Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ASILE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 552-553).
ASILLE  ►

ASILE. s. m. Lieu de franchise, & de refuge, où l’on n’ose prendre un criminel qui s’y est réfugié. Asylum, ou asylus. Les églises en Espagne sont des asiles inviolables. Les assassins sont indignes de jouir de l’asile des églises. Pasc. Les maisons royales sont des asiles pour ceux qui craignent la prison.

Nous vous voyons enfin : c’étoit là tous nos vœux ;
Mais hélas, quelque beau que puisse être un asile,
Un asile toujours nous marque un malheureux. Buff.

Ce mot vient de asilum, mot latin, que Servius dérive du grec ἄσυλον, composé de la particule privative & du verbe συλάω, qui signifie, je tire ; parce qu’on en pouvoit tirer personne sans sacrilège. On trouve dans la basse latinité asyle pour asylus & asylum. Voyez les Acta SS. Feb. Tom. III, p. 558 & 559.

Les premiers asiles furent établis à Athènes par les descendans d’Hercule, pour se défendre de la violence de ses ennemis. Les autels, les tombeaux & les statues des héros, étoient dans l’antiquité la retraite la plus ordinaire de ceux qui étoient pressés par la rigueur des lois, ou opprimés par la violence des tyrans. Les temples étoient les asiles les plus inviolables. On disoit que les Dieux se chargeoient de punir le coupable, lequel imploroit leur miséricorde ; & les hommes ne doivent point être plus implacables qu’eux. Dieu avoit établit lui-même six villes de refuge parmi les Israélites ; & les coupables s’alloient mettre en sureté dans ces places privilégiées, lorsqu’ils n’avoient pas commis un crime de propos délibéré. Pour les Païens, ils accordoient une retraite, & l’impunité aux plus scélérats, afin de peupler les villes. Thèbes, Athènes & Rome, ne furent d’abord peuplées que du rebut des autres nations. On dit qu’autrefois à Lyon & à Vienne dans les Gaules, il y avoit des autels d’où l’on n’osoit arracher les criminels ; & il y a encore des villes en Allemagne qui ont conservé ce droit d’asile. Les Empereurs Honorius & Théodose avoient accordé ces immunités dans l’enceinte des églises; ensuite les Evêques & les Moines s’emparèrent d’un certain territoire, au-delà duquel ils plantoient des bornes à la Juridiction séculière. Ils furent étendre si loin leurs exemptions, que les couvens s’érigeoient en forteresses, où le crime étoit à l’abri, & bravoit la puissance du Magistrat. Depuis, l’on a supprimé la plupart de ces priviléges, qui ne servoient qu’à rendre la licence plus hardie. La sûreté des asiles ne devoit être dans leur véritable institution que pour les infortunés, & pour ceux que le hasard ou la nécessité exposoit à la rigueur de la loi. Alors la Justice elle-même semble demander qu’on lui arrache les armes des mains : c’est pour cela que Dieu avoit ordonné aux Israélites qu’ils eussent six villes pour servir d’asile aux malheureux. (Deut. 19 Numer. 35). Trois de ces villes devoient être dans la terre de Chanaan, & trois au-delà du Jourdain. Mais dans la suite des temps on a fait un usage odieux des asiles, en les faisant servir à protéger indifféremment, & les coupables malheureux, & les scélérats de dessein formé.

Le Chambellan de l’Empereur Arcadius fut le premier qui abolit le droit des asiles, aussi fut-il le premier qui en eut du repentir. de Roch. Car un an après il fut contraint d’y venir chercher l’asile qu’il avoit voulu fermer aux autres. God. C’étoit Eutrope favori d’Arcadius en 398. En 399 Arcadius, après la mort d’Eutrope, rétablit l’immunité des églises. Id. Voyez aussi Tillemont, Hist. des Emp. Tom. V, p. 437.

Sous la première race de nos Rois ce droit d’asile dans les églises étoit un droit très-sacré, dont les conciles des Gaules recommandoient fort l’observation. Il s’étendoit jusqu’au parvis des églises, & aux maisons des Evêques, & à tous les lieux renfermés dans leurs enceintes. Cette extension s’étoit faite pour ne pas obliger les réfugiés à demeurer toujours dans l’église, où plusieurs choses nécessaires à la vie, comme de dormir & de manger, n’eussent pas pu se faire avec bienséance. Ils avoient la permission de faire venir des vivres, & ç’auroit été violer l’immunité ecclésiastique que de l’empêcher. On ne pouvoit les tirer, ou les obliger à sortir de-là sans assurance juridique de la vie, & de la rémission entière du crime qu’ils avoient commis, & sans qu’ils fussent sujets à aucune peine. L’asile le plus respecté de tout l’Empire François étoit l’église de S. Martin aux portes de Tours, & on n’auroit osé le forcer, sans se rendre coupable d’un sacrilège très-scandameux. P. Dan.

Plusieurs anciennes villes, sur-tout en Syrie, portent sur leurs médailles le titre d’ΑΣΙΛΟΙ, avec celui de sacrées, ΙΕΡΑΙ. Par exemple, ΤΥΡΟΥ ΙΕΡΑΣ ΚΑΙ ΑΣΥΛΟΥ, ΣΙΛΩΝΟΣ ΙΕΡΑΣ ΚΑΙ ΑΣΥΛΟΥ. Ces villes sont Antioche, proche de Daphné, Antioche sur l’Hyppus montagne de la Cœlesyrie, Aradus, Arethuse, Byblis, Cæsarée de Philippe, ou la Panéade, la Capitoliade, Damas, Dor, Ephèse, Laodicée, Lappa ville de Crète, Moca en Arabie, Nicopolis, Perge, Ptolémaïde, Samosate, Séleucie, Sidon, Tyr, & dans Goltzius Gabale, & Thaplaque, &c. Cette qualité d’asile leur avoit été donnée, dit M. Spanheim, à cause des temples qu’elles avoient, & en faveur des Dieux qui y étoient honorés, dont on ne vouloit pas que la religion fut violée. Ce titre étoit une sauvegarde, & empêchoit que ces villes ne fussent pillées, vexées, qu’on n’y fit aucune exaction, &c. Il a été aussi donné à des Divinités. La Diane d’Ephèse est appelée Ἄσυλος. Le camp que formèrent Romulus & Remus, & qui dans la suite devint une ville, fut d’abord appelé asile, & ils y bâtirent un temple au Dieu Asylée, Θεὸς Ἄσυλος.

Asile, se dit aussi de tous les lieux où on est en sureté. Cette forêt, cette caverne lui a servi d’asile. Ils firent emmener leurs femmes & leurs enfans à Carthage, comme dans un asile assuré. Vaug. Il prétendoit trouver un asile contre la persécution de ses ennemis. Ablanc. La solitude est un asile contre les passions. M. Scud.

Asile, se dit figurément de tout ce qui donne secours, ou protection. Tous les pauvres venoient chez lui comme à leur asile, pour implorer son assistance. Les peuples vivent sous l’asile des lois & de la Justice. Il n’y a point d’asile contre la colère de Dieu pour les méchans, Faut-il que les cloîtres les plus reculés ne soient pas des asiles contre vos calomnies ? Pasc. Le Seigneur est mon asile. Port-Royal. La mort est l’asile de la vieillesse. Le savoir sert d’ornement dans la bonne fortune, & d’asile dans la mauvaise. Ablanc.