Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/APOTHÉOSE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 417-418).
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APOTHÉOSE. s. f. Consécration, déification. Ce mot se dit principalement de la cérémonie par laquelle les anciens Romains mettoient leurs Empereurs au rang des Dieux ; après quoi ils leur élevoient des temples & des autels. Apotheosis, Consecratio, Relatio in Deos. C’étoit un dogme que Pythagore avoit puisé chez les Chaldéens, que les personnes vertueuses étoient mises après leur mort au rang des Dieux. Les Païens déifioient les inventeurs des choses utiles au genre humain, & ceux qui avoient rendu quelque service important à la République. Juvénal, en se moquant des fréquentes apothéoses, plaignoit le pauvre Atlas, qui alloit succomber sous le fardeau de tant de Dieux qu’on plaçoit tous les jours dans le Ciel. Bayl. Sénèque se moque agréablement de l’apothéose de Claudius. Tibère proposa au Sénat l’apothéose de Jésus-Christ, comme le rapportent Eusèbe, Tertullien, & S. Chrysostôme.

Ce mot vient de la préposition, ἀπὸ, & de θεός, Deus.

Hérodien, au commencement du livre 4 de son histoire, parlant de l’apothéose de Sévère, a fait une description exacte & fort curieuse des cérémonies qui s’observoient dans les apothéoses des Empereurs. Après que le corps du défunt a été brûlé avec les solemnités ordinaires, on met dans le vestibule du palais, sur un grand lit d’ivoire couvert de drap d’or, une image de cire qui le représente parfaitement, ayant néanmoins un visage de malade. Pendant presque tout le jour le Sénat se tient rangé & assis au côté gauche du lit avec des robes de deuil. Les Dames de la première qualité sont au côté droit, ayant des robes blanches toutes simples & sans ornemens. Cela dure sept jours de suite, pendant lesquels les Médecins s’approchant de temps en temps du lit pour considérer ce malade, trouvent toujours qu’il baisse jusqu’à ce qu’enfin ils publient qu’il est mort. Alors de jeunes Chevaliers Romains & de jeunes Seigneurs du premier rang chargent sur leurs épaules ce lit de parade, & passant par la rue sacrée, ils le portent au vieux marché, où les Magistrats ont coutume de se démettre de leurs charges, & là il est placé entre deux espèces d’amphitéâtres, dans l’un desquels sont de jeunes Gentils’hommes, & dans l’autre de jeunes Dames des meilleures maisons de Rome, chantant des hymnes en l’honneur du mort, composées sur des airs lugubres. Ces hymnes étant achevées, on porte le lit hors de la ville au champ de Mars. Au milieu de cette place est dressée une forme de pavillon carré qui est tout de bois : le dedans est rempli de matières combustibles, & au dehors il est revêtu de drap d’or, & orné de figures d’ivoire & de diverses peintures. Au-dessus de cet édifice il y en a plusieurs autres élevés, qui sont semblables au premier, tant pour la forme que pour la décoration, si ce n’est qu’ils sont plus petits & qu’ils vont toujours en diminuant. On place le lit de parade dans le second de ces édifices, qui a les portes ouvertes, & on jette tout à l’entour une grande quantité d’aromates, de parfums, de fruits & d’herbes odoriférantes. Après quoi les Chevaliers font autour du catafalque une certaine cavalcade à pas mesurés. Plusieurs chariots tournent aussi à l’entour. Ceux qui les conduisent sont aussi revêtus de robes de pourpre, & portent des représentations ou images des plus grands Capitaines Romains, & des plus illustres Empereurs. Cette cérémonie étant achevée, le nouvel Empereur s’approche du catafalque avec une torche à la main, & en même temps on y met le feu de tous côtés, en sorte que les aromates & les autres matières combustibles prennent feu tout d’un coup ; on lâche aussi-tôt du faîte de cet édifice un aigle, qui s’en volant dans l’air avec la flamme, va porter au ciel l’ame de l’Empereur, comme les Romains le croient. Et dès-lors il est mis au nombre des Dieux. C’est de-là que les médailles qui représentent des apothéoses ont le plus souvent un autel, sur lequel il y a du feu, ou bien un aigle qui prend son essor pour s’élever en l’air ; quelquefois il y a deux aigles. Le mot est toujours Consecratio. Quelquefois l’Empereur est assis sur l’aigle, qui l’enleve dans le ciel. Donat, De urbe Roma, III, 4, décrit une pierre antique qui représente l’apothéose de Tite. Il y a dans le trésor de la Sainte Chapelle de Paris une très-belle agathe orientale d’une grandeur extraordinaire, qui représente l’apothéose d’Auguste, selon quelques-uns, & selon d’autres, de Commode, Voyez Consécration.

Apothéose, se dit aussi de la réception fabuleuse des anciens héros parmi les Dieux. L’apothéose d’Hercule, d’Enée, &c.

☞ Faire l’apothéose de quelqu’un, signifie figurément lui donner les plus grands éloges. Bougainville.