Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ATTACHER

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 601-602).
ATTACHEUSE  ►

ATTACHER. v. a. Joindre quelque chose à une autre avec un lien, avec quelque ferrement, ou autre chose propre à l’arrêter ou empêcher qu’elle ne s’éloigne. Alligare, colligare. Il a attaché son cheval à un arbre. Attacher des pièces ensemble avec un filet. Attacher un tableau à la muraille avec un clou. Le nœud qui attachoit le joug du timon étoit fait d’écorce. Ablanc. On le dit aussi en parlant de plusieurs supplices. Attacher au gibet, au carcan. Attacher en croix. Attacher à la chaine. On dit en ce sens que J. C. a été attaché pour nous à l’arbre de la croix.

Ménage dérive ce mot du latin attachiare, qui se trouve dans les Auteurs, & a été fait de attaxare, ou attexere. Il vient plutôt de tach, qui en langage Celtique, ou Bas-Breton, signifie clou, & tacha, clouer, parce qu’on attache avec des clous. Icquez le dérive de teacan, mot saxon, ou de tacan, mot pris des langues du Nord. Ces deux mots veulent dire prendre : on y a ajouté la préposition ad en changeant le d en t, pour rendre la prononciation plus douce.

En termes de l’art militaire. On dit, attacher le mineur au corps d’une place ; pour dire, le mettre en état de travailler à couvert, à faire une mine au corps de la place. On commence par faire un trou dans l’endroit où l’on veut établir la mine, au pied du mur, quand le fossé est sec ; & à un pied au-dessus de la superficie des eaux, quand le fossé est plein d’eau. Ce trou se fait par le moyen de la batterie qu’on aura placée sur la crête du glacis, qui tirera en plongeant. Dès que ce trou sera de la profondeur de quatre à cinq pieds, le mineur s’y rendra à la faveur de sa galerie, s’y logera, s’y couvrira de son mieux, & se mettra à travailler à sa mine avec diligence.

Attacher, se dit dans les manufactures de soie, des semples, du corps, des arcades & des aiguilles. C’est les mettre en état de travailler. Encyc.

Attacher les rames de Rubannerie. C’est l’action de fixer les rames à l’arcade du bâton de retour.

Attacher haut. Terme de Manège. Attacher la longe du licou aux barreaux du râtelier, pour empêcher que le cheval ne mange sa litière.

Attacher, lier, dans une signification synonyme. On lie, dit M. l’Abbé Girard, pour empêcher que les membres n’agissent, ou que les parties d’une chose ne se séparent. On attache pour arrêter une chose, ou pour empêcher qu’elle ne s’éloigne. On lie les pieds & les mains d’un criminel ; & on l’attache à un poteau. On lie un faisceau de verges avec une corde. On attache une planche avec un clou.

☞ Ce mot entre dans des façons de parler figurées qui sont très-belles. Un homme est attaché, quand il n’est pas en état de changer de parti ou de le quitter ; il est lié quand il n’a pas la liberté d’agir. L’autorité & le pouvoir lient. L’amour & l’intérêt attachent. Nous ne croyons pas être liés quand nous ne voyons pas nos liens ; & nous ne sentons pas que nous sommes attachés, lorsque nous ne pensons point à faire usage de notre liberté. Un homme est lié à sa femme, & attaché à sa maîtresse.

Heureux qui satisfait de son humble fortune,
Libre du joug superbe où je suis attaché,
Vit dans l’état obscur où les Dieux l’ont caché. Rac.

Attacher, signifie encore intéresser par quelque chose d’agréable, rendre l’esprit attentif par quelque charme secret. Allicere, devincire. Dans une narration il faut savoir attacher l’esprit par le choix & par l’amas des plus considérables circonstances. Boil. La tragédie doit intéresser & attacher les spectateurs S. Evr. L’histoire attache le lecteur par le récit des événemens merveilleux.

Inventez des ressorts qui me puissent attacher. Boil.

Apprenez que suivi d’un nom si glorieux
Par-tout de l’univers j’attacherois les yeux. Rac.

Attacher, signifie encore dans le sens figuré lier par quelque chose qui engage, qui oblige à quelque devoir, ou à quelque marque de reconnoissance. Un Prince attache quelqu’un à son service par un emploi qu’il lui donne. Deux hommes sont attachés l’un à l’autre par une amitié réciproque. Le devoir nous attache auprès de quelqu’un. Les bienfaits nous attachent à notre bienfaiteur.

Je veux rompre les nœuds qui m’attachent à vous. Rac.

Attacher, synonyme d’appliquer. L’étude des Mathématiques attache beaucoup. Le jeu attache trop les jeunes gens. Attacher son attention à quelque chose.

Attacher, se dit encore, toujours au figuré, pour dire faire dépendre les choses les unes des autres, comme si elles étoient inséparables, comme si l’une étoit la cause ou l’occasion de l’autre. Dieu a attaché notre bonheur dans cette vie & pour la vie future à la pratique des vertus chrétiennes. La plûpart des événemens sont autant de moyens auxquels Dieu a attaché notre sanctification. Les Rois n’ont pas besoin de raffiner beaucoup pour s’appercevoir que les louanges qu’on leur donne, sont attachées à leur rang. Mon sort est attaché au vôtre.

Le ciel n’attache point mon bonheur à ses jours. Rac.

Attacher, avec le pronom personnel, signifie, se joindre, se coller, s’accrocher. Inhærere, adhærescere. La terre grasse s’attache aux souliers, la poix aux habits. Quand on se noie, on s’attache à tout ce qu’on peut attraper. ☞ Un chien s’attache à sa proie. Ces deux ennemis s’attachent si fortement l’un à l’autre, qu’on ne peut les séparer. Et figurément, on dit, qu’un homme s’attache auprès de quelqu’un ; pour dire, qu’il lui fait la cour, qu’il se dévoue à son service, soit par devoir, soit par affection. Je m’attache à tout votre destin. Mol. Ce n’est pas l’éclat de ta fortune qui nous attache à toi. Vaug.

On dit qu’un homme s’attache trop à son sens, à son profit, à ses intérêts ; pour dire, qu’il est opiniâtre, qu’il est avare, qu’il ne relâche rien de ses prétentions.

Attacher, avec le pronom personnel, signifie encore, s’appliquer à quelque chose. Animum adjungere alicui rei, ad aliquid incumbere. S’attacher à l’étude : s’attacher à remplir les devoirs de sa charge ; s’attacher au barreau, s’attacher au solide ; s’attacher à la volupté ; pour dire, s’y appliquer fortement, s’y adonner entièrement. L’agrément de ceux qui s’attachent plus à bien parler, qu’à bien penser, ne plaît pas long-temps. Vall. Les hommes naturellement malins ne s’attachent qu’aux défauts des autres, & ne remarquent pas leurs vertus. Bell.

Je songe à me connoître ;
Et c’est l’unique étude où je veux m’attacher. Boil.

On dit aussi s’attacher, pour dire, avoir de l’attachement & de l’inclination pour quelqu’un, ou pour quelque chose. Studere alicui. Les mélancoliques croient aimer ceux à qui ils ne s’attachent que par un choix capricieux. M. Esp. Celui qui s’attache à la vérité sans raison, est opiniâtre. Ablanc.

☞ On dit, en termes de Peinture, que les objets s’attachent, lorsqu’ils paroissent tenir ensemble, quoique l’Artiste ait supposé de l’espace entr’eux. Acad. Fr.

ATTACHÉ, EE. part. Alligatus, vinctus, fixus, defixus. Il n’osoit avoir les yeux attachés sur elle, parce qu’il craignoit de laisser trop voir le plaisir qu’il avoit à la regarder. P. de Cl. attaché à l’étude, à ses devoirs, au plaisir, &c.

On dit proverbialement qu’il faut que la vache broute où elle est attachée ; pour dire, qu’il faut vivre du mieux qu’on peut dans le lieu où on est contraint de demeurer.

☞ On dit dans le sens figuré un homme attaché, c’est-à-dire un homme qui aime l’épargne & fuit la dépense ; distingué en cela de l’homme avare qui aime la possession & ne fait aucun usage de ce qu’il a ; & de l’homme intéressé, qui aime le gain, & ne fait rien gratuitement. L’attaché s’abstient de ce qui est cher. L’avare se prive de ce qui coûte. L’intéressé ne s’arrête guère à ce qui ne lui produit rien. On manque quelquefois sa fortune, pour être trop attaché, comme on se ruine en faisant trop de dépense. Les avares ne savent ni donner ni dépenser ; ils se laissent seulement extorquer par la nécessité ou par le besoin ce qu’ils tirent de leur bourse. Il y a des personnes qui pour être intéressées, n’en sont pas moins prodigues ; elles donnent libéralement à leurs plaisirs ce que l’avidité du gain leur a fait acquérir.