithologie. Varron distingue quatre espèces générales d’augures, La Pyromantie, ou augure par le feu ; l’Aëromantie, ou augure par l’air ; l’Hydromantie, ou augure par l’eau ; & la Géomantie, ou augure par la terre. Les espèces particulières sont l’Alectoromantie, l’Anthropomantie, la Belomentie, la Catophromantie, la Gapnomantie, la Gastromentie, la Géomantie, l’Haruspicine, la Libanomantie, la Lécanomantie, la Nécromontie, la Pyroscopie, qu’on nomme aussi Pyromantie. Voyez ces mots chacun en son lieu. Rien ne paroît plus indigne de la gravité des Romains, que leurs augures. Les délibérations du Sénat, ou des Généraux, étoient dépendantes de l’appétit ou du dégoût d’un poulet. S. Evr.

La science des augures est plus ancienne que Rome, puisque sa fondation fut précédée d’un augure. Les Latins conviennent qu’elle lui étoit venue des habitans de la Toscane, chez lesquels dans les commencemens ils avoient soin d’entretenir six jeunes Praticiens, comme dans une espèce d’Académie, pour en apprendre de bonne heure les secrets & les principes. Les Toscans en attribuoient l’invention à un certain Tagès, espèce de Demi-Dieu, qu’un Laboureur avoit trouvé endormi sous une motte de terre, & qu’il avoit déterré avec le soc de sa charrue. Suidas en fait honneur à Télégonus, Pausanias à Parnasus fils de Neptune, qui vivoit avant le déluge. Les savans font descendre cette science successivement des Curiens, des Ciliciens, des Pisidiens, des Egyptiens, des Chaldéesn & des Phéniciens ; & ils remarquent que ces peuples de tout temps se sont distingués des autres par leur attention, à l’espèce de volatile qui abondoit d’une façon particulière dans leur pays. Desorte que leur commerce fréquent avec ces animaux, & le soin qu’ils prenoient de leur éducation, faisant leur occupation la plus ordinaire, ils s’imaginoient entendre mieux que les autres ce que signifioient leurs cris, leurs mouvemens, leurs postures & leurs différens ramages ; & c’est ce qui donna lieu à la superstition parmi ces peuples.

Ceux qui prétendent trouver l’origine de toutes choses dans l’écriture, rapportent celle-ci au premier homme, qui connoissoit à fond toutes les créatures ; ils ajoutent que de pere en fils elle passa à Noé, qui ne lâcha le corbeau & le pigeon, que suivant les principes de l’Omithomantie, de Noé à Cham, & de Cham au fameux Tagès, qu’ils font son arrière-petit-fils ; & qu’ils appellent Maloth, par le canal duquel cette mervilleurs science passa en Europe. Les Auteurs de ces rêveries n’hésitent pas non plus à mettre cette perfection au nombre de celles de Salomon. Ce sont des imaginations de Rabbins. Si nous voulons les en croire, nous trouverons dans l’écriture toutes les parties de cette science. Le tripudium des poulets dans ce passage de Job, XXXVIII, 35. Quis gallo dedit intelligentiam ? Les oscines, c’est-à-dire, les oiseaux qui instruisoient par leur chant, dans celui de l’Ecclésiaste, X, 26. Avis cœli proferet vocem ; & ceux qu’ils appeloient Præpetes, c’est-à-dire, qui prophétisoient par leur vol, dans la suite de ce même passage, & ales indicabit rem.

Ce qu’il y a de vrai, c’est que cette superstition est plus ancienne que l’Ecriture Sainte, puisqu’elle y est expressément interdite & condamnée, Levit. SIS, 26. Deut. XVIII, 10. La seule chose qui pourroit arrêter, c’est que le terme de l’original מנחש, vient de נחש, serpent. Mais ce qui justifie tous les Traducteurs qui l’expliquent par augur, & observateur des augures, c’est que οἰωνός, & augur en latin, s’appliquent indifféremment à toute sorte de présages, souvent même par préférence à ceux qui se tiroient des des serpents. Οἰωνός, ὄφις, dit, Hésychius dans son Dictionnaire, & Suidas, en parlant de Télégonus, qui, selon lui, avoit le premier inventé τὴν οἰωνοστικὴν, ajoute par forme d’explication, c’est-à-dire, le secret de comprendre ce que désignoit un serpent, ou une belette sur le toit. Aussi dans cette science, les serpens avoient autant & plus de considération que les oiseaux. On étoit même persuadé que les premiers Auteurs de cette science, la tenoient des serpens qui leur avoient léché les oreilles ; & qu’un homme à qui un serpent avoit léché cette partie de la tête, recevoit par-là la science infuse des augures. C’est ce que rapportent le Scoliaste d’Euripide des enfans de Priam, Hélénus & Cassandre. In Hecub, ad vers. 87. Celui d’Apollonius de Rhodes, in Argonaut. Lib. I, v. 1, & Apollodore, Biblioth. Lib. I, p. 47. Philostrate, dans la vie d’Apollonius, assure que les Indiens acquéroient la même intelligence en mangeant le cœur ou le foie de certains dragons ; & Eusébe semble autoriser cette tradition dans son Traité contre Hiéroclès.

Il est assez difficile de savoir sur quoi étoit fondée cette prévention des Anciens en faveur des oiseaux. Ils ne le savoient pas eux-mêmes. C’étoient, disoient-ils, ou un instinct particulier qui leur avoit été accordé par l’Auteur de la Nature, ou cela venoit de la métempsycose : les oiseaux étoient des hommes métamorphosés : ou bien c’est que leur éloignement de la terre, l’innocence de leur vie, la pureté de l’air qu’ils respirent, leur proximité u ciel, rendoient leurs sensations plus subtiles, & les mettoient en état de pénétrer plus aisément que nous dans les événemens futurs. Les plus raisonnables convenoient de bonne foi que ces prétendus Prophètes, prophétisoient sans le savoir, & sans y entendre finesse. Voyez Stace, Théb. L. III, v. 82. D’autres prétendoient que quoique les oiseaux n’y entendissent rien, cependant ils ne laissoient pas de pronostiquer les choses futures, parce que Dieu conduisoit leurs mouvemens, & qu’il le faisoit d’une manière si sûre, que les hommes qui les étudioient avec attention, en tiroient des inductions infaillibles. Mais Cicéron, tout augure qu’il étoit lui-même, se moque de cette superstition dans son Livre II de la Divination, & s’étonne que deux augures puissent s’entre-regarder sans éclater de rire.

M. Morin, dans les Mémoires de l’Académie des Belles-Lettres, rapport l’origine de la superstition des augures à deux causes. 1°. A l’usage de se déterminer dans les affaires hasardeuses & ambiguës par le sort. Chacun se le composoit à sa manière. Les personnes vives, brusquement de la première chose qui se présentoit, d’une paille, ou d’un coup de dés, afin de se délivrer plutôt de l’incertitude. Les personnes graves y apportoient plus de façons & plus de cérémonies. Ils commençoient par exposer l’affaire en question aux Dieux. Ils les supplioient de vouloir bien leur faire connoître le parti qu’ils devoient prendre ; & comme si les Dieux n’eussent pas pu trouver le moyen de leur expliquer leur volonté, ils se donnoient la liberté de leur prescrire certains signaux qu’ils imaginoient eux-mêmes, & auxquels ils attachoient des présages bons ou mauvais à leur discrétion. Ce qui composoit une espèce de chiffre entre Dieu & les hommes, dont il n’y avoit que le consultant qui eût la clef, & dont les oiseaux ou les animaux du pays faisoient ordinairement les caractères. 2°. La deuxième cause est tirée du sein de la nature. Les oiseaux ont reçu du Créateur des organes très délicats, qui leur font pressentir les changemens de l’air dès les premières approches ; pressentiment qu’ils donnent à connoître dans les occasions, ou par leur voix, ou par leur vol, ou par leurs différentes contenances, suivant les observations uniformes de tous les Naturalistes anciens & modernes. Cela supposé, il est aisé de comprendre comment les Anciens dans leur première simplicité, quand certaine température de l’air étoit importante pour leurs travaux, étudoient avec attention les postures des animaux, comme nous faisons aujourd’hui nos baromètres, afin de faire usage du temps présent, & de se précautionner contre le future. Ceux qui s’appliquoient d’une manière particulière à cette étude, & qui s’étoient fait une réputation dans ce genre de prophétie, se voyant consultés de tous côtés, entreprirent d’en étendre les bornes par un principe de charlatanerie ; c’est le sentiment de Varron.

On a depuis étendu cette signification, non-seulement à tous les présages, à tous les signes par lesquels on juge de l’avenir ; mais à tous les jugemens qu’on fait de l’avenir. C’est une folie de tirer un bon ou mauvais augure des choses qu’on rencontre en sortant de sa maison. Vous me donnez de bons augures de ma fortune. Voit.

On appelle un oiseau de mauvais augure, un hibou, une orfraie, &c.

I à sur de vieux cyprès dépouillés de verdure,
Nichent tous les oiseaux de malheureux augure.

Cer.

Il se dit aussi figurément, d’un homme odieux, ou qui apporte une mauvaise nouvelle, ou dont l’arrivée n’annonce que rien de funeste.

Augure, chez les Romains, étoit un officier employé à l’observation du vol, du chant & du manger des oiseaux. Augur. Cicéron étoit du collége des augures, qui fut d’abord composé de trois, puis de quatre, & enfin de neuf augures ; quatre Patriciens, & cinq Plébéiens. Le mot d’augure en ce sens, s’étend & s’applique à tous ceux qui conjecturent bien sur quelque chose que ce soit, & qui prévoient ce qui doit arriver. Celui qui conjecture bien, est un bon augure. Ablanc. L’Empereur Constance défendit de consulter les augures, comme des imposteurs. S. Evr. La dignité d’augure ne se perdoit que par la mort. Tillem.

Ce mot d’augure est composé du mot avis, & de garritus. Les augures prenoient garde au gazouillement des oiseaux. Le P. Pezron étoit fort embarrassé d’où venoit cette dernière syllabe gur, ainsi il l’alloit chercher en Gaule. Augur, dit-il, vient du celtique au, qui signifie le foie, & de gur, ou gar, qui veut dire une homme. Ainsi augur est proprement, & mot pour mot, homme de foie, c’est-à-dire, consultant le foie & devinant par le foie. ☞ Ce seroit confondre l’augure avec l’aruspice, deux espèces de divination très-distinguées. D’autres prétendent qu’il vient de l’arabe ogot, qui signifie bonheur. Festus le dérive ex avium gestu, de la contenant des oiseaux. Lloyd croit que ce mot vient d’avicurus ; que l’on a dit pour signifier un homme qui a soin d’élever & d’observer les oiseaux, comme on appeloit viocurus, un homme qui avoit soin des chemins:ensuite changeant le c en g, d’avicurus on a fait augur & augurium. M. Morin, dans les Mémoires de l’Académie des Belles-Lettres, T. I, p. 292, prétend qu’on peut encore le faire venir de l’Allemand, Aug & ur, qui doivent signifier dans cette langue une vue fort subtile, telle que le devoit être celle des gens de cette profession