Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ARAIGNÉE
ARAIGNÉE. s. f. Quelques-uns disent Arignée, mais très-mal. Petit insecte venimeux, qui avec ses pieds fait un merveilleux tissu de filets pour se suspendre en l’air, & prendre de petites mouches dont il se nourrit. Aranea.
M. Bon, Premier Président de la Chambre des Comptes de Montpellier, & Associé honoraire de la Société royale des Sciences, a fait une dissertation sur les araignées, dans laquelle il en donne la description. La nature a divisé cet insecte en deux parties. La première est couverte d’un têt, ou écaille dure remplie de poils : elle comprend la tête & la poitrine, à laquelle huit jambes sont attachées, toutes bien articulées en six endroits : elles ont encore deux autres jambes, qu’on peut appeler leurs bras, & deux pinces armées de deux ongles crochus, attachées par des articulations à l’extrémité de la tête : c’est avec ces pinces, qu’elles tuent les insectes qu’elles veulent manger, leur bouche étant immédiatement au-dessous. Elles ont aussi deux petits ongles au bout de chaque jambe, & quelque chose de spongieux entre deux : ce qui leur sert sans doute pour marcher avec plus de facilité sur les corps polis. La seconde partie du corps de cet insecte n’est attachée à la première que par un petit fil, & n’est couverte que d’une peau assez mince, sur laquelle il y a des poils de plusieurs couleurs, elle contient le dos, le ventre, les parties de la génération, & l’anus. Autour de l’anus il y a cinq mamelons, qu’on prend d’abord pour autant de filières, par où le fil doit se mouvoir ; car il est certain que toutes les araignées filent par l’anus. M. Bon a trouvé que ces mamelons étoient musculeux, & garnis d’un sphincter. Il en a remarqué deux autres un peu en dedans, du milieu desquels sortent véritablement plusieurs fils en assez grande quantité, tantôt plus, tantôt moins. Les Araignées s’en servent lorsqu’elles veulent passer d’un lieu à un autre. Martin Lister, membre de la Société royale de Londres, dans un Traité de araneis, dit encore quelques autres particularités des parties internes de ces insectes ; mais il avoue que leur petitesse l’a empêché d’y rien découvrir de certain. Il ne donne donc ceci que pour des conjectures ; & dit que l’uterus n’est composé que d’une cellule dans celles qui font tous leurs œufs en une seule fois ; & de deux ou plusieurs dans celles qui ne les déposent qu’à plusieurs fois ; que la conformation des intestins n’est pas la même dans toutes les espèces, puisque les excrémens de quelques-unes sont liquides & durs aux autres, quoiqu’elles vivent toutes également de mouches.
Il y a différentes espèces d’araignées. M. Bon les réduit en général en deux : celles qui ont les jambes longues & celles qui les ont courtes. A l’égard de leurs différences particulières, on les distingue, dit-il, par la couleur ; car il y en a de noires, de brunes, de jaunes, de vertes, de blanches, & quelques-unes de toutes ces couleurs mêlées ensemble. On les distingue encore par le nombre & l’arrangement de leurs yeux ; les unes en ayant six, les autres huit & les autres dix, rangés différemment sur le sommet de la tête. Lister ne convient point de ce fait. Il en reconnoît qui ont huit yeux & d’autres qui n’en ont que deux ; ce sont-là, selon lui, les deux espèces générales. Peut-être y en a-t-il qui ont six yeux, mais il en doute. Il distingue encore la première espèce en deux, dont les unes sont celles qui prennent des mouches par le moyen des toiles qu’elles font ; & il en trouve encore sous cette espèce 28 ou 30 différentes sortes, qui sont distinguées, ou par leurs couleurs, ou par la figure de leurs corps, ou par la forme de leurs toiles, ou par la manière dont elles font leurs œufs. Les autres sont celles qui attaquent les mouches à découvert, & sans leur tendre des embuches avec des filets ; qui sont, 1.o les araignées loups, qui sont de quatre sortes. 2.o Les araignées qui ont la forme d’un Cancre, dont le propre est d’avoir les pieds de derrière très-courts, & qui ne sont que de deux sortes 3.o Les araignées phalanges, qu’il range en quatre classes. Pour la seconde espèce générale, qui sont celles qui ont deux yeux, il la subdivise en quatre espèces subalternes, qui ne différent que par leurs couleurs & leurs crêtes. M. Bon croit que les araignées sont androgynes, ayant toujours trouvé les marques du mâle dans celles qui font des œufs. Lister est d’un sentiment contraire. Il y reconnoît deux sexes ; il dit qu’elles s’accouplent, mais que le mâle & la femelle ne vivent ensemble que dans ce temps-là ; qu’elles ne couvent point leurs œufs ; qu’ordinairement les petits ne sont éclos que vingt-un jours après qu’elles ont mis bas leurs œufs ; que cependant celles qui ne font leurs œufs qu’au mois de Septembre n’ont des petits qu’au commencement du Printemps, ou même un peu plus tard.
Toutes les araignées filent par l’anus. Elles le remuent avec beaucoup de facilité en tous sens, à cause de plusieurs anneaux qui y vont aboutir. Elles jettent plusieurs fils tout à la fois. M. Bon en a distingué jusqu’à quinze ou vingt au sortir de leur anus. Le premier qu’elles dévident est foible, & ne leur sert qu’à faire cette espèce de toile dans laquelle les mouches vont s’embarrasser. Le second est beaucoup plus fort que le premier : elles en enveloppent leurs œufs, pour les mettre à couvert du froid & des insectes qui pourroient les manger. Ces derniers fils sont entortillés fort lâches autour de leurs œufs, & d’une figure semblable aux coques de vers à soie, qu’on a préparées & ramollies entre les doigts pour les mettre sur une quenouille. Ces coques d’araignées sont grises d’abord, ensuite elles deviennent noirâtres à l’air. C’est de ces coques que M. Bon a trouvé le secret de tirer la soie, dont on parlera au mot SOIE.
Voici la description de l’araignée, selon M. Homberg. Tout le corps de l’araignée se peut diviser en partie antérieure, en partie postérieure & en pattes. La partie antérieure contient la poitrine & la tête ; la postérieure est son ventre. Ces deux parties tiennent ensemble par un étranglement, ou par un anneau fort petit. La plûpart des araignées ont la partie antérieure, ou la tête & la poitrine couverte d’une croûte dure ou écailleuse, & le ventre, ou la partie postérieure est toujours couverte d’une peau souple. Les pattes tiennent à la poitrine & sont dures comme toute la partie antérieure. Cette structure est différente de celle de plusieurs autres insectes rampans & volans : par exemple, les demoiselles & plusieurs autres ont le ventre & la poitrine attachés ensemble tout d’une venue & sans étranglement fort étroit. Les fourmis, les guêpes & la plûpart des mouches ont la poitrine attachée au ventre par un étranglement, & la tête attachée à la poitrine par un autre étranglement.
Toutes les araignées sont couvertes de poils, aussi bien les parties dures que les souples.
Elles ont sur différens endroits de la tête plusieurs yeux fort bien marqués, de différentes grosseurs, différens en nombre, & différemment placés. Ces yeux sont tous sans paupières & couverts d’une croûte dure, polie & transparente.
Elles ont dans la partie antérieure de la tête une espèce de serres ou de tenailles, semblables en quelque façon aux serres ou aux pattes d’écrevisses, qui font avec le front de cet animal tout le devant de sa tête. Ces tenailles consistent en deux branches un peu plates, couvertes d’une croûte dure. Elles sont attachées perpendiculairement à la partie inférieure du front par une peau simple qui leur sert d’articulation ou de charnière, pour ouvrir & fermer ces tenailles. Ces branches sont garnies de pointes fort dures aux deux bords qui se joignent ; elles servent à attraper leur proie & à la tenir auprès de leur bouche, qui est derrière ces tenailles pour en tirer ce qui leur sert de nourriture. Les branches de ces tenailles ont à leurs extrémités inférieures chacune un ongle crochu, ressemblant en quelque façon aux ongles d’un chat. Ces ongles sont grands, fort durs & articulés, de sorte que l’animal les peut remuer de haut en bas & de bas en haut, sans qu’il ait besoin de remuer les branches de ces tenailles. Il y a apparence que ces ongles servent pour fermer le bas des tenailles & pour embrasser la proie afin qu’elle n’échappe pas des serres. Car moyennant ces ongles, l’ouverture des serres ou des tenailles fait un triangle clos de toutes parts, qui sans cela n’auroit que les deux côtés. Ces ongles étant articulés, peuvent servir aussi pour hausser & pour baisser la proie que l’araignée tient dans ses tenailles.
Toutes les araignées ont huit jambes articulées de même que les jambes des écrevisses : elles ont à l’extrémité de chaque jambe deux grands ongles crochus & articulés. Il y a à l’extrémité de chaque jambe entre les deux ongles, un paquet comme une éponge un peu mouillée, semblable à celui qu’on observe aux extrémités des pattes des mouches. Ce paquet spongieux sert apparemment aux mêmes fins que celui des mouches, pour marcher les jambes en haut contre des corps polis, comme une glace de miroir, où l’usage des crochets des extrémités de leurs pattes n’a pas de lieu : mais ces éponges, fournissant une liqueur un peu gluante, suffisent pour les y coller. Cette liqueur gluante tarit avec l’âge aussi bien aux araignées qu’aux mouches, de sorte qu’elles ne peuvent plus marcher long-temps de bas en haut contre une glace de miroir ; & même une vieille araignée étant tombée par hasard dans une jatte de porcelaine un peu profonde, elle n’en sauroit sortir, & est obligée d’y mourir de faim. Il en arrive autant à la matière qui fournit leur toile. Peut-être est-ce la même que celle des pattes, ou qu’elle lui est analogue, puisqu’avec l’âge elles tarissent à peu près de même.
Outre les huit jambes dont nous venons de parler, & qui servent à marcher, les araignées en ont encore deux autres plus proches de la tête, avec lesquelles elles ne marchent pas, mais qui leur servent de bras & de mains, pour placer & pour retourner la proie qu’elles tiennent dans leurs serres, afin de la présenter de toutes manières & en différens sens à leur bouche, qui est placée immédiatement derrière leurs tenailles. Cette cinquième paire de jambes, ou ces bras ne sont pas faits de la même manière dans toutes les espèces d’araignées. Dans quelques-unes elles ressemblent parfaitement aux autres jambes, & dans d’autres elles en sont tout-à-fait différentes.
Il y a autour de l’anus de toutes les araignées quatre petits mamelons musculeux, larges vers leurs bases, & pointus vers leurs extrémités. Ces mamelons ont un mouvement fort libre en tous sens. Du milieu d’entre ces mamelons, sort, comme par une filière, la liqueur gluante qui produit le fil dont elles font leurs toiles & leurs nids. Cette filière a un sphincter pour s’ouvrir & pour se resserrer, moyennant quoi elles peuvent filer plus gros & plus fin ; & l’araignée étant suspendue en l’air par ce fil, s’arrête lorsque la filière se resserre, & elle continue de descendre par son propre poids quand la filière s’ouvre.
Voici à peu près la manière dont les araignées fabriquent leurs toiles. Lorsqu’une araignée fait un ouvrage dans quelque coin d’une chambre, & qu’elle peut aller aisément en tous les endroits où elle veut attacher ses fils, elle écarte les quatre mamelons dont nous venons de parler, & en même tems il paroît à l’ouverture de la filière une très-petite goutte de cette liqueur gluante, qui est la matière de ses fils : elle presse avec effort cette petite goutte contre le mur, qui s’y attache par son gluten naturel, & l’araignée, en s’éloignant de cet endroit, laisse échapper par le trou de la filière le premier fil de la toile qu’elle veut faire. Etant arrivée à l’endroit du mur où elle veut terminer la grandeur de la toile, elle y presse avec son anus l’autre bout de ce fil, qui s’y colle de même, comme elle avoit attaché le premier bout. Puis elle s’éloigne environ l’espace d’une demi-ligne de ce premier fil tiré ; elle y attache un second fil, qu’elle tire parallèlement au premier. Etant arrivée à l’autre bout du premier fil, elle attache l’autre bout du second contre le mur, ce qu’elle continue de même pendant toute la largeur qu’elle veut donner à sa toile ; l’on pourroit appeler tous ces fils parallèles, la chaîne de cette toile. Après quoi elle traverse en croix ces rangs de fils parallèles par d’autre fils perpendiculaires sur ceux-ci, & parallèles entr’eux, qu’elle attache de même par les deux bouts. C’est comme la trame de sa toile ; & comme ces fils fraîchement filés se collent à tout ce qu’ils touchent, ils se collent les uns sur les autres, & c’est ce qui fait la fermeté de cette toile. Afin que les fils qui se croisent, se collent ensemble avec plus de fermeté, l’araignée manie avec les quatre mamelons de son anus, & comprime en différens sens tous les endroits où les fils se croisent à mesure qu’elle les couche les uns sur les autres. Elle triple ou quadruple les fils qui bordent la toile, pour les fortifier & les empêcher de se déchirer aisément.
Une araignée peut fournir deux ou trois fois de la matière pour faire une toile neuve, pourvû qu’elle n’en ait pas fait une trop grande la première fois. Après cela, si elle manque de toile, il faut qu’elle occupe par force la toile d’une autre araignée, ou qu’elle trouve quelque toile abandonnée : car les jeunes araignées abandonnent leurs premières toiles pour en faire de neuves, & si les vieilles araignées, c’est-à-dire les domestiques, n’en trouvent pas, il faut qu’elles périssent. Voilà pour les toiles qui se font dans les coins des chambres.
Pour les toiles des jardins, l’araignée se met en un temps calme au bout de quelque branche d’arbre, ou sur quelqu’autre corps qui s’avance en l’air : elle s’y tient ferme sur ses six pattes seulement, & avec les deux pattes de derrière elle tire de son anus peu à peu un fil de la longueur de deux ou trois aunes, ou plus, qu’elle laisse flotter en l’air, jusqu’à ce que le vent l’ait poussé contre quelque matière solide, où ce fil se colle promptement par son gluten naturel : l’araignée tire de temps en temps ce fil à soi, pour connoître si le bout qui flotte en l’air s’est attaché quelque part ; ce qu’elle connoît par la résistance qu’elle sent lorsqu’elle tire ce fil. Alors elle bande un peu ce fil, & l’attache avec les mamelons de son anus à l’endroit où elle se trouve. Elle double & quadruple ce fil, passant dessus comme sur un pont : puis se mettant au milieu, elle tire encore de son anus un autre fil, qu’elle laisse flotter & s’attacher de même que le premier, & de même un troisième, un quatrième, &c. de sorte que le milieu du premier fil devient le centre de ces rayons. Tous les rayons étant faits, elle attache un nouveau fil au centre, & le couche & l’attache en spirale sur les rayons, depuis le centre jusqu’à la grandeur qu’elle veut donner à sa toile. Cela étant fait, elle se niche dans le centre de sa toile, la tête toujours en bas. M. Homberg donne la cause de cette posture.
L’araignée ne se tient dans le centre de sa toile que pendant le jour. La nuit, ou quand il pleut, ou quand il fait grand vent, elle se retire dans une petite loge qu’elle s’est faite à l’extrémité de sa toile, sous la feuille d’un arbre ou d’une plante, ou en quelqu’autre endroit plus solide que sa toile. Elle choisit ordinairement cet endroit vers la partie la plus élevée de sa toile, apparemment pour s’y réfugier promptement dans la nécessité : car la plûpart des araignées montent fort aisément & bien plus vite qu’elles ne descendent.
Quand une mouche s’est prise dans sa toile, si elle est petite, elle la prend entre ses tenailles & l’emporte dans son nid pour s’en nourrir. Quand la mouche est un peu grosse, en comparaison de l’araignée, elle l’entoure de fils qu’elle tire de son anus & la garotte, puis l’emporte paisiblement. Si la mouche est trop forte & se défend, l’araignée la délivre, même en rompant sa toile, qu’elle refait incontinent après, ou elle en fait une neuve.
Toutes les araignées mâles sont plus petites que les araignées femelles. Cinq ou six araignées mâles ne pésent pas plus qu’une femelle : ce qui est assez commun dans la plûpart des insectes, tout au contraire des quadrupèdes.
Les araignées de toutes les espèces sont ovipares. Les unes, comme celles des jardins, & les faucheurs font une grande quantité d’œufs, & les autres en font fort peu, comme les domestiques, &c. Elles font leurs œufs sur une partie de leur toile, les lient ensemble dans un peloton, & les couvent dans leur nid. Quand on les chasse pendant qu’elles couvent, elles prennent ce peloton d’œufs dans leurs tenailles & l’emportent avec elles.
Aussitôt que les petits sont éclos, ils commencent à filer, & grossissent presque à vue d’œil, sans que j’aie pû découvrir qu’ils prennent de nourriture.
Il y a six principales espèces d’araignées, 1.o L’araignée domestique, c’est-à-dire celle qui fait sa toile sur les murs & dans les coins des appartemens. 2.o L’araignée des jardins, c’est-à-dire, celle qui fait une toile à l’air, d’un tissu plus serré, & qui se niche pendant le jour dans le centre de cette toile. 3.o L’araignée noire des caves, & qui demeure dans les trous des vieux murs. 4.o L’araignée vagabonde, ou qui ne se tient pas tranquillement dans un nid comme les autres. 5.o L’araignée des champs, appellée le Faucheur, qui a les jambes fort longues. 6.o L’araignée enragée, ou la fameuse Tarentule.
L’araignée domestique a huit yeux placés sur son front en ovale. Ils sont petits, & à peu près de même grandeur. Cette araignée fait une grande & large toile dans les coins & contre les murs des chambres. Ses bras ressemblent parfaitement à ses jambes, à la réserve qu’ils sont un peu plus courts, & qu’elle ne les pose jamais à terre. Cette espèce quitte sa dépouille tous les ans, ce que ne font pas les autres. Elle vit longtemps, grandissant peu de corps, mais beaucoup de jambes.
Dans les pays chauds il vient à cette araignée une maladie qui la fait paroître toute couverte d’écailles hérissées & pleines de petits animaux semblables aux poux, qu’elle fait tomber en se secouant & se remuant beaucoup.
L’araignée des jardins fait une toile ronde en l’air. Elle a quatre grands yeux, placés en carré au milieu du front, & deux plus petits à chaque côté de la tête. Les femelles de cette espèce ont les plus gros ventres que j’aie vu aux araignées. Les mâles en sont fort menus. Elles sont de différentes couleurs, ordinairement feuille morte, tachetées de blanc & de gris, quelquefois toutes blanches, comme j’en ai trouvé à Toulon parmi des fleurs tubéreuses. Il y en a aussi de vertes, de différents verts. Les vertes sont les plus petites, & les grises les plus grosses de toutes.
L’araignée de cave, & celle qui fait son nid dans les vieux murs, n’ont que six yeux, au lieu que toutes les autres espèces en ont huit. Ces yeux sont placés deux au milieu du front, & deux à chaque côté de la tête, tous six à peu près de même grandeur. Cette espèce est noire & fort velue. Elles ont les jambes plus courtes, sont plus fortes, plus méchantes & vivent plus que les autres. Quand on les a prises, elles se défendent & mordent l’instrument dont on les a prises : ce que ne font point les autres. Quand on lui a percé le ventre, elle vit quelquefois plus de vingt-quatre heures, au lieu que les autres meurent sur le champ. Au lieu de toile, celle-ci ne fait que tirer des fils de sept à huit pouces de long, qui sortent de son nid comme des rayons, & sont attachés au mur autour du trou qu’elle habite. L’insecte qui marche sur ce mur, & qui heurte contre quelqu’un de ces fils, en l’ébranlant, avertit l’araignée, qui dans le même instant sort de son trou avec une vîtesse extraordinaire.
L’araignée vagabonde n’est point sédentaire dans son nid comme toutes les autres ; elle va chercher sa proie, la chasse avec beaucoup de ruses & de finesses. Elle a deux grands yeux au milieu du front & deux plus petits aux extrémités du front ; deux de la même grandeur sur le derrière de la tête, & deux forts petits entre le front & le derrière de la tête. Les araignées de cette espèce sont de différentes grandeurs & de différentes couleurs, blanchâtres, noires, grises & tachetées. L’extrémité de leurs bras se termine en un bouquet de plumes, au lieu qu’à toutes les autres elle se termine en deux crochets, comme celle des jambes. Ce bouquet de plumes est ordinairement de même couleur que le reste du corps, & quelquefois égal à la longueur de la tête. L’araignée s’en sert pour les jeter sur les ailes de la mouche qu’elle a attrapée, afin d’en arrêter le mouvement ; ce qu’elle ne peut faire comme les autres, en les embarrassant dans les filets de sa toile, n’en ayant point. Homberg, Mém. de l’Acad. des Sc. 1707. p. 339.
M. Lister distingue des toiles d’araignées en forme d’écu, d’autres en rond, d’autres en peloton, & d’autres qui sont dans des trous.
Les naturalistes tiennent que l’araignée a le sens du toucher plus exquis que tous les autres animaux. Les araignées pilées rendent l’eau de couleur bleue. Aristote dit qu’il y a deux espèces d’araignées, dont l’une est plus grande & noire ; l’autre qui pique. Pline appelle phalanges les araignées venimeuses en leurs morsures & piqûres. Les Grecs distinguent & divisent les araignées en phalanges & en loups araignées. Il y a des fourmis araignées, appelées myrmecion. Ætius met six espèces d’araignées phalanges, qui ont la tête de fourmis, & ont le corps noir, moucheté de taches blanches, qui piquent comme les guêpes. Solin parle d’une araignée, appelée solifuga, ainsi nommée, parce qu’elle fuit le soleil, ou la clarté. Elle blesse sans qu’on s’en apperçoive.
Il y a des araignées de l’Amérique qui ont huit yeux disposés en deux rangs distincts. On voit en plusieurs des Antilles de grosses araignées, que quelques-uns ont mises au rang des phalanges, à cause de leur figure monstrueuse & de leur grosseur si extraordinaire, que quand leurs pattes sont étendues, elles ont plus de circonférence que la paume de la main n’a de largeur. Tout leur corps est composé de deux parties ; dont l’une est plate & l’autre ronde, qui aboutit en pointe comme un œuf de pigeon. Elles ont un trou sur le dos, qui est comme leur nombril : leur gueule ne peut être aisément discernée, parce qu’elle est presque toute couverte sous un poil d’un gris blanc, entremêlé quelquefois de rouge. Elle est armée de part & d’autre de deux crochets fort pointus, qui sont d’une matière solide, & d’un noir très-poli & très-luisant ; les curieux les enchassent dans de l’or, & en font des curredents estimés, parce qu’ils préservent de douleur & de corruption les parties qui en sont frottées. Quand ces araignées sont vieilles, elles sont couvertes d’un duvet noirâtre, qui est aussi doux & aussi pressé que du velours. Leur corps porte sur dix pieds, qui sont velus par les côtés & hérissés en dessous de deux pointes, qui leur servent à s’accrocher plus aisément par-tout où elles veulent grimper. Tous ces pieds sortent de la partie de devant ; ils ont chacun quatre jointures, & sont munis d’une corne noire & dure, qui est divisée en deux comme une petite fourche. Elles quittent tous les ans leur vieille peau, comme les serpens, & leurs deux crochets. Leurs yeux sont petits & enfoncés. Elles se nourrissent de mouches & de semblables insectes. En quelques endroits elles filent des toiles si fortes, que les petits oiseaux ont bien de la peine à s’en débarrasser. On dit la même chose des araignées des Bermudes ; apparemment c’est la même espèce. Lonvillers. Voyez aussi le P. du Tertre, Hist. des Antilles, Tr. VI. Ch. 4. pag. 3. Il dit que la partie de derrière de cette araignée est grosse comme un œuf de poule ; qu’elles font une petite bourse grande comme la coque d’un œuf, dont la première peau est un cuir délicat comme le cannepin sur lequel les Chirurgiens éprouvent leurs lancettes : tout le dedans est rempli d’une filasse douce comme de la soie, dans laquelle elles posent leurs œufs. Elles tiennent cette bourse sous leur ventre & la portent par-tout avec elles. Quelques habitans des Îles assurent que cette araignée est aussi dangereuse que la vipère. Si on l’agace elle jette un venin subtil, qui rendroit aveugle s’il tomboit dans les yeux. Le poil même de cette bête est venimeux, si on le touche lorsqu’elle est en vie ; il picque & brûle presque comme des orties : si on la presse tant soit peu, elle picque d’un aiguillon plus subtil que celui d’une abeille, mais si venimeux, qu’on a bien de la peine à sauver la vie d’un homme qui en est piqué ; il n’y a presque que le petit cancre de mer qui y puisse remédier. P. du Tertre. Le même Auteur parle encore d’une autre espèce d’araignées peu communes. Elles se trouvent dans les bois, sont toutes plattes, & pas plus épaisses qu’un écu, larges d’un pouce, longues d’un pouce & demi, la partie antérieure a la forme d’un écusson divisé par petits carreaux, & le ventre, ou la partie postérieure, est un ovale assez joliment moucheté & rayé par-dessus. Elles sont toutes grises & ont les jambes fort longues, dures & hérissées, comme les griffes d’un cerf-volant. Quelques relations de la Guinée parlent aussi d’araignées extrêmement grosses ; & Gonzalve Fernando d’Oviédo, dans son Hist. gén. des Indes, dit qu’il y en a aussi dans l’Île Espagnole.
Il y a une araignée qui saute comme les puces pour attrapper sa proie ; on l’appelle aranea pulex. Il y en a une autre, qui pour bien couver ses œufs, les porte avec elle, comme dans une petite corbeille, qui est décrite dans le livre de Harvée, de la Génération des Animaux. C’est apparemment la même que celle dont parle le P. du Tertre, & que nous avons décrite ci-dessus. Il y en a encore une autre à longues jambes, décrite par le sieur Goëdart. Il y a aussi des araignées d’eau volantes, qui se meuvent avec une extrême vîtesse, & qui ont un aiguillon dans leur bouche, de même que les punaises. Jacob de Hoëfnagel a peint trente-cinq sortes d’araignées dans son livre des Insectes.
Lister, de Araneis, Part. I. ch. 8. dit que les araignées macérées dans quelque liqueur que ce soit chassent la fièvre ; cuites dans l’huile, ou de l’eau rose, elles appaisent les douleurs d’oreille, & sont bonnes pour les yeux ; appliquées en emplâtre sur le nombril, elles sont salutaires dans la suffocation de la matrice ; bonnes pour les tumeurs & les douleurs de rate, pour la coagulation du lait, pour la goutte, pour arrêter le sang d’une plaie, pour guérir des ulcères, pour le saignement de nez, &c.
Les araignées sont farouches, d’un naturel féroce & vorace ; les plus fortes & les plus grosses mangent les plus petites, du moins quand elles n’ont point d’autre nourriture. Elles ne mangent ni feuilles ni fruits, mais seulement des insectes comme des mouches, des cloportes, des mille-pieds, des chenilles, des papillons, des vers de terre, quand on leur en donne par morceaux : elles aiment fort la substance molle & tendre, qui remplit les plumes des jeunes oiseaux, avant qu’elles soient parvenues à leur partait accroissement ; les jeunes araignées qui ne font que d’abandonner leurs coques, la préférent à toute autre nourriture ; mais ni les grandes, ni les petites ne mangent point de chair. Voyez l’Hist. de l’Acad. des Sciences, 1710, où il y a une dissertation de M. de Réaumur, principalement sur les araignées qui donnent de la soie.
Edouard II, Roi d’Angleterre, avoit pour dévise une araignée faisant sa toile, malgré un grand vent qui l’agitoit, avec ce mot, Ardentiùs ibo. Des araignées qui s’attachoient à un étendart, passoient chez les Romains pour un mauvais augure. Bulenger en rapporte des exemples. De Prodig. ch. 33.
On appelle la Vive, Dragon ou Araignée de mer. Vitruve, Liv. IX, dit qu’Eudoxe Astrologue inventa un cadran sur la figure d’une toile d’araignée : & en effet le cadran équinoxial se peut faire en forme d’une toile d’araignée, dont on voit des exemples dans la Gnomonique de Clavius.
Araignée se dit aussi de la simple toile, & des fils que font les araignées. Araneæ tela. Les maisons des pauvres sont pleines d’araignées. Ainsi Maynard a dit dans une épigramme aux Muses,
Et c’est pour vous avoir peignées
En Demoiselles du Marais,
Que mon coffre est plein d’araignées.
Maynard a pris cette pensée & cette expression de Catulle ;
… Nam tui Catulli
Plenus sacculus est aranearum,
pour dire, qu’il est pauvre, qu’il n’y a point d’argent dans sa bourse, dans son coffre.
On dit d’une toile fort fine, qu’elle est claire comme une toile d’araignée. On dit aussi des doigts d’araignée, pour dire, des doigts longs & maigres. Un Ancien disoit, que les lois étoient des toiles d’araignées : elles arrêtent les mouches, & les frelons les rompent. ☞ M. Bon, dont on a parlé au commencement de cet article, a tiré des araignées une soie, dont il est parvenu à faire des bas & autres ouvrages aussi forts, & presque aussi beaux que les ouvrages faits avec la soie ordinaire. Voyez au mot Soie.
Araignée, en terme de guerre, se dit du travail d’un Ingénieur, lorsqu’ayant dessein de faire une mine, & que rencontrant quelque obstacle qui l’empêche de la faire dans le lieu destiné, il est contraint de s’écarter par plusieurs rameaux, branches ou canaux, qui finissent tous par de petits fourneaux. On fait jouer tous ces fourneaux à la fois, par le moyen des traînées de poudre qui y portent le feu.
Araignée, en terme d’Astronomie, est le nom qu’on donne à la dernière platine de l’Astrolabe, qui est percée à jour, où sont marquées les étoiles fixes, & qu’on pose sur toutes les autres, quand on veut faire quelque opération.
Araignées, en terme de Marine, sont des poulies particulières par où viennent passer des cordages appelés marticles, qui ont plusieurs branches & filets représentant une toile d’araignée. ☞ Elles se réunissent en même tems sur l’étai. Il y a à l’avant de chaque hune, une araignée qui empêche la voile de frotter contre la hune.
Araignée, sorte de filet qu’on tend pour prendre les oiseaux de proie, avec le duc.
Araignée se dit encore d’un crochet de fer à plusieurs branches qu’on attache à une corde, pour tirer d’un puits des sceaux qui se sont détachés de la chaîne. On ne dit plus en Anjou, comme du tems de Ménage, Irentaigne ; mais Iraigne.
Araignée. Terme de Conchyliologie. Nom d’un coquillage de mer de la famille des Univalves. Araneus concha, Aranea. Il y a l’araignée mâle, & l’araignée femelle. Une petite araignée mâle. Gersaint.
Ce mot vient du grec ἀράχνη, que quelques-uns font venir d’ἀραίος, qui signifie, rare, délié, subtil. Il n’y a rien de plus délicat que les toiles d’araignées. Il est bien plus vraisemblable que ce mot vient de l’hébreu ארג, arag ; non pas que ce mot signifie dans cette langue araignée, comme on l’a dit, & fait dire à Bochart très-mal à propos dans le Moréri, où l’on n’a pas entendu le Dictionnaire d’Hofman que l’on traduisoit ; mais parce que ce verbe signifie texere, faire un tissu, faire de la toile, qui se dit en Is. LIX. 5. de l’araignée, que David de Pomis définit un insecte qui fait de la toile, שאורג ארג, pour prendre des mouches aux fenêtres, se servant deux fois de ארג, & pour marquer l’action, & pour marquer l’ouvrage de cet animal, qu’un autre Rabin, appelé Menahhem, nomme ארוגח, aruga la toile de l’araignée. Ainsi il faut dire que le ג ou G hébreu s’est changé en grec en χ de même que souvent le χ grec se change en G latin, comme en χάλϐανη, Galbanum ; λείχω, linge ; ἄγχω, ango &c. qu’ensuite d’ἀράχνη on a fait en latin aranea, comme lana de λείχνη, en retranchant le χ, comme le prétendent plusieurs Grammairiens. C’est-là ce que dit Bochart, Hieroz, Liv. IV, ch. 23, p 608. Voyez aussi le P. Thomassin dans son Glossaire.